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Sunday 25 October - Dédicace de la Basilique
Histoire (s) de construction !
Par le père Ludovic, FrèreConnaissez-vous la date de la consécration de votre église paroissiale ? ça devrait faire partie de ces événements inscrits dans nos calendriers, pour ne pas manquer de les fêter. Car on n’y célèbre pas seulement une inauguration, mais un mystère, qui dépasse de loin la construction des murs et la décoration de l’édifice. On y célèbre un mystère, dont nous parle d’ailleurs particulièrement l’histoire de la basilique du Laus.
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Pour entrer dans cette histoire, il faut se souvenir que cette église a vu le jour parce que, se trouvait d’abord ici une chapelle, désormais située dans le chœur de l’édifice. La basilique est ainsi comme un écrin, qui abrite le trésor qu’est cette chapelle des apparitions.
En 1640, soit 24 ans avant les premiers événements du Laus, les habitants du hameau décident la construction d’une petite chapelle, pour ne pas devoir se rendre toujours jusqu’à l’église paroissiale de Saint-Etienne-d’Avançon, distante de plus de 6 km. Ils construisent donc cette petite chapelle, trapue et fort simple. Ils décident de la dédier au mystère de l’Annonciation, d’où son nom : « chapelle de Bon Rencontre », faisant mémoire de cette belle rencontre de la Vierge Marie avec l’ange Gabriel.
Mais ce nom était en fait prophétique de ce qui devait se vivre ici plus tard ; car, à partir de 1664, la chapelle devient le lieu des « bonnes rencontres » entre Marie et Benoîte, ainsi qu’entre Benoîte et les anges, pendant 54 années.
Mais savez-vous que ce lieu - qu’on peut qualifier d’unique au monde - a une histoire peu banale et même assez cocasse ? Les habitants du hameau l’érigèrent avant qu’on les informe que toute chapelle devait au préalable recevoir l’autorisation de l’évêque du diocèse, en l’occurrence l’archevêque d’Embrun.
Imaginez la tête des habitants, découvrant alors qu’ils avaient construit une chapelle illicite ! Les haut-alpins n’étant pas du genre à se démonter, ni d’ailleurs à démonter ce qu’ils sont fier d’avoir construit, ils se rendent auprès de l’archevêque et lui demandent s’il acceptait qu’on érige au Laus une petite chapelle… Ouf, l’archevêque est d’accord ! Il est d’ailleurs fort surpris quand, peu de temps après, ces mêmes habitants reviennent auprès de lui pour l’inviter à venir bénir la nouvelle chapelle. Le prélat est alors impressionné qu’on ait pu la construire en si peu de temps !
Vous ne trouverez pas que c’est un beau clin d’œil du Ciel qui nous est offert ici ? Vous êtes devant une chapelle qui n’a pas été construite dans le respect des règles ; et c’est cette chapelle qui va devenir ce lieu unique au monde, le lieu de 54 années d’apparitions ! Nos montagnes ne manquent pourtant pas d’oratoires ni de chapelles, mais le choix divin s’est porté sur celle-ci, édifiée hors des procédures… Le Ciel ne manque pas décidément pas d’humour !
Mais cet humour est sans doute aussi un message, pour que nous sachions ne pas rester enfermés dans des règles, qui peuvent être fort utiles bien entendu, pour assurer la dignité de chacun et l’unité de tous ; mais les règles peuvent aussi donner seulement bonne conscience, sans libérer vraiment. Or, le Seigneur Jésus-Christ n’est pas venu nous présenter des règles de bonne conduite ; il est venu nous sauver, nous ressusciter, pour que nous soyons vraiment libres, éternellement libres !
Tout, pour nous désormais, doit donc être vécu dans la lumière de la résurrection, la lumière de l’amour sans mesure, au point que saint Augustin osera cette parole déconcertante et désormais bien connue : « aime et fais ce que tu veux ! »
Mais cet appel à la libération véritable nous fait quand même un peu peur… mieux vaut suivre quelques règles qui rassurent, plutôt que se lancer à corps perdu dans l’élan de la résurrection !
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Or, c’est dans cet élan que doit être accueillie la véritable autorité de l’Église, à travers le ministère de Pierre. Il ne s’agit pas de tout régenter, des habits des uns jusqu’à la nourriture des autres. L’autorité de l’Église - les clés confiées à Pierre – nous est révélée dans l’évangile d’aujourd’hui par ces mots : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux ; et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux ».
Ciel et terre sont désormais liés ; la vie des uns se déverse sur la vie des autres, dans une communion que nos bâtiments « églises » vient signifier, notamment par leurs voûtes élevées et leurs décorations qui font des habitants du Ciel nos familiers et nos amis.
On ne devrait jamais vivre une liturgie sans manquer de l’accueillir comme notre participation à la liturgie céleste. Et si l’on prie donc assurément avec autant de vérité dans la solitude d’une chambre que dans une chapelle, nous avons besoin de nos églises pour nous réunir et nous rappeler l’union du Ciel et de la terre. Ici même, Benoîte Rencurel en fut un témoin privilégié, notamment lorsqu’elle contemplait les anges, qui souriaient en participant à la messe ou qui processionnaient à l’intérieur des murs de l’édifice.
Ce lien du Ciel et de la terre est aussi un lien dans l’espace et dans le temps. Il est beau alors de nous rappeler que d’autres pèlerins étaient là avant nous ; et d’autres pèlerins seront là après nous. Les pierres de cet édifice portent le poids des prières qui résonnent sous ces voûtes depuis 3 siècles et demi et certainement pour longtemps encore.
N’entendez-vous d’ailleurs pas les pierres crier, supplier et rendre grâce ? Si, écoutez bien ! Nous pouvons les entendre… Parfois, d’ailleurs, ces prières se matérialisent, comme dans les ex-voto qui décorent le chœur de la basilique. Je vous encourage à prendre le temps de les lire ; ils forment une grande chaîne de prière, dont nous sommes seulement un maillon, mais un maillon indispensable pour que la chaîne se poursuive.
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Maillons d’une chaîne, nous sommes pourtant plus encore ; et c’est de nouveau un événement hors du commun qui vient l’illustrer dans cette église du Laus.
La chapelle construite en 1640, dans les conditions que je vous ai précisées, devient à partir du 30 septembre 1664 le lieu privilégié des rencontres entre la Belle Dame et Benoîte. Rapidement, la Vierge précise à la bergère qu’elle a demandé ce lieu à son fils pour la conversion des pécheurs, et qu’elle veut qu’on construise ici une église où beaucoup viendraient se convertir.
Voilà comment s’est réalisée alors cette construction : on demandait à chaque pèlerin de monter au Laus avec une pierre, les plus jeunes apportant de petites pierres, les plus costauds montant avec de plus grosses. On peut vraiment dire que chacun a apporté sa pierre pour l’édification de cette église ! Mais à travers ce geste d’efforts partagés, il nous est rappelé que nous devons être les pierres vivantes, qui servent à construire l’édifice spirituel, selon les mots du premier pape (cf. 1 Pi 2,5).
Ça vaut la peine de bien entendre ce que nous sommes, afin de l’être vraiment. Or, regardez bien les murs de cette basilique : quelle est la pierre la plus importante, la plus nécessaire ? Celle qui est cachée dans les fondations ou celle qui se trouve à la clé de voûte ? Aucune pierre, en fait, ne peut se dire inutile, et chacune a besoin des autres. De même, nous formons tous ensemble l’édifice spirituel !
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Parfois, nous pensons que cet édifice pourrait être plus beau ou mieux proportionné ; ses décorations ne sont pas nécessairement à notre goût. Par exemple, ici, la chapelle de Bon Rencontre a été intégralement redécorée, à la fin du 18e siècle, de faux-marbres, de dorures et de mosaïques. Certains sont touchés par cette décoration, d’autres regrettent qu’on n’ait pas gardé la simplicité originelle de la petite chapelle en pierre.
De même pour tous les éléments, vitraux et tableaux, qui ornent cette basilique comme chacune de nos églises. Dans un héritage, on n’apprécie pas tout, mais on accueille tout comme le témoignage des siècles et comme une sorte de passage de témoin, dans cette course de relai que mène le peuple de Dieu jusqu’à l’éternité.
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Alors, en célébrant la consécration de nos églises, nous fêtons le témoignage des générations passées, avec leur prière et leur fidélité sans lesquelles nous ne serions pas là aujourd’hui. Nous fêtons aussi la solidité de l’Église fondée sur le Christ et sa promesse faite à Simon-Pierre. Nous fêtons dans l’action de grâce la construction spirituelle que nous formons ensemble pour la gloire de Dieu.
Nous fêtons ces lieux où Ciel et Terre s’embrassent, et unissent leurs voix pour louer leur Créateur en levant les yeux vers la Jérusalem céleste, qui n’est pas faite de mains d’hommes et qui se maintiendra pour l’éternité. Amen.