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Sunday 12 February - Homélie du 6e dimanche du temps ordinaire, année B
"Intouchables !"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
« Intouchables ». Depuis novembre dernier, ce terme évoque un film à succès, reposant sur l’histoire vraie de deux hommes - l’un tétraplégique, l’autre jeune de banlieue – qui s’estiment intouchables parce qu’ils pensent avoir tellement connu le pire dans leur vie, que rien désormais ne semble plus pouvoir les toucher.
« Intouchable » : c’est aussi ce qu’est ce lépreux, dont le drame est d’avoir été atteint par cette terrible maladie qui ronge la peau. Lui n’estime pas que rien ne peut plus le toucher ; c’est personne qui ne peut l’approcher. Sa maladie l’a conduit, comme tous les lépreux d’alors, à un isolement social définitif, au point de devoir annoncer à haute voix son isolement : « impur, impur », lui fait crier la loi de Moïse.
Mais devant Jésus, son cri devient autre : « si tu le veux, tu peux me purifier ». Et d’intouchable, il devient touché : « Jésus étendit la main et le toucha ». De touché, il devient purifié ; de purifié, il devient porteur d’une bonne nouvelle.
* * *
Pour saisir toute la portée de ce contact entre Jésus et le lépreux, il faut savoir à quel point, dans la mentalité sémitique d’alors, les questions de pur et d’impur avaient une place prépondérante ; non seulement pour des questions sanitaires, qu’on peut à la rigueur comprendre face à une maladie si contagieuse ; mais surtout pour des raisons spirituelles. La transmission de l’impureté était particulièrement redoutée, comme on le voit dans la parabole du bon Samaritain ou un prêtre et un lévite préfèrent conserver leur pureté rituelle plutôt que se souiller en secourant un blessé, déjà mort peut-être.
En touchant le lépreux impur, Jésus devrait donc devenir impur à son tour. Mais pour révéler quel bouleversement s’opère en sa personne, c’est la pureté du Christ qui purifie le lépreux : les choses sont renversées. Par le Christ, Dieu fait homme, la question n’est plus tant de craindre le contact d’impureté que de chercher le contact qui purifie.
Tel est le cœur de notre foi : nous ne sommes pas appelés à suivre des règles pour éviter les impuretés. Nous savons bien, par exemple, qu’il serait aberrant de nous penser purs parce que nous ne mangeons pas de viande les vendredis de Carême ! La sainteté ne se joue pas dans ce registre de la terre : c’est du Ciel qu’elle nous vient, comme un don de Dieu qui se communique.
En notre sanctuaire, lors des nombreuses confessions qui s’y vivent, on peut déceler fréquemment des relents de puritanisme, au sens premier du terme : penser que la purification va venir de nous-mêmes. Et c’est finalement le lit du désespoir, car sans cesse nous retombons dans le péché. Certains vont même, de bonne fois, renoncer à se confesser en estimant que, de toute façon, ils n’arriveront pas à changer. Il reste toujours en nous de l’impureté.
La guérison du lépreux nous montre que ce n’est pas la bonne manière d’envisager le salut en Jésus-Christ. Car la sainteté ne se conquiert pas en évitant les impuretés ; elle se reçoit, par contact avec le seul Saint, le seul Pur.
Pour nous le révéler, Jésus touche le lépreux. Il accepte ainsi d’apparaître comme impur aux yeux des autres. Mais c’était déjà une annonce de ce qu’il accomplirait sur la croix, et dont saint Pierre rendra témoignage dans cette hymne que nous chantons tous les dimanches du Carême : « c’étaient nos péchés qu’il portait dans son corps, sur le bois ».
L’innocent prend la place des coupables, comme l’Evangile d’aujourd’hui nous le montre : si le lépreux est libéré par le Christ de son isolement social, c’est le Christ lui-même qui devient l’isolé : « il n’était plus possible à Jésus d’entrer ouvertement dans une ville, souligne saint Marc. Il était obligé d’éviter les lieux habités », comme le lépreux devait le faire auparavant.
Mais alors qu’aux yeux des hommes, l’innocent n’est pas reconnu au point qu’on va le crucifier, pour le Père des Cieux, il en est autrement : et d’innocent accusé pour les coupables, le seul pur rend les coupables innocents ; et nous voilà sauvés !
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La guérison du lépreux nous dit autre chose encore, par le fait-même de cette maladie terrible. Dimanche dernier, nous entendions le récit de la guérison de la belle-mère de Pierre, atteinte d’une forte fièvre. Que le Christ parvienne à calmer la fièvre - celle du corps comme celle des pensées - est quelque chose de concevable. Mais la lèpre, quand la peau a été rongée, le Seigneur peut-il encore la guérir ?
L’Evangile de ce jour nous le montre clairement : rien n’est plus fort que l’amour du Christ. Et même quand il nous semble que la maladie l’emporte jusqu’à conduire à la mort, c’est encore la foi en la force du Christ qui est la nôtre, par l’espérance qui a été déposée en nous.
Déconcertés et profondément touchés par les drames de nos vies personnelles, familiales, et par les souffrances du monde, nous tournons les yeux vers Celui qui est sorti vivant du tombeau : il l’a emporté sur la lèpre, il l’emporte aussi sur cette autre dégradation du corps qu’est la mort.
Par anticipation, avec la résurrection de Lazare - quand ses proches avaient reconnu sans pudeur : « il sent déjà » car l’œuvre de décomposition du corps avait commencé - le Christ n’avait pas écouté cette objection à son action puissante, et il avait ressuscité son ami. A plus forte raison, la décomposition n’a pas pu faire son œuvre sur le corps du Sauveur mis au tombeau ; et dans l’Assomption de la Vierge Marie, nous reconnaissons aussi la puissance du Seigneur sur la mort, puisque sa Mère est élevée au Ciel sans que son corps subisse de décomposition.
La guérison du lépreux est ainsi l’annonce de la résurrection ; et si pour nous et pour nos proches, l’œuvre naturelle de décomposition fait et fera son œuvre, la puissance du Christ sur la lèpre et sur la mort nous assure de la résurrection au dernier jour.
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C’est d’ailleurs pourquoi le lépreux ne peut pas se taire : la bonne nouvelle qu’il porte est trop grande, trop importante pour qu’il garde le silence, au cœur d’une humanité qui souffre tant.
En fait, on assiste apparemment, dans l’Evangile d’aujourd’hui, à un étrange jeu de paroles et de silences entre Jésus et le lépreux : le Christ lui demande le silence, mais il précise qu’en allant se montrer au prêtre, sa guérison sera « pour les gens un témoignage », c’est donc qu’il y aura bien une forme de publicité sur l’événement. Le lépreux, reconnaissant à l’égard du Christ qui l’a guéri, ne lui obéit cependant pas, et il « se met à proclamer et à répandre la nouvelle ». Que peut-on comprendre de cette scène d’apparente désobéissance ?
D’abord, on comprend l’objectif du Christ : ne pas être recherché par les foules pour ses seules œuvres de guérison. Il nous rappelle ainsi que, bien entendu il est à l’écoute de nos souffrances physiques, mais que son salut dépasse le seul cadre de notre besoin du moment. De sauveteur, pour libérer maintenant d’une situation de péril, le Christ veut être reconnu comme Sauveur, pour une libération éternelle.
Le Seigneur sait bien qu’il aura plus de monde à sa suite s’il guérit toute maladie plutôt que s’il invite à le suivre sur le chemin de la croix. Et nous voyons, de nos jours, des foules se presser pour aller voir des guérisseurs de toutes sortes, dans des démarches irrationnelles affolantes ; mais on préfère une libération, quitte à faire abdiquer la raison, voire à vendre son âme, plutôt que suivre le Christ dans son passage de la mort à la vie, passage qui ne peut faire l’économie de la croix. Nous n’en voulons pas de la croix, même si c’est le Christ qui en a porté tout le poids.
En ce dimanche des malades, le paradoxe du geste puissant du Christ accompagné d’une exigence de silence nous appelle à bien savoir ce que nous demandons au Seigneur quand la maladie nous touche personnellement, chez l’un de nos proches, ou chez des inconnus. Prions-nous un guérisseur ou le Sauveur ?
C’est-à-dire aussi : prions-nous dans l’exigence d’être exaucés, ou dans la confiance que le Sauveur agit même quand nous constatons une apparente défaite. Combien de fois avons-nous prié, particulièrement en ce sanctuaire, pour la guérison d’un malade ? Et c’est finalement la mort qui l’a emporté, du moins en apparence. Le silence demandé par Jésus au lépreux peut ainsi devenir notre silence, quand à nos yeux la demande de guérison n’est pas exaucée : silence devant le mystère du salut qui est à l’œuvre et d’un Dieu qui ne laisse jamais tomber.
Qui sait si nos prières pour demander une guérison ne peuvent devenir, pour le Seigneur, un ferment qui permet au plus vite à celui pour qui nous avons prié, d’accéder au Paradis ?
Rien n’est jamais perdu avec le Christ, voilà notre plus grande espérance !
Amen.
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