Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Friday 25 December - Les leçons de l’incarnation
Homélie du jour de Noël
Par le père Ludovic Frère, recteurLe Verbe s’est fait chair,
il a habité parmi nous,
et nous avons vu sa gloire.
C’est par cette seule parole que saint Jean rend compte du grand mystère de ce jour. « Le Verbe s’est fait chair » : Dieu est venu à notre contact en se faisant l’un de nous. Il a montré son visage, nous l’avons pris dans les bras, il nous a pris dans les siens.
Des rencontres à distance, le Seigneur en avait déjà provoquées à de nombreuses reprises. D’ailleurs, si l’on entend bien le prologue de saint Jean, il ne parle pas du mystère de Noël avant le 14e verset. Tous ceux qui précèdent rendent compte des interventions divines vécues jusqu’alors : « Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. » Éclairés par les Patriarches, les prophètes ou les tables de la Loi, le peuple de Dieu n’était pas abandonné à Lui-même.
Mais alors, pourquoi Noël ? Pourquoi l’incarnation ?
* * *
Ce qui nous vivons depuis de trop nombreux mois apporte une réponse saisissante à cette question. Fêter Noël en temps de pandémie est l’occasion d’une plongée plus profonde que jamais dans le mystère de l’incarnation.
En effet, qu’est-ce qui nous manque le plus depuis des mois ? Sans doute de ne pas pouvoir embrasser nos amis. Mais aussi de ne pas voir les visages, cachés qu’ils sont derrière des masques. Ce qui nous manque encore, c’est le « présentiel » quand on doit se contenter de rencontres par visioconférences ou de salutations familiales par Zoom ou Whatsapp. Ce qui nous manque, c’est de nous approcher des autres sans être contraints à des distanciations physiques, qui deviennent vite des distanciations méfiantes.
Bien sûr, toutes les précautions sanitaires sont nécessaires pour faire reculer la pandémie. Un chrétien doit s’y appliquer de tout cœur. Mais, dans le fond des choses, ces règles sanitaires entrent en choc frontal avec le mystère que nous célébrons aujourd’hui. D’où l’opportunité de revisiter, à la lumière des gestes barrières, ce mystère de Dieu qui abolit toutes les barrières.
* * *
La première barrière que la Nativité fait voler en éclat, c’est la distance entre Dieu et l’humanité. Lui seul est l’Incréé, nous sommes tous des créatures. Distance ontologique infinie ; mais distance creusée encore davantage par nos complicités avec le Mal. Cette distanciation était insupportable pour Dieu qui nous aime infiniment, car elle ne pouvait conduire qu’à une séparation éternelle.
Aujourd’hui, nous contemplons alors le Seigneur qui nous rejoint en présentiel, dans toute la réalité d’une rencontre qui passe par son corps humain. Dieu Trinité, liens d’amour qui s’échangent de toute éternité, veut avec nous une relation concrète et totale. Nous célébrons aujourd’hui la merveille de Dieu qui abolit toutes les distanciations physiques, qui s’intéresse à nous totalement, et qui se fait si proche qu’on n’a plus à craindre ni la solitude, ni l’abandon, ni la mort.
En prenant chair, Dieu nous montre qu’il ne compte pas en rester à des relations virtuelles avec nous. Il vient corps à corps, pour nous rendre tout à Lui : corps, âme et esprit.
* * *
Voilà qui vient même interroger ce que nous avons vécu cette année lors des messes par écran interposé. Le sanctuaire du Laus s’est jeté de tout cœur dans ce service de liens spirituels et fraternels. Nous l’avons fait sans regret, nous continuons à le faire avec ferveur ; mais le mystère de l’incarnation vient nous en convaincre : la présence numérique ne remplace pas le rassemblement communautaire dans une église. Nous avons besoin d’être là réellement, en présentiel, les uns à côté des autres, pour célébrer Dieu qui vient réellement parmi nous et qui se donne en nourriture.
C’est pourquoi aussi, la communion spirituelle ne se substitue pas à l’acte concret de se nourrir du corps et du sang du Ressuscité. Impossible de manger virtuellement, c’est évident. Qui d’entre nous apprécierait un festin de Noël virtuel ? Par son incarnation, le Fils de Dieu nous fait comprendre qu’il n’envoie pas simplement du Ciel quelques messages appétissants, quelques images alléchantes ; Non, Il prend chair, et cette chair de bébé Jésus deviendra plus tard nourriture eucharistique pour la route vers la Vie éternelle.
* * *
Autre grande lumière de ce Noël de pandémie : non seulement le Seigneur vient abolir les distanciations, mais il va même jusqu’à toucher notre crasse. L’enfant Jésus n’est pas frictionné au gel hydroalcoolique avant d’être couché dans la paille ou saisi dans les bras des bergers ; pas davantage de gel hydroalcoolique quand il touchera les lépreux ou relèvera les prostituées ; pas davantage non plus quand il touchera la croix, quand il touchera la tombe avant d’en sortir vainqueur.
C’est la deuxième grande nouvelle de ce jour : Dieu n’a pas peur de se salir à notre contact. D’ailleurs, la seule contamination possible, ce n’est pas de nous vers Lui, c’est de Lui vers nous : au contact de son Amour infini, nos cœurs cessent de vouloir battre pour eux-mêmes ; et si nous y consentons, les germes de péchés sont lavés par sa miséricorde ; et nous voilà guéris !
* * *
La troisième bonne nouvelle de ce mystère de l’incarnation, c’est de pouvoir y contempler Dieu qui prend un visage. Notre Seigneur n’avance pas masqué. Il se dévoile sous les traits d’un bébé et plus tard d’un crucifié nu sur la croix. Pas de masque qui empêche la vérité d’un visage ou cache la sincérité d’un sourire : en Jésus-Christ, Dieu a voulu nous montrer son visage de paix et de miséricorde !
« Celui qui m’a vu a vu le Père », dit Jésus à l’apôtre Philippe. Dieu totalement dévoilé, répondant aux désir de nos âmes, exprimée par le psalmiste : « Seigneur, ne me cache pas ta face » (Ps 27,9). Mais aussi, Dieu qui nous montre son visage pour supplier que nous Lui présentions le nôtre : « Montre-moi ton visage », chante le bien-aimée à sa bien-aimée dans le Cantique des Cantiques (2,14). Église du Seigneur, nous sommes cette bien-aimée qui ne peut offrir à son Dieu d’amour un visage craintif, avançant masqué. Pour faire resplendir l’Église comme épouse du Seigneur, il nous faut être spirituellement des chrétiens avançant sans masque pour montrer leur beau visage de charité. Ce n’est pas ici un appel à retirer les masques de nos têtes, mais de nos cœurs.
Alors, en ces temps où les masques remplacent malheureusement la contemplation des visages, l’appel n’en est que plus pressant : appel à contempler le visage du Christ dans sa Parole et dans ses sacrements ; appel à voir son visage sous les traits des pauvres et dans ceux qui nous sont les plus proches ; appel aussi à présenter au monde, par notre vie, le visage de la bonté et de la bienveillance.
* * *
Au final, dans la crèche, il n’y a ni gel hydroalcoolique, ni masque, ni écran, ni distanciations. Parce qu’en Jésus-Christ, Dieu ne craint pas de se salir, de se montrer, de se donner, de nous toucher. Jésus positif au virus de l’amour qui circule de toute éternité au sein de la Trinité. En prenant chair, le Fils de Dieu nous contamine de ce virus d’amour qui donne sens à notre vie et qui nous ouvre au Ciel. Alors, restez prudents au cours de ces fêtes, sages pour respecter les règles sanitaires, mais fous pour vous laisser encore contaminer par le virus divin de l’amour qui donne tout !
Joyeux Noël !