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Sunday 21 October - Dimanche de la mission universelle
En rançon pour la multitude
Par le père Ludovic Frère, recteurOn pourrait s’arrêter longuement sur le comportement des disciples, à la fois ridicule et tellement révélateur de l’absurde vanité qui peut étouffer les cœurs ! Certains veulent les meilleures places et ceux qui ne les ont pas – ou qui n’ont pas pensé à les demander en premier – jouent les effarouchés : la comédie humaine dans toute sa splendeur !
Mais cette page d’évangile ne peut se réduire à une photographie de nos mondanités. Car la pointe de l’épisode, le sommet vers lequel le Christ nous conduit, c’est cette parole bouleversante par laquelle il nous révèle être venu « donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10,45).
« En rançon » : L’expression est forte ! Elle renvoie à des situations dramatiques. La rançon, c’est ce qu’il faut payer lors d’un kidnapping ou d’une prise d’otages. La rançon est nécessaire pour libérer. Si le prix n’est pas payé, l’otage risque la mort. Ça ne rigole pas !
Alors, quand Jésus prend à son compte cette expression d’une rançon versée pour la multitude, il nous ouvre à la gravité de son offrande et du salut éternel. Benoîte Rencurel le dira ici-même à une femme désinvolte, la prévenant que - je cite - « si elle continuait dans son genre de vie, il y avait à craindre pour son salut, qui n’était pas un jeu d’enfant ; que si elle trompait le monde, elle ne tromperait pas Dieu[1]. »
Il faut donc bien entendre cette parole du Christ sur la rançon. Elle est d’ailleurs au cœur de ce que nous célébrons dans l’Eucharistie. Tout à l’heure, Jésus Lui-même présentera cette rançon comme étant son propre sang « qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés ». C’est la parole du Christ prononcée sur le vin au moment de la consécration.
Vous voyez que, si l’on veut vraiment entrer dans la réalité de notre salut éternel et du quotidien de notre vie de foi, il faut entendre le Christ présenter le don de sa vie comme une « rançon pour la multitude ».
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Il faut l’entendre, mais bien l’entendre. Qui dit « rançon » dit quelqu’un qui doit payer, souvent une forte somme ; et quelqu’un qui reçoit la rançon pour libérer celui qu’il tenait dans ses chaînes.
Incontestablement, nous avions besoin d’être libérés du mal et de la mort. Mais qui pour payer la rançon de cette libération ? Et à qui devait-elle être payée ? Si l’on ne comprend pas bien de qui l’on parle, on risque de faire de Jésus le payeur, de son sang la somme versée mais aussi du Père éternel celui qui attendait la rançon. Vous voyez à quelle image de Dieu ça pourrait nous renvoyer : Le Père apaisé par le sang de son Fils bien-aimé… personnellement, j’hésiterais à remettre ma vie dans les mains d’un tel Dieu !
Cette approche est en fait faussée par une mauvaise compréhension de la rançon, du sacrifice. Si vous envisagez le sacrifice comme ce qui doit faire mal, vous en venez à considérer que le Père veut la souffrance du Fils pour apaiser sa légitime colère. Et il faudrait que nous souffrions nous aussi pour bénéficier des fruits de ce sacrifice.
Mais en vérité, le sacrifice n’est pas une glorification de la douleur ; c’est l’acceptation d’une dépossession. Le pape Benoît XVI parlait du sacrifice comme d’un « changement de propriété » : ce qui m’appartient, je choisis que ça appartienne au Seigneur. C’est tout le sens des sacrifices dans l’Ancien Testament : la bête la plus grasse du troupeau était offerte à Dieu pour qu’elle Lui appartienne et pour reprendre ainsi conscience que tout venait de Lui seul.
Mais si nous sommes en mesure de sacrifier ainsi à l’époque une bête et aujourd’hui un peu de temps ou un peu d’argent, comment faire en sorte que notre vie tout entière ne soit qu’à Lui ? Nous savons qu’elle oscille en permanence entre le désir d’être à Dieu et le souci d’être à nous-mêmes. Elle hésite même mystérieusement entre le choix du Bien suprême qu’est Dieu et le choix du mal qui peut nous posséder… Oui, c’est une question de « propriété spirituelle » qui est ici en jeu !
Par le péché originel, une coupure était faite entre l’être humain et Celui qui est sa Source, le Dieu Trinité. Par nos péchés personnels, ce projet divin était encore abîmé, nous faisant préférer l’obscurité à la lumière.
Il fallait donc quelqu’un capable de nous fait devenir « propriété de Dieu ». Voilà pourquoi le Verbe s’est fait chair et qu’il a donné sa vie sur la croix ; un sacrifice qu’Isaïe annonçait dans la 1ère lecture comme « sacrifice de réparation ». Un langage de garagistes pour nous éveiller à cette réalité incontournable : le mal abîme. Il nous abîme, il abîme le projet de Dieu, il offense le Seigneur. On ne peut pas négliger cette réalité, même au nom de l’amour. Ou plutôt, surtout au nom de l’amour, car l’amour qui offense, c’est une blessure plus terrible encore. Si Dieu est amour et si l’on est appelé à vivre avec Lui une relation d’amour, tout péché Le blesse et nécessite réparation parce que nous abîmons ce qu’il a de plus beau.
Il fallait donc une rançon, non seulement pour réparer ce qui était abîmé, non seulement pour remettre les choses à l’endroit, mais plus encore pour dépasser la blessure faite à la beauté par une beauté plus sublime encore. Une beauté qui soit offerte en sacrifice, c’est-à-dire qui soit donnée au Père sans aucun retour à soi.
Et voilà la beauté de l’offrande du Christ. Lui, le « grand prêtre par excellence (…) qui a traversé les Cieux », nous disait la 2e lecture ; Lui, le seul juste, a donné sa vie, il a payé de sa personne, de toute sa personne jusqu’à la souffrance terrible et la mort injuste. Il a payé non pas pour apaiser le courroux du Père mais il s’est payé le Mal ! Il s’est payé Satan. Il s’est payé sa tête, il s’est joué de lui !
Celui qui fermait les portes du Ciel, Jésus l’a piétiné par sa croix. Le kidnappeur des âmes s’est retrouvé roulé, comme la pierre du tombeau. Le démon pensait que la rançon allait le rendre riche et victorieux ; mais la rançon s’est retournée contre lui. Pur acte d’amour, cette offrande n’est pas allée dans la poche de Satan pour l’enrichir ; Elle a traversé les ténèbres pour faire jaillir la lumière !
Voilà ce que nous reconnaissons dans la rançon versée par le Christ, dans son sang qui donne la vie ! Voilà ce que nous célébrons en chaque Eucharistie !
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Vous comprenez alors que le dimanche de la mission universelle n’est pas qu’une invitation à parler du Christ à ceux qui voudront bien l’entendre. Non, il faut crier, il faut tout mettre en œuvre pour faire saisir cette victoire du Christ, l’unique Sauveur du monde ! C’est proclamer aux prisonniers qu’ils sont libres ! C’est annoncer à ceux dont les épaules sont chargées de souffrances ou de culpabilité qu’un Sauveur a tout pris sur Lui. C’est confesser auprès de ceux qui ne voient pas de sens à leur vie que Dieu Lui-même a payé, pour qu’elle ait enfin un sens, cette vie, un sens éternel.
Nous pouvons donc prier en ce dimanche de la mission pour que le Seigneur ravive toujours l’enthousiasme et le courage dans le cœur des missionnaires. Qu’il les embrase de ce feu jailli du cœur du Christ ! Pour que la rançon payée pour la multitude, toute la multitude puisse la découvrir, s’en réjouir et y conformer sa vie par un sacrifice qui soit un véritable changement de propriété pour n’être qu’à Dieu, dès maintenant et pour l’éternité. Amen.
[1] Manuscrits du Laus, CA G. pp. 31-32 XXIX [77-78] – année 1665.