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Sunday 3 April - Homélie du dimanche de la Divine Miséricorde
Je ne crois que ce que je vois !
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireDepuis une semaine, nous ne vivons qu’une seule journée, la folle journée de Pâques ! Au petit matin, Marie-Madeleine se rend au tombeau, Pierre et Jean y accourent ; et, dans le jardin du cimetière, des hommes en blanc annoncent que le crucifié « n’est pas ici, il est ressuscité ».
Le même jour, dans l’après-midi, deux disciples prennent la route d’Emmaüs. Et là, ils sont rejoints, sur leur chemin de désespoir, par un voyageur qui réchauffe leurs cœurs et se révèle à eux en rompant du pain : leur ami et Seigneur, c’était bien lui qui marchait avec eux !
Le même soir encore, d’autres disciples se sont enfermés dans une maison. Ils ont peur ; ils ont verrouillé leurs portes. Mais il en faut plus pour arrêter Celui qui a roulé la pierre du tombeau : « Jésus est là, au milieu d’eux ».
Quelques temps après, les deux disciples renversés sur le chemin d’Emmaüs reviennent en toute hâte, pour dire à leurs amis ce qu’ils avaient eux-mêmes constaté : Jésus est ressuscité ! Et quand tous sont réunis, encore stupéfaits par cet événement plus grand que le plus grand de leurs espoirs, de nouveau, Le voici qui se tient au milieu d’eux. Il leur demande alors s’ils ont quelque chose à manger ; du poisson grillé fera l’affaire, et il le mange devant eux.
Quelle journée, n’est-ce pas ? Des rencontres et des témoignages, qui concordent tous sur la même conviction : Jésus, leur maître et leur ami, qui est vraiment mort, s’est réellement manifesté à eux ! Un homme avec lequel on peut parler et qu’on peut toucher… non pas un esprit ou un hologramme ; mais lui, homme crucifié, portant les marques des clous… et pourtant bien vivant !
On aurait sans doute aimé faire partie de ces témoins ! Mais nous nous reconnaissons sans doute davantage en Thomas, qui était absent lors des événements extraordinaires, et qui semble avoir bien raison de ne pas prendre les déclarations de ses amis pour argent comptant. Ressuscité d’entre les morts ! Et plus quoi, encore ? Les disciples ne prennent-ils pas leurs désirs pour des réalités ? Leur déception ne les fait-ils pas divaguer ? Sans compter la peur, qui aide rarement à voir les choses objectivement… En fait, il est plein de bon sens, Thomas – notre « jumeau - quand il reconnaît simplement : « si je ne vois pas… je ne croirai pas ».
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Ne croire que ce que l’on peut voir ! Une tentation tellement fréquente qu’elle est devenue comme une expression : « moi, je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois ! » C’est souvent ce qu’on nous lance, comme un défi : « prouve-moi que Dieu existe, et j’y croirai ! » Nous avons certainement tous été confrontés à ce genre d’interpellations ; et peut-être déstabilisés de ne pas savoir quoi répondre à cet énoncé paradoxal : « Prouve-le moi et j’y croirai ! »
Même s’ils sont d’une autre nature que les apparitions du Ressuscité à ses disciples, des événements comme ceux qu’a vécus ici Benoîte Rencurel ne font qu’accentuer cette interrogation : si elle – comme bien d’autres dans l’histoire de l’Église – ont eu des manifestations célestes, leur permettant de voir ce qu’ils croyaient, pourquoi n’est-ce pas le cas pour nous tous ? Ce serait quand même pas mal d’avoir juste une petite confirmation, juste une petite vision nous assurant que nous avons raison de croire, raison de confesser la résurrection du Christ, raison d’espérer en la vie éternelle !
Oui, Seigneur, rien qu’une petite apparition, pour nous ce matin ! Pour confirmer que nous faisons bien de croire en Toi, quand tant d’autres pensent que Tu n’existes même pas. Rien qu’un petit signe, Seigneur - mais bien clair quand même, car nous n’aimons pas ce qui reste trop obscur ! Rien qu’un petit signe pour nous montrer que nous avons fait le bon choix de croire en Toi ! Rien qu’un petit miracle ; ce n’est pas grand-chose pour Toi, le Tout-Puissant ; alors que, pour nous, ce serait l’occasion de confirmer vraiment la foi qui nous habite… Et, promis, nous serons ensuite d’infatigables témoins de l’Évangile, nous donnerons tout ce que nous avons pour que d’autres croient en Toi ! Allez, Seigneur… rien qu’une petite apparition, s’il te plaît !...
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On dirait bien qu’Il ne veut pas nous donner cette évidence ! Pourtant, si le Christ se manifestait visiblement à tous, nos églises se rempliraient tout de suite ; nos familles et nos voisins se convertiraient comme un seul homme ; plus de guerres entre les religions, plus d’être humain pensant venir du néant pour aller au néant, plus d’humanité centrée sur elle-même… ce serait le paradis !
Mais devant le Seigneur qui ne répond pas à cet argumentaire pourtant séduisant, je m’interroge sur le sens de ma demande : Si le Seigneur avait voulu apparaître en toute évidence à l’humanité entière, il l’aurait fait. Tout serait tellement plus simple, c’est sûr. Mais que seraient nos liturgies, nos prières, nos invocations de toute sorte, si elles étaient simplement l’expression d’un constat d’évidence plutôt que l’élan d’un cœur confiant ? Que seraient la beauté de nos vies et l’enjeu de nos engagements avec leur part d’inconnu tellement enthousiasmante, s’il suffisait juste de prendre acte de l’existence de Dieu comme on le fait de la vérité d’un théorème de mathématiques ?
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D’ailleurs, même ceux qui ont reçu cette grâce particulière et redoutable de voir ce qu’ils ont cru n’ont pourtant pas été dispensés de croire. C’est ce que nous comprenons dans l’appel lancé par Jésus à Thomas : « Cesse d’être incrédule, soit croyant » (Jn 20, 27). Il ne lui dit pas : « tu aurais dû être croyant », mais : « sois croyant ». Même après avoir vu et touché le Ressuscité, Thomas doit encore devenir croyant.
Car il a mis sa main dans le côté ouvert du Ressuscité ; il a touché, pour ainsi dire, l’amour qui s’est déversé à flots sur la croix. Il a été en contact avec la source d’où jaillit toute miséricorde. Et c’est maintenant qu’il doit croire. Il découvre alors – et nous avec lui - que la foi véritable n’est pas un constat sans plus aucun doute ; avoir la foi, c’est vivre dans la grâce d’avoir touché du doigt la miséricorde, qui se déverse à grands flots sur le monde depuis le côté ouvert du Ressuscité !
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En cette année sainte et en ce dimanche de la divine miséricorde, nous voici donc placés devant le grand mystère de notre foi. Non pas seulement une sorte de pari raisonnable sur l’existence ou non d’une force supérieure qu’on appelle « Dieu ». Même pas une confiance un peu folle en des disciples aux témoignages discutables et que nous aurions la naïveté de croire, alors que les événements de la vie semblent si souvent affirmer le contraire !
Non, ce n’est pas cela, la foi. C’est la conviction, au plus profond de nous-mêmes, que l’amour de Dieu se répand sans cesse, à grands flots, dans nos cœurs et sur le monde ; C’est la vérité, plus forte que tout argument et plus réelle que toute expérience sensible, de la miséricorde divine dont nous expérimentons à chaque souffle, à chaque battement de cœur, combien elle nous porte, nous encourage et nous relève sans cesse. C’est cela, la foi ! C’est cela que Thomas est appelé à croire : la foi comme rencontre personnelle avec le Dieu de miséricorde et rencontre communautaire avec le Sauveur de l’humanité.
Alors, c’est ce que je vous propose de demander au cours de cette messe : pensez à une personne, à plusieurs si vous voulez, à une foule si vous êtes gourmands : pensez à ceux qui n’ont pas encore rencontré personnellement le Christ, afin qu’ils ne restent pas, comme les disciples, enfermés dans des maisons verrouillées ; ou qu’ils ne soient pas, comme Thomas, absents quand le Seigneur vient les rejoindre. Et si c’est vous-mêmes, celui ou celle dont la porte est verrouillée à la foi, qui est absent au rendez-vous de l’espérance, laissez-vous porter aujourd’hui par ce que nous sommes venus célébrer ensemble.
Que le sacrifice de cette Eucharistie, le sacrifice de notre heure de prière et de notre élan d’amour généreux pour les autres, ouvre en ce jour de la Divine miséricorde de nombreux cœurs, pour qu’ils reçoivent les flots de miséricorde jaillis du côté ouvert du Sauveur ! Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Alléluia !