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Sunday 2 September - 22e dimanche du temps ordinaire
Hypocrites !
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireHypocrites !
Voilà comment Jésus s’adresse aux notables et aux chefs religieux : « Isaïe a fait une bonne prophétie sur vous, hypocrites ». Il leur reproche rien de moins qu’un culte « inutile » et une religion étouffée par des règles de purification qui ne reposent que sur des traditions sans doute respectables, mais qui en deviennent inconcevables quand elles sont vues comme des conditions pour mériter Dieu.
Hypocrites. Sommes-nous certains que cette accusation ne s’adresse pas aussi à nous ?
Le sanctuaire Notre-Dame du Laus est éminemment un sanctuaire de lutte contre l’hypocrisie. Nous aimons à rappeler, ici, qu’au moment où Benoîte avait les premières apparitions de la Vierge Marie, au Vallon des fours – nous sommes début mai 1664 – Molière présentait pour la première fois, à la cour du roi Louis XIV, sa pièce de théâtre le Tartuffe.
Ce que d’aucuns considèrent comme une simple coïncidence de dates peut aussi être perçu comme une confrontation : la dénonciation de l’hypocrisie religieuse chez Molière, pour justifier le libertinage qui lui, au moins, serait franc et honnête ; ou la dénonciation de cette même hypocrisie au Laus, pour la convertir à la vérité, comme la Vierge y encourage tous les pèlerins.
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Le terme grec hupokrisis signifie justement d’abord l’action de jouer une pièce de théâtre. Dans le théâtre de Molière, les spectateurs savent bien que les acteurs jouent un rôle. Ils portent parfois des masques bien visibles, ils feignent d’être différents de ce qu’ils sont réellement. C’est le jeu du théâtre.
Mais l’hypocrite, c’est celui qui joue un rôle sans que les autres ne le sachent : il fait croire une chose, alors que c’est une autre qui l’habite en profondeur. Nos esprits trompeurs peuvent même nous conduire à une hypocrisie qui nous cache la réalité à nous-mêmes. Mais le seul que nous ne pouvons pas tromper, c’est le Seigneur, lui qui « sonde les reins et les cœurs », comme dit le prophète Jérémie (Jer 17, 10).
Nos possibles hypocrisies, c’est d’abord dans le domaine relationnel qu’elles peuvent apparaître les plus évidentes : devant les autres, nous portons souvent des masques, nous jouons des rôles, nous nous complaisons dans une belle apparence de nous-mêmes. Et nous savons que, dans le quotidien, l’hypocrisie peut facilement prendre les formes de la flatterie, de la bonne conscience ou de la critique acerbe des autres, dans leur dos bien entendu.
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Mais l’insistance du Christ, à plusieurs reprises dans ses confrontations avec les pharisiens, n’est pas tant sur l’hypocrisie relationnelle que sur l’hypocrisie religieuse. « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi », constatait déjà le prophète Isaïe.
Il est facile d’honorer des lèvres, de chanter, de dire de belles prières et de croire ainsi avoir l’âme en paix ; mais ça peut être une terrible illusion, une façade, un vernis spirituel pour ne pas aller voir, plus en profondeur, toutes nos incohérences.
Et cette Parole : « Il est inutile, le culte qu’ils me rendent » a de quoi nous bouleverser. Savez-vous qu’il est inutile que vous vous soyez levés ce matin pour venir ici, si votre foi est hypocrite ? Le Christ ne dit pas alors que notre pratique religieuse est perfectible ; il dit qu’elle est inutile. Si le mot est si grave, c’est que la réalité doit l’être vraiment. Alors aujourd’hui, démasquons nos hypocrisies spirituelles pour ne pas être venus en vain à la messe, et pour être en vérité devant notre Seigneur.
La première hypocrisie religieuse, c’est l’apparence de la profondeur spirituelle. Quand il peut nous arriver de feindre d’être abîmés en prière, pour ne pas saluer un voisin de banc d’église, pour éviter le geste de paix ou pour être admirés en raison de notre apparente capacité à prier. C’est la vie spirituelle de l’enfermement sur soi, qui peut être une terrible hypocrisie envers nous-mêmes, car nous pensons peut-être faire plaisir au Seigneur en lui consacrant du temps, alors que cette concentration dans la prière n’est, dans ces circonstances, qu’une fuite de la réalité.
Mais l’insistance du Christ est plus encore sur l’hypocrisie des rites : se réfugier derrière des gestes précis, en croyant ainsi être juste et en règle avec Dieu. Or, la sainteté ne se joue évidemment pas dans le respect de telle ou telle position à la messe, ou dans l’attention à ne pas manger de viande les vendredis de Carême. Respecter la forme est fort louable, mais à condition que cette forme soit le soutien d’un fond, qui appelle tout notre être à correspondre à ce que nous faisons extérieurement.
Une troisième hypocrisie - qui n’est pas spécifique à la vie religieuse, mais qui est particulièrement grave en ce domaine - c’est le souci hypocrite de l’apparence pour obtenir la reconnaissance des autres. On verra ainsi des personnes assumer courageusement des services dans l’Eglise ; on pourra les trouver très dévouées, toutes données, alors qu’en fait, elles peuvent agir pour exercer un petit pouvoir ou pour justifier leur existence.
C’est donc notre sens du service qui est ici interrogé : lorsque nous rendons un service, quelle est notre motivation ? Le don véritable, quand notre main gauche ignore ce que donne notre main droite ? Ou le désir d’être admirés, félicités, voire peut-être même plaints (car la plainte peut cacher aussi une forme d’orgueil) ? Bien entendu, la reconnaissance n’est pas en soi un mal : dans un couple ou dans la vie sociale, il est bon d’être reconnu, estimé, encouragé. Mais nous ne pouvons pas agir dans ce but, quand nous servons celui qui est la Gratuité-même.
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Enfin, si Jésus s’adresse spécifiquement aux pharisiens, c’est que l’hypocrisie religieuse est un risque qu’encourent particulièrement les responsables du culte. Vous savez, l’attitude d’un prêtre en célébration peut donner l’impression qu’il est particulièrement saint. Sa manière de prêcher aussi, ou de porter des habits lumineux, qui peuvent laisser croire que son âme est de la même étoffe. Mais il faut être lucides : le fait d’avoir une apparence religieuse n’apporte jamais, en soi, la sainteté.
Le Christ parle aussi de l’hypocrisie des chefs religieux, quand ils corrigent les autres sans pratiquer eux-mêmes ceux qu’ils exigent, du haut de leur autorité spirituelle ; et aucun prêtre n’est à l’abri de cette hypocrisie. Il ne s’agit bien sûr pas de penser pouvoir être à la hauteur du message que l’on porte. Le prêtre annonce le Christ, la Parole éternelle, un trésor porté « dans des vases d’argile », disait saint Paul, à partir de sa propre expérience de pauvreté et de péché. Oui, nous sommes des vases d’argile, mais ce n’est pas un prétexte pour se contenter d’attendre des autres ce que nous ne cherchons pas assez à vivre nous-mêmes.
Mis en danger par la possible hypocrisie de leur statut particulier, les prêtres reçoivent souvent de Marie, dans ses interventions auprès de Benoîte, un profond appel à vivre en cohérence avec leur sublime vocation.
C’est pourquoi, aussi, vous devez prier avec ferveur pour vos prêtres ; vous devez les aider à être davantage saints et à rejeter l’apparence confortable et les honneurs humains. En revanche, vous ne les aidez pas en les entretenant sur des piedestals, en les convainquant peut-être, que l’apparence est suffisante ou que la fidélité aux rites n’est déjà pas si mal, quand on voit tous ceux qui les respectent même pas. Priez pour vos prêtres ; aidez-les à correspondre toujours plus à ce qu’ils portent et annoncent.
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Frères et sœurs, l’hypocrisie est le plus grand poison de notre vie d’Eglise : d’ailleurs, si certains de nos contemporains sont disposés à se tourner vers le Seigneur et à suivre une pratique religieuse intense, ils peuvent aussi fuir en courant s’ils perçoivent, dans nos communautés, ces hypocrisies plus ou moins cachées.
Hypocrisie de nos saluts de paix quand, au fond de nous-mêmes, nous ne pensons qu’à maudire ou à à critiquer nos frères et sœurs. Hypocrisie de nous attacher à telle ou telle sensibilité liturgique pour nous boucher les oreilles, en fait, sur le cœur du message du Christ, tellement plus essentiel. Hypocrisie de servir le Seigneur dans des vases dorés, quand nous nous le servons même pas dans les plus pauvres qui demandent notre aide.
Pour lutter contre nos hypocrisies, regardons le visage du Christ. En lui, il n’y a bien sûr jamais en aucune duplicité. Alors, le Seigneur nous restaure à son image. Au sanctuaire du Laus, nous percevons combien le sacrement de la réconciliation opère cette œuvre formidable de restauration dans la vérité. Dans ce sacrement, les masques tombent, tandis que se creusent les désirs de correspondre vraiment à ce que l’on montre de soi. Et nous voilà conduits, par la grâce sacramentelle, à une vie transparente, totalement vraie, donc aussi totalement libre.
Alors, au seuil de cette rentrée qui, pour être scolaire et sociale, peut aussi être spirituelle, nous sommes appelés à vraiment débusquer nos hypocrisies, dans notre pratique religieuse et dans nos rapports aux autres.
Sans complaisances, en ce sanctuaire de vérité, osons bien regarder si nous ne succombons pas parfois à cette tentation de l’hypocrisie. Et, pour cela, demandons sincèrement l’aide de la Vierge du Laus : Marie, qui n’a jamais laissé aucune hypocrisie la gagner, peut grandement nous aider à vivre dans la lumière ; et nous trouverons alors la vraie liberté, et nous avancerons sereinement vers la Vie éternelle, là où tout ne sera que transparence et beauté.
Amen.