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dimanche 8 avril - Homélie du jour de Pâques
Entrer pour croire
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Au matin de ce jour de Pâques, nous accompagnons les premiers témoins du tombeau vide : Marie-Madeleine, Pierre et Jean. A bien regarder chacune de leurs attitudes, une révélation surprenante nous est faite.
Il y a d’abord Marie-Madeleine, qui est la première à se rendre au tombeau. Elle voit que la pierre a été enlevée, mais elle reste à l’extérieur. Elle ne pose pas, à ce moment-là, d’acte de foi en la résurrection de son Maître. Puisqu’elle reste « à l’extérieur » de la tombe - à l’extérieur du mystère - elle se contente, pour ainsi dire, d’une association logique : « la pierre a été enlevée », « on a enlevé le Seigneur ». Ce n’est vraisemblablement pour elle qu’une affaire d’enlèvement.
Le deuxième à atteindre le tombeau, c’est Jean, parce qu’il court plus vite que Pierre. Il va plus loin que Marie-Madeleine, puisqu’il « se penche » vers la tombe ; il voit le linceul, mais « il n’entre pas ». C’est pourquoi, à ce moment-là, il ne croit pas encore.
Le troisième à arriver au tombeau, c’est Pierre. Il entre, il regarde, mais on ne sait pas s’il comprend que son Maître est ressuscité. Alors seulement, le deuxième venu entre à son tour : il voit et il croit.
* * *
Clairement, à regarder l’attitude de Marie-Madeleine, de Pierre et de Jean, ce que l’on peut conclure de manière évidente, c’est que l’acte de foi en la résurrection nécessite d’entrer dans le tombeau vide.
Tant que l’on regarde les choses de manière extérieure, comme Marie-Madeleine, on ne peut donner qu’une interprétation rationaliste : « on a enlevé le Seigneur de son tombeau et nous savons pas où on l’a mis ».
Tant qu’on se contente de seulement se pencher vers la tombe, comme le fait Jean dans un premier temps, on ne peut pas non plus poser l’acte de foi fondamental. Car il faut entrer dans la tombe, il faut voir qu’elle a été vidée de la mort, il faut constater que le linceul a été abandonné parce qu’il n’est plus utile, et le linge mis à part, parce qu’il ne servira plus : on peut le ranger, voire l’employer à autre chose, puisque la mort n’est plus notre habit éternel.
Frères et sœurs, Marie-Madeleine, Pierre et Jean illustrent les différentes attitudes possibles devant le mystère de la résurrection du Christ, comme devant la réalité de toute mort. A rester à l’extérieur du tombeau du Christ, on ne peut que rationaliser et réduire les choses ; en se contentant de se pencher vers la tombe, on peut simplement regarder mais pas croire ; en revanche, en entrant dans la tombe, on voit et on croit.
Chacun d’entre nous se retrouve peut-être davantage en Marie-Madeleine, en Pierre ou en Jean : en restant à l’extérieur du mystère, en se contenant d’y jeter un œil, ou en entrant dans le tombeau du Christ. Incroyance, doute ou foi profonde : quel est réellement, aujourd’hui, notre regard sur la résurrection du Christ ?
Ce saint Jour de Pâques n’est cependant pas qu’un jour de constat de notre « degré » de foi en la résurrection ; il est surtout un élan pour croire davantage. Il est un jour décisif pour entrer dans le mystère, pour entrer dans tombe et voir qu’il n’y a plus personne.
C’est d’ailleurs ce que nous avons fait cette nuit, en entrant avec le Christ dans l’obscurité du tombeau. Nous l’avons rejoint dans sa mort, pour nous laisser guider par sa lumière.
Alors, pour nous, la résurrection du Christ est cette évidence qui marque saint Jean lorsqu’il entre dans le tombeau : « il vit et il crut ». L’apôtre n’en est pas encore aux grands raisonnements, aux réflexions profondes qu’il ne manquera pourtant pas de développer plus tard, notamment dans le grand prologue de son Evangile ou dans l’étonnante révélation de l’Apocalypse. Mais pour l’instant, il vit l’acte de foi dans sa simplicité la plus radicale : entrer dans la tombe, voir que le mort n’est plus là, croire qu’il est ressuscité.
Dans cette tombe, qu’y a-t-il à voir ? Rien, en fait, si ce n’est le drap mortuaire qui n’a plus aucune utilité. Il n’y a rien à voir, parce qu’en fait, il y a trop à voir. Sur le plan judiciaire, on peut juste parler d’une absence de preuve ; mais sur le plan de la foi, le tombeau où il n’y a plus rien à voir nous appelle à regarder plus loin.
* * *
Si l’apôtre Jean voit et croit alors qu’il n’y a rien d’autre à voir qu’un linceul abandonné, c’est parce que ce matin de Pâques a été précédé par bien des événements, auxquels nous avons pu nous associer, surtout ces derniers jours.
D’abord, jeudi, ce dernier repas où le Christ a offert son corps et son sang en nourriture de vie éternelle : il avait bien annoncé un dépassement des seules années terrestres.
Puis, vendredi, nous avons vécu ce terrible moment de la mort de notre ami et Seigneur ; une mort annoncée par le Christ lui-même : « il faut que le Fils de l’homme soit rejeté, qu’il meurt ; et que, le troisième jour, il ressuscite ». Il fallait que la mort trouve plus forte qu’elle ; il fallait que le mal soit dépassé par une force plus grande encore. Il fallait un sacrifice unique, total, sans mélange de bien et de mal. Il fallait le don du Christ lui-même, vrai Dieu et vrai homme, seul capable d’offrir un amour suffisant pour ne laisser aucune chance ni à la mort ni au Mal.
Puis, hier, nous avons vécu ce jour de silence, cette descente du Christ au tombeau, sa venue au plus profond de la mort, pour qu’elle ne soit plus la solitude d’un vide, mais le lieu d’une rencontre avec le Sauveur du monde.
Oui, il nous a fallu entrer dans la tombe avec le Christ pour poser l’acte de foi en la résurrection. Cette nécessité exigeante explique que beaucoup refusent ce mystère de la résurrection. Car, à rester à l’extérieur, à regarder en passant, on peut à la rigueur concevoir qu’une vie après la mort soit une réalité possible. Il n’est pas intellectuellement absurde d’envisager que l’être humain soit davantage qu’un simple paquet de cellules destinées à disparaître un jour.
Les aspirations profondes qui nous habitent et les merveilles de l’esprit humain peuvent raisonnablement nous faire penser une autre dimension de la vie, après le passage de la mort. Mais la nature-même de cette nouvelle dimension reste indéfinissable par la seule raison humaine, au point qu’on peut en faire un objet de spéculation : alors, certains vont trouver plus satisfaisant de concevoir l’existence en une série de réincarnations, d’autres vont penser la vie éternelle comme une reprise de la vie terrestre sans la limite du temps. Clairement, la seule raison humaine ne peut pas accueillir la vie éternelle dans le Christ, sans accepter d’entrer dans le tombeau. Car cette entrée change radicalement la donne : la raison n’est bien sûr pas laissée de côté, mais elle est englobée dans une expérience existentielle plus profonde, celle de la relation avec le Ressuscité.
Au matin de Pâques, Pierre et Jean n’ont pas encore rencontré le Christ, qui n’est plus dans la tombe. Mais parce qu’ils sont entrés là où leur Maître et Seigneur est resté trois jours durant, ils se sont unis à lui au point de saisir qu’il est ressuscité.
Frères et sœurs, notre acte de foi en la résurrection n’est pas d’abord un pari sur l’avenir, en estimant qu’il est tout de même plus satisfaisant de croire à la vie éternelle que de penser aller au néant après la mort.
Notre acte de foi en la résurrection n’est pas d’abord, non plus, un acte d’obéissance à l’Eglise et à ceux qui nous ont précédés en portant cette conviction profonde.
Notre acte de foi en la résurrection est le fruit de notre entrée dans la tombe, de notre entrée dans le mystère de la vie du Christ, vrai Dieu et vrai homme, unique Sauveur du monde, unique Sacrifice qui sauve l’humanité. C’est notre union à Jésus qui fait la solidité de notre foi en la résurrection.
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Alors, ce grand jour, le plus grand de l’année, doit aussi être le jour de notre plus grande union au Christ ressuscité.
Si la fête doit être belle aujourd’hui, par une table joyeuse et l’abondance de chocolats, elle doit aussi être profonde, en nous unissant au Sauveur non seulement par cette Eucharistie, mais aussi par un grand temps d’union au Christ en ce jour : un temps de contemplation, d’Adoration, comme nous le proposerons cet après-midi au sanctuaire. Un temps aussi, pour méditer la Parole de Dieu, pourquoi pas en reprenant les lectures de cette messe, ou celles de la veillée pascale, car l’Evangile d’aujourd’hui s’achève ainsi : « Les disciples n’avaient pas pu que, d’après l’Ecriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Ils n’avaient pas vu dans l’Ecriture ; nous, sachons voir, sachons lire l’annonce de la résurrection dans toute la Révélation.
Et pour que cette fête pascale soit vraiment une union profonde avec le Ressuscité, ne manquons pas non plus de le rencontrer dans les autres : quelles que soient les modalités par lesquelles nous allons vivre ce jour de Pâques, il va nécessairement être un jour de rencontres : au sortir de cette messe, en famille, ou en communauté pour ceux qui vont rester au sanctuaire passer la journée. Tous ceux que nous allons rencontrer vont nous permettre de nous unir davantage au Christ ; ne manquons pas de voir la résurrection du Seigneur à l’œuvre dans toutes les relations que nous allons vivre aujourd’hui.
C’est ainsi que nous allons pouvoir vraiment croire au mystère de la résurrection : en nous unissant au Seigneur, en entrant vraiment dans son mystère. Ne restons pas à l’extérieur, ne nous contentons pas de simplement nous pencher vers la tombe. Il nous faut entrer, même si ça fait peur d’entrer dans un tombeau. Il nous faut entrer, avec Pierre, c’est-à-dire avec toute l’Eglise guidée par son successeur Benoît XVI.
Il nous faut entrer dans le tombeau pour en sortir, porteurs de la Bonne Nouvelle : « Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! » Alléluia. Amen.
Télécharger l'homélie du dimanche 8 avril 2012, jour de Pâques, année B (PDF)