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Sunday 23 February - 7e dimanche du temps ordinaire
Inaccessible accessible
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireÀ noter : cette homélie a été prononcée en conclusion de la semaine de ski-spi au sanctuaire Notre-Dame du Laus. Elle s’inspire donc de ce qui a été vécu par les participants au cours de cette semaine.
Chers amis, cette messe, qui marque la fin de notre semaine ensemble, nous offre un drôle d’Evangile comme bouquet final ! Car, franchement, serait-il raisonnable d’exiger d’un skieur à peine à l’aise sur des pistes vertes d’aller dévaler la plus difficile des pistes noires ? Ce serait dangereux, décourageant et tout simplement pas possible. Pourtant, ça a l’air d’être un peu la même chose que Jésus exige de nous aujourd’hui. Il nous demande d’aimer nos ennemis. Or, déjà, ceux qui ne sont pas nos ennemis, nous avons bien du mal à les aimer vraiment, totalement, gratuitement… nous ne sommes pas doués en amour sur piste verte, et pourtant Jésus nous demande de dévaler une piste noire : « aimez vos ennemis ». Et une autre piste noire, encore plus inaccessible sans doute : « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Est-ce que Jésus ne nous demande pas ici l’impossible ?
« Soyez parfait » : ce n’est pourtant ni un conseil, ni une option, c’est un ordre ; un commandement, si vous préférez ; en tous cas, c’est incontournable pour qui veut suivre Jésus. En cette fin de semaine, où s’achève pour nous tout un parcours sur les pistes, mais aussi sans doute dans notre vie intérieure, nous devons bien nous dire que nous n’avons pas le droit de faire la sourde oreille à ce commandement du Christ.
Plus encore : si Jésus nous demande l’amour des ennemis et la perfection de notre vie, s’il l’exige même, c’est que c’est possible ! Puisque le Seigneur veut notre bien, ce qu’il nous demande est forcément bon, désirable. Alors, en entendant ce commandement exigeant, plutôt que douter d’y arriver, nous devrions en faire l’objectif de notre vie et l’attention de chaque instant.
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Etre parfait : c’est ce que nous devons chercher par-dessus tout, parce qu’aucun disciple de Jésus ne devrait se satisfaire d’un état inférieur à la perfection. Dieu nous a faits capables d’amour, il a tout orienté en nous vers l’amour. Or, le propre de l’amour, c’est d’aspirer à monter toujours plus haut. En effet, on ne peut jamais dire à quelqu’un : « je t’aime assez », on doit toujours aimer davantage, renoncer avec plus de résolution à soi-même, suivre avec plus de proximité le chemin du Christ. C’est cela, l’appel du Christ à ce que nous soyions parfaits.
Bien sûr, nous sommes tous habités par des faiblesses et traversés par des désirs contradictoires. Nous sommes aussi limités, mais la perfection ne consiste pas à nier notre nature humaine nécessairement limitée. La perfection, c’est d’aller jusqu’au bout de ce que notre nature nous rend capables de faire, et même davantage puisque nous sommes déjà ressuscités avec le Christ depuis le jour de notre baptême.
Nous savons bien que personne d’autre que le Christ n’a jamais atteint la perfection, personne ne l’atteindra jamais sur terre. Mais justement, parce qu’elle est une quête et non un état auquel on pourrait s’estimer un jour parvenu, la perfection nous pousse toujours plus en avant, toujours plus haut. La perfection est un mouvement de croissance, une tension vers le meilleur dont nous sommes capables. Et c’est sans doute cela que Jésus veut nous dire : oui, nous sommes pécheurs, mais nous sommes capables d’un « meilleur » que nous ne soupçonnons peut-être même pas, et vers laquelle nous ne pourrons jamais nous orienter si nous sommes convaincus que ce n’est pas pour nous.
Or, Jésus nous dit clairement aujourd’hui : la perfection, c’est pour toi ! La sainteté, c’est pour toi ! La croissance jamais achevée vers un amour plus gratuit et plus entier, c’est pour toi !
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Le problème avec la perfection, ce n’est pas tant qu’elle nous paraisse inatteignable qu’elle est une réalité qui peut s’éloigner quand on veut l’approcher. On ne devient pas parfait en essayant d’être parfait ; parce qu’alors, on joue un rôle, on cherche à obtenir une médaille, on pense que tout va dépendre de nous. Mais la perfection ne s’atteint pas comme un premier flocon ou une deuxième étoile au ski !
La perfection n’est pas un effort pour tenter d’obtenir la médaille d’une vie impeccable ; c’est un mouvement de croissance pour tenter de rejoindre Dieu. Etre parfait comme notre Père céleste est parfait, ce n’est pas parvenir à la perfection de Dieu, mais c’est accepter de s’unir au seul Parfait pour que notre vie prenne de la consistance et se fonde toujours plus sur le bien. La perfection n’est pas à rejoindre comme un but, elle est à laisser nous gagner comme une source qui abreuve.
C’est pourquoi la vraie perfection chrétienne, c’est d’être vraiment enfants de Dieu. En nous appelant à la perfection, Dieu veut nous faire participer à sa vie. « Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait » pourrait se traduire ainsi : soyez enfants de Dieu comme Lui-même est votre Père, sans que rien n’aille à l’encontre de cette filiation.
C’est d’ailleurs bien ce qu’exprime ce difficile commandement de l’amour des ennemis : « aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux » (Mt 5,45). La perfection chrétienne ne consiste donc pas à seulement se garder d’enfreindre la loi, mais à entrer dans la logique de Dieu, qui est nécessairement une logique de rupture avec la haine : « afin d’être vraiment les fils – les enfants – de votre Père qui est aux cieux ».
Si la violence et la haine sont une chaîne dont nous ne sommes qu’un maillon, soyons le premier maillon à céder pour rompre la logique de violence ; c’est cela, la perfection. Défaire le mal afin de parfaire le bien. Si rendre le mal pour le mal est instinctif, rendre le bien pour le bien est humain, rendre le bien pour le mal est divin. Aimer comme Dieu aime, en rendant toujours le bien pour le mal : cette perfection est à notre portée. Ne nous mentons donc pas à nous-mêmes : cette perfection est à notre portée !
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Jésus nous appelle donc en fait à un changement radical de mentalité, pour penser à partir de Dieu et non à partir de la terre. Et alors, nous savoir lucidement bien loin de la perfection, c’est la première marche, indispensable, pour avancer vers la perfection.
C’est prendre conscience que ce n’est pas une question d’amélioration d’abord, mais de changement de registre : non plus penser la réalité humaine de manière autonome, mais la penser à partir de Dieu. Non plus le registre de la nature, mais celui de la grâce.
En conclusion, s’il est naturel de mordre quand on se fait mordre, il est de l’ordre de la grâce de rendre l’amour quand on reçoit de la haine, puisque le Christ a fait ainsi sur la croix. Notre perfection, c’est de faire à chaque instant comme Jésus a fait, puisque l’être humain parfaitement accompli, c’est Jésus. Alors, pour être parfait, écoutons le Christ, regardons le Christ, laissons-le vivre en nous chaque jour, comme nous l’avons sans doute bellement laissé vivre en nous au cours de cette semaine. Amen.