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Sunday 16 February - 6ème dimanche du temps ordinaire
Force de loi
Par le père Ludovic Frère, recteurCe qui est magnifique avec le Christ - et qui nous montre bien, si nous en avions encore besoin, qu’il est vraiment Dieu - c’est qu’il ne cesse de nous dépasser bien sûr, mais aussi de nous déplacer. Quand nous pensons l’avoir cerné, il nous emmène ailleurs. Non pas pour nous empêcher de trouver la paix, mais pour nous garder de considérer la foi comme un système de pensée fermé, maîtrisable, sous contrôle.
Le Seigneur vient sans cesse nous déplacer, pour que notre foi ne soit pas une tentative de mainmise sur la réalité, mais qu’elle soit un abandon amoureux à Celui qui porte tout !
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L’évangile d’aujourd’hui en est un magnifique témoignage : si vous pensiez avoir compris que le Christ nous affranchit de la loi au nom de l’amour, écoutez-Le qui affirme : « pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi ». Plus encore : il renchérit en matière de loi, la rendant visiblement plus sévère que jamais. La colère est mise au rang du meurtre, le regard de convoitise au niveau de l’adultère. Le Christ apparaît donc bien plus exigeant que ne l’était la loi de l’Ancien Testament !
Alors quoi ? Le Libérateur vient-il nous enfermer dans des lois inapplicables ? Le Sauveur vient-il nous perdre en plaçant la barre trop haut ? Nous percevons qu’un déplacement est nécessaire pour comprendre les paroles du Christ.
Le Seigneur vient faire bouger les lignes de l’autorisé et de l’interdit. Justement pour que nous quittions cette logique de choses à faire ou à ne pas faire, d’aliments à manger ou non, de gestes permis ou pas.
Bouger les lignes, car le Seigneur connaît assurément le fond de nos cœurs. Il sait que les relations humaines sont compliquées. Les sentiments qui habitent nos cœurs sont changeants. Les élans de nos corps sont puissants. Face à ce bouillonnement qu’est la vie, on comprend, comme l’écrit magistralement le dominicain Adrien Candiard, la tentation de « faire rentrer le réel compliqué dans des catégories simples : le permis, le défendu, l’obligatoire ».
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Saint Paul a bien compris qu’avec le Christ, un déplacement s’opérait, et qu’il fallait le suivre dans ce déplacement pour être authentiquement chrétien. Poussé par l’Esprit Saint, l’apôtre nous révèle dans la 2e lecture : « c’est bien de sagesse que nous parlons devant ceux qui sont adultes dans la foi ».
Une foi adulte pour être sage : telle est la relation que le Seigneur veut entretenir avec nous. Une foi dans laquelle Dieu nous prend pour des adultes responsables et veut faire de nous des hommes et des femmes libres.
Saint Paul écrit donc, dans la première lettre aux Corinthiens : « tout est permis ». Mais attention, pour que ce ne soit pas un appel à faire n’importe quoi, l’apôtre poursuit : « tout est permis, mais moi je ne permettrai à rien de me dominer » (1 Co 6,12).
Voilà la foi adulte ! Ce n’est pas quelqu’un d’extérieur qui va me féliciter ou me punir ; c’est l’Esprit Saint, à l’intérieur, qui m’éclaire pour que rien ne me domine, rien d’autre que le Christ, mon Dieu et mon tout.
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C’est justement parce qu’il est notre « tout » que le Christ dépasse les limites du permis et du défendu. Car nous quittons alors la logique de récompense : bien agir pour mériter ceci ou cela. Mériter d’être exaucé, mériter la vie éternelle. Comme si le salut était la récompense, alors que le salut est justement ce don réciproque d’un Dieu qui donne tout et qui nous appelle à faire de Lui notre « tout ».
Les nouvelles règles fixées par le Christ n’en sont donc pas : elles sont un dépassement des règles par en-haut : non pas pour déterminer ce qu’il faut donner, mais pour nous appeler à tout donner.
Ah, j’entends déjà vos réflexions : oui, mais c’est quoi, tout donner ? Et revoilà la tentation de maîtriser, de comptabiliser, comme Benoîte avec sa chèvre que la Belle Dame du Laus lui demande pour la libérer d’une relation inajustée. « Vous ne l’auriez pas pour trente écus », dit la bergère. « Je ne vous l’achèterai pas », répond la Vierge Marie. Non qu’elle soit près de ses sous, mais au contraire : il n’y a plus de sous qui tiennent. La Mère de Dieu ne vient pas acheter la bonne volonté de Benoîte. Elle vient l’ouvrir à la gratuité totale de ce qui lui est donné, et dans lequel elle pourra entrer si elle donne tout.
Autrement dit : cesser de voir la sainteté comme une pénible ascension vers l’inaccessible ou une douloureuse fidélité à des consignes irréalisables, pour l’accueillir comme une rencontre avec le Christ, une vie en Lui et plus jamais sans Lui. En un mot : une alliance, la nouvelle alliance en son sang. Une alliance de liberté, pour que rien ne nous domine, sinon Dieu, qui refuse d’ailleurs la posture de domination pour préférer le vis-à-vis et la communion.
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Que rien ne me domine : voilà la vraie liberté d’une foi adulte. Les paroles de Jésus dans l’évangile de ce jour sont un appel, une provocation lancée à notre désir de liberté véritable. Elles sont donc aussi une interrogation : par quoi te laisses-tu dominer ?
Et c’est là où la colère, les pulsions du corps, les comparaisons et les jalousies, l’argent et les biens matériels… c’est là que toutes ces prisons apparaissent évidemment comme ce qui est mal, le contraire du bien, et donc en ce sens, le défendu que nous nous imposons à nous-mêmes.
Je n’accepte pas de me laisser mener par mon orgueil. Je ne tolère pas de mettre mon cœur dans mon compte-en-banque ou ma nouvelle voiture. Je ne réduirai pas la beauté des relations aux autres à un désir de séduction. Je saisis donc qu’il y a du bien et du mal, mais je le perçois comme cette loi intérieure qui m’appelle à la charité, à la liberté et à la vie éternelle.
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À 10 jours précisément de l’entrée en Carême, ce dimanche est donc vraiment bienvenu pour nous disposer à ne pas réduire le temps de préparation pascale à quelques autorisations ou interdits supplémentaires.
C’est au renouvellement de notre union au Christ, dans sa Passion et sa Résurrection, que nous allons nous préparer, pas à nous priver de viande ou de chocolat. Soyons adultes dans la foi !
Le Seigneur nous respecte jusque-là. Il nous veut debout, libres et responsables. Il ne veut pas des êtres soumis, mais des hommes et des femmes amoureux de Lui, passionnés par son alliance, libres pour tout Lui donner. Amen.