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dimanche 18 décembre - Messe du 4e dimanche de l'Avent
La conversion de Joseph
Par le père Ludovic Frère, recteurImpossible de l’oublier dans nos crèches ; il y tient une place centrale. Souvent vêtu d’un manteau marron, portant une barbe bien taillée… vous l’aurez reconnu, c’est saint Joseph, bien sûr !
On dit qu’il était vieux, en tous cas bien plus âgé que Marie. Pourtant, rien dans l’évangile ne pousse à le croire. Mais les songes qu’il reçoit expliquent peut-être cette improbable différence d’âges, car dans l’Ancien-Testament, le prophète Joël annonce les temps nouveaux par cette promesse : « Vos vieillards auront des songes » (Joël 3,1).
Saint Pierre reprend d’ailleurs cette prophétie, juste après la Pentecôte, pour expliquer pourquoi les Apôtres parlent tout à coup des langues différentes : « Non, ces gens ne sont pas ivres, dit-il aux habitants de Jérusalem, mais c’est ce qui a été dit par le prophète Joël : "Je répandrai mon Esprit sur toute chair (…) : vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards auront des songes" » (Ac 2,17). Les songes font donc partie de ces signes attestant que l’Esprit Saint a été répandu dans les cœurs !
Alors, laissons de côté l’âge de Joseph - même si l’on peut croire qu’il avait à peu près le même que la jeune Marie - ; l’essentiel est bien ailleurs. L’essentiel, c’est que Joseph est guidé par l’Esprit-Saint ; ce même Esprit qui est venu reposer en Marie pour qu’elle engendre le Fils de Dieu, éclaire aujourd’hui Joseph par des songes déterminants.
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On découvre ainsi 4 songes dans les deux premiers chapitres de l’évangile selon saint Matthieu : c’est par un songe que Joseph est appelé à fuir en Égypte avec Marie et l’enfant (Mt 2,13) ; par un autre songe, il est invité à revenir d’exil après la mort d’Hérode (Mt 2,19) ; et par un dernier songe, il reçoit la demande de venir s’installer à Nazareth (Mt 2,22).
Mais avant ces 3 songes, le plus décisif et le plus développé, nous venons de l’entendre dans l’évangile : c’est pour que Joseph ne répudie pas Marie et permette ainsi d’insérer Jésus dans la filiation du roi David, selon la grande tradition messianique.
Mais il faut quand même bien se rendre compte du contexte : un mariage prévu, et une fiancée tombée enceinte… Une interprétation hâtive (et fausse !) pourrait conduire à voir comme un parfum de scandale dans cet événement. Mais rien ne dit que Joseph en vient à douter de Marie. Je suis même convaincu qu’il ne l’a jamais soupçonnée. Car cette jeune femme, il l’a fréquentée de près ; en tombant amoureux de cette fille magnifique, il a certainement saisi aussi quelque chose de sa pureté immaculée. Alors, je ne crois pas qu’il ait suspecté une seule seconde Marie d’être allée voir ailleurs.
À cet égard, l’évangile passe sous silence quelque chose qui s’est pourtant nécessairement passé : entre l’annonce de l’ange Gabriel à Marie et la décision prise par Joseph de répudier sa promise, les deux amoureux se sont forcément parlé. Sans vouloir trop entrer dans l’intimité de leur couple, on peut se représenter la scène : la jeune femme arrivant auprès de son fiancé, pour lui faire part de la rencontre qu’elle avait eue avec l’ange et de la réponse qu’elle lui avait donnée. J’imagine alors Joseph accueillant les paroles de Marie, lui faisant pleinement confiance et décidé à la soutenir dans son « oui » magnifique.
C’était « un homme juste », précise l’évangéliste : entendons par là qu’il était pleinement « ajusté » à la volonté de Dieu. Son cœur d’homme juste le fait entrer dans le mystère, comme Marie le fit par son « oui ». Le projet de répudiation en secret n’est donc certainement pas un moyen pour sortir la tête haute d’une situation honteuse ; il s’agit bien plutôt pour Joseph d’un consentement à s’effacer devant un mystère plus grand que lui. Marie lui était promise ; il fait pourtant l’offrande de ce grand trésor parce qu’il respecte le projet de Dieu, et voilà qu’en faisant cette offrande, il va de nouveau recevoir Marie. Voyez combien tout l’agir chrétien est résumé dans ce sublime échange : abandonner à Dieu ce qui nous est promis pour le recevoir de Lui.
Ô, saint Joseph, aidez-nous à abandonner tous nos projets personnels pour les recevoir de Dieu !
Ainsi, grâce aux confidences que la Vierge avait dû lui faire, Joseph a compris qu’il fallait laisser la place à Dieu pour ce projet inimaginable aux yeux de chair. Malgré l’amour qu’il a pour Marie, cet homme admirable accepte de se retirer.
L’enjeu du songe de Joseph se trouve alors certainement là : après Marie, il est le premier à devoir passer, si l’on peut dire, d’une foi juive à une foi chrétienne. Il doit dépasser sa conception de la Transcendance divine, ou plutôt l’intégrer dans une réalité nouvelle, celle de la proximité divine. Bien entendu, le sens aigu de la Transcendance est indispensable pour bien penser Dieu ; il est même profondément touchant de voir les Juifs se refuser à prononcer jusqu’au nom de Dieu, car nommer, c’est déjà avoir une forme d’emprise sur une réalité. YHWH : c’est ce tétragramme sacré, ce nom imprononçable, qui dit Dieu sans rien pouvoir en dire. Alors, devant une telle manifestation de grandeur divine, pas étonnant que Joseph décide de se retirer en ne pensant plus à lui-même ; c’est le sens de son projet de répudiation en secret.
Mais voici le songe, quand Joseph dort, c’est-à-dire quand il ne contrôle plus rien. Dans ce songe, l’ange lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas ». La Vierge avait reçu de l’archange Gabriel le même appel : « Ne crains pas Marie ». Ce n’est pas une invitation à rester calme devant un événement impressionnant ; c’est bien plutôt un appel à convertir sa foi : de la peur d’approcher du Grand Dieu, à l’acceptation de laisser cette Grandeur le rejoindre. Joseph, comme Marie, commence à plonger dans le mystère de l’Incarnation : Dieu rejoint l’humanité d’une manière inimaginable jusqu’alors et d’une façon définitive, puisqu’il s’implique Lui-même en devenant l’un de nous.
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À une semaine de la fête de Noël, l’expérience de Joseph est donc un appel lancé à nous tous, pour nous demander si nous sommes vraiment entrés dans le mystère chrétien. Le sens quasi « naturel » de Dieu conduit l’être humain à le voir comme une Superpuissance, qu’on ne peut jamais approcher vraiment. Bien sûr, la Transcendance divine est absolument vitale à reconnaître, mais le mystère de Noël vient bouleverser notre compréhension et notre relation à Dieu, les bouleverser totalement !
« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». Joseph doit même donner un nom à cet enfant : « Jésus », c’est-à-dire « le Seigneur sauve ». Puis encore un autre nom : « Emmanuel, qui se traduit : Dieu-avec-nous ». Celui dont on ne pouvait prononcer le nom, l’ange demande à Joseph de lui donner un prénom et un surnom. Son identité nous est alors révélée : Le Seigneur sauve en étant « Dieu-avec-nous ». Non plus simplement le Seigneur Souverain Créateur Transcendance inaccessible, mais Dieu qui est avec nous pour nous sauver. Jésus, Emmanuel !
Voilà ce que Joseph va comprendre par ce songe si délicat et si déterminant pour sa vie à lui, mais aussi pour la nôtre. Joseph nous appelle donc, à quelques jours de Noël, à nous rendre disponibles, cette année encore, au grand mystère qui dépasse tellement les capacités de l’esprit humain laissé à lui seul. Accepter que Dieu se fasse pauvre parmi les pauvres, et le chercher là, dans la simplicité de la crèche comme dans le regard de ceux qui ont besoin de notre aide. Joseph en fait l’expérience concrète, quand il reçoit la mission de protéger cet enfant et sa mère. Il découvre alors que pour honorer vraiment le Dieu Tout-puissant, il doit le servir en soignant les plus petits, les plus menacés : Marie et son enfant.
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Frères et sœurs, c’est sans doute pour vous ouvrir encore à ce grand mystère de proximité et de miséricorde que le Seigneur vous a voulus ici ce dimanche. Car en ce sanctuaire, saint Joseph est apparu 6 fois à Benoîte Rencurel. On n’a pas conservé ses paroles, on sait juste qu’il a guidé la bergère pour mener son troupeau. Un Joseph discret et concret – on le reconnaît bien là ! - aidant Benoîte à ne pas se perdre dans trop de soucis et guidant la bergère dans ses fragilités, notamment ses impatiences. Joseph est bien toujours au service du mystère de la rencontre entre le Dieu de miséricorde et ceux qui sont dans la misère. En ce 4e dimanche de l’Avent, voilà ce qui est délicatement mis sous nos yeux, sans doute pour que les fêtes de Noël qui approchent fassent de nous tous des « saint Joseph » pour notre monde.
Maranatha, viens Seigneur Jésus !