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Tuesday 11 April - Homélie pour le mardi saint Is, 49,16 et Jn 13,21-33 ;36-38 Père Jean-Dominique DUBOIS, ofm, chapelain du Laus
Jésus bouleversé, trahi et renié
Par Père Jean-Dominique DUBOIS, ofm, chapelain du Laus« Jésus fut bouleversé en son esprit. » Jn 13,21 L’apôtre bien-aimé, témoin oculaire de la vie du Maître, a pressenti toute l’intensité de ce bouleversement et son objet. Qu’en est-il des apôtres en cette heure étrange pour le Seigneur et Maître ? ... Jean connaît ses compagnons de route qui comme lui ont été choisi pour être apôtre de Jésus. Tous pressentent que cette Pâque annonce des événements peu communs, mais Jean entre plus avant dans le mystère au-delà des circonstances historiques. Depuis longtemps la tension monte entre les autorités religieuses juives et Jésus. La prédication de ce dernier dérange l’establishment. Les merveilles que Jésus opère les déroutent. La foule qui soutient ce nouveau Maître représente un danger potentiel de conflit au sein de la communauté juive et donc avec l’autorité romaine d’occupation.
Jean sait tout cela. Il a le cœur incliné vers le Maître. C’est pourquoi le Maître a pour lui un amour de prédilection. Jésus ne désespère pas de conduire Jean plus loin encore, mais aussi d’obtenir pour ses chers apôtres la même garde du cœur, le même amour que celui du fils de prédilection. A cet instant nous n’y sommes pas encore. L’heure est grave. La réalité des cœurs va se dévoiler. Car les épreuves mettent à nu les intentions et les orientations les plus secrètes des âmes. Les épreuves, particulièrement celles qui nous touchent dans ce que nous avons de plus cher, déchirent les voiles les plus convenus des visages mal accordés en profondeur à l’amour du Maître.
Jésus en est bouleversé au plus intime de lui-même. Jean a vu, d’une vision qui goûte de l’intérieur ce qu’elle voit. Il nous rapporte en quelques lignes le tour dramatique que prend la relation du Maître avec ses plus proches disciples, ceux à qui ils confient en cette nuit unique le soin d’achever sa mission pour l’humanité entière. Juda tant aimé, et sans doute le plus brillant du groupe, va trahir le Maître. Pierre le futur premier pape va le renier.
N’imaginons pas que parce qu’il fallait que s’accomplissent les Ecriture tout était joué, disons prédéterminé. Que Juda et Pierre, nous avec eux, serions les marionnettes d’un Dieu dont le plan serait entièrement dessiné d’avance pour notre perte ou notre salut. Dieu le Père n’est pas le grand architecte qui a tout écrit d’avance pour que nous soyons ses exécutants sur le terrain de l’histoire des hommes. Ce que disent les Ecritures c’est le sens de l’histoire, le but vers lequel Dieu veut nous mener, la source d’où nous venons et où nous allons suivant le fleuve divin de l’amour qui porte le monde. Le chemin de cette Alliance d’Amour s’il est tracé n’est pas joué d’avance. Dieu nous aime trop. Il ne nous a pas donné une liberté d’esclave servile. Il nous offre la merveilleuse liberté de collaborer à son merveilleux dessein d’amour. Avec Lui nous avons à écrire l’histoire de nos vies fondées dans une alliance éternelle avec sa volonté d’amour de nous conduire à Lui, Lui par et en qui tout a été créé.
Juda et Pierre ont été choisi comme tous les autres dans un long colloque d’amour entre le Père et Jésus. Chacun est aimé de manière totalement unique. Jésus connaît l’extrême diversité des personnalités qu’il a choisies pour fonder son Eglise. Il s’en réjouit pour autant que chacun va contribuer diversement à bâtir son Corps qui est l’Eglise.
Lui même, Jésus, n’était pas prédéterminé à la Croix par une volonté sadique du Père. Il est venu offrir la Miséricorde du Père, ce qu’il dit aux envoyés du Baptiste: "Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu: les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres; et heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi!" Lc 7, 20 Jésus rejeté par une partie des siens prend la décision d’assumer ce refus pour ne pas laisser l’homme à son péché. Librement, dans sa communion d’amour avec le Père, il prend résolument le chemin de Jérusalem espérant toujours sortir ses opposants de leur endurcissement de cœur. Il veut les convaincre de recevoir par lui la Miséricorde du Père afin d’être vraiment libre de la liberté de Dieu. Les Ecritures nous disent que Dieu a résolu de nous sauver. Ps 71,3 Le comment n’est pas écrit d’avance, contraignant son Fils à une mort sadique pour satisfaire la justice du Père. La liberté du Fils est pleine et entière. En un mot quand le Fils découvre qu’il n’a plus d’autre moyen de convaincre ses adversaires que d’accepter de mourir pour eux, en prenant sur lui le fardeaux trop lourd de leurs péchés, il se jette dans le cœur du Père trouvant la force d’aller aussi loin dans leur volonté commune que cet abaissement qui seul pourra nous relever.
Le drame est là qui se joue dans la liberté de chacun. Son cher Juda à qui il tend encore une dernière part du pain de l’amour dans un ultime espoir de le retenir d’une trahison plus dangereuse pour lui que le supplice qui en découlera pour le Maître trahi, voici son cher Juda qui fait le jeu de Satan. Le diable est toujours là pour nous dire de prendre les biens reçus de Dieu afin de nous faire dieu par nous même. Il est probable que Juda veut livrer Jésus pour que celui-ci fasse un signe éclatant qui convaincra les grands prêtres, et peut-être qu’au passage il pourra en récolter quelque bénéfice financier. Pauvre de lui et pauvre de nous car l’amour ne s’achète ni ne contraint par force. Il s’offre en toute faiblesse et impuissance. Il se livre et se donne jusqu’à mourir pour celui qu’il aime. « Nul ne peut servir Dieu ou l’argent. » Lc 16, 13
Quand nous déclinons notre liberté à ne faire que ce que nous voulons par nous-mêmes, sans Dieu et sans les autres, « il fait nuit » dans nos cœurs. Nuit à mourir au bout de la corde que nous tendons nous même pour notre plus grand malheur. Car l’ambition autant que l’argent aveugle à ne plus comprendre la Miséricorde qui nous sauverait encore du suicide.
Le brave Pierre, au tempérament si brut de décoffrage, mais au cœur si bon, me ressemble bien dans mes grandes déclarations d’amour et de fidélité. Il ne sait pas, et moi non plus, à quel point le péché originel a abîmé notre belle liberté reçue de Dieu pour choisir non les grands discours mais l’héroïsme de l’amour qui va jusqu’à mourir par amour et pour l’amour. Les belles paroles et les illusions du paraître cachent notre misère profonde à nos propres yeux. Or « sans moi vous ne pouvez rien faire » Jn 15,5 lui avait pourtant dit Jésus. Pierre est resté, lui, avec le Maître, ne sortant pas dans la nuit comme son frère Juda. Il ne pense pas que la croix puisse advenir à son Maître. Il ne s’aperçoit pas qu’à sa manière il pactise avec Satan sans pour autant vouloir aller jusqu’à livrer Jésus pour que sa mission messianique réussisse. Le diable est toujours fort pour nous susciter des combines brillantes afin d’être avec le Seigneur tout en faisant subtilement notre volonté propre. Arrive le jour où le choix radical du Maître nous oblige à dévoiler ce qu’il y a au fond du fond de notre âme. « Je ne connais point cet homme » Mt 25, 12 criera par trois fois le renégat et futur pape. Et les beaux discours d’être avec le Maître pour toujours volent en éclat. Pierre pleure des larmes d’âme au jardin du reniement... La peur s’empare de lui. Son péché lui pèse plus lourd que des boulets de canon au pied d’un condamné. Il ne se mesurera pas avec Jean à la course au tombeau, le matin de Pâques.
Ses yeux baignés de larmes voient le regard du Maître. Son péché cependant n’a pas envahi tout son cœur... Lorsque le Maître reparaîtra il confessera son amour, même timidement. La Miséricorde du Crucifié Ressuscité le délivrera de ce mal originel qui sépare l’homme à l’intime de lui même d’avec lui même. Alors il pourra rendre à son tour le suprême témoignage, celui du martyr par amour. Alors il se souviendra en toute humilité du feu de la cour qui entendit son reniement. Pierre donnera sa vie mais, humblement, derrière son Maître, la tête à l’envers. Il laissera à Jésus de la lui mettre à l’endroit pour l’éternité. Quand à Juda, laissons à Jésus ce qui concerne son sort.... Silence qui accepte que le Maître est seul juge. Silence qui nous invite d’abord à être vrai avec nous-mêmes pour suivre le Maître dans son abaissement, puisque Pierre nous enseigne que « le Christ aussi a souffert pour nous, nous laissant un modèle afin que nous suivions ses traces. » 1 Pi 2, 21