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Saturday 19 April - Vigile pascale
Éblouissement !
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Depuis le début de cette veillée, c’est à la lumière que nous laissons la première place. Lumière du feu nouveau, du cierge pascal et de nos propres bougies ; lumière de l’exultet, lumière dans l’église s’amplifiant au fur à mesure de nos retrouvailles avec le Gloria et l’Alléluia… Lumière de la Parole de Dieu, qui de la création jusqu’à la résurrection, nous conduit cette nuit d’éblouissement en éblouissement ! Oui, cette grande veillée est faite pour nous laisser éblouir !
Mais il n’est pas certain que nous apprécions trop les éblouissements. Nous n’aimons pas être éblouis au petit matin, quand l’œil peine à s’habituer au jour. Et que dire du hérisson, ébloui par les phares d’une voiture, qui se retrouve paralysé… et finit souvent bien mal ? Vous ne trouvez pas qu’ils font penser à ces hérissons, les gardes du tombeau de Jésus : éblouis par la lumière venue d’en haut, ils deviennent « comme morts » (Mt 28,4), nous dit saint Matthieu.
Non, nous n’aimons pas être éblouis. Nous voulons bien un peu de lumière, histoire d’y voir clair, de comprendre, de maîtriser les choses. Oui, un peu de lumière dans nos obscurités, nous l’acceptons volontiers ; nous la cherchons, même, car nous avons tous un peu peur du noir.
Mais cette nuit, ce n’est pas un "éclairage" que le Christ nous apporte, c’est un "éblouissement" ! Et nous voilà conduits, avec toute l’Eglise, à nous laisser éblouir par ce mystère qui nous prend dans sa radieuse lumière !
* * *
L’éblouissement oblige à changer de regard ; il contraint à s’habituer à une nouvelle luminosité. N’ayons pas peur cette nuit de nous laisser éblouir par le Christ. C’est vrai, quand on est ébloui, on ne distingue pas tout. Mais si notre foi se résume à la lueur d’une ampoule basse-consommation, dont la lumière blanchâtre se contente d’éclairer juste un peu, Pâques ne changera rien à notre vie !
Alors, ce soir, laissons-nous éblouir, non pas pour tout maîtriser, mais pour accepter d’entrer dans cette nouvelle manière de voir la vie. L’éblouissement de cette nuit nous dit que notre existence ne se comprend plus à partir d’une naissance qui nous a fait exister jusqu’à une mort qui nous fera disparaître ; notre existence s’explique désormais à partir de la résurrection du Christ, qui donne sens à tout le reste et qui nous prend dans son grand mouvement : avec lui, nous ressuscitons !
La résurrection est cet éblouissement qui nous effare par sa lumière, mais qui ne permet pas de tout voir tellement elle est intense. Comment les morts ressuscitent-ils ? Est-ce que ce sera long l’éternité ? Qu’est-ce que nous y ferons vraiment ? La résurrection n’explique pas tout. Mais elle n’est pas un trop peu de lumière, nous laissant dans l’obscurité de nos questionnements ; elle est, si l’on peut dire, un trop plein de lumière, qui éblouit et qui oblige à changer notre regard sur l’ensemble de la réalité.
Changer de regard : l’éblouissement de la résurrection nous appelle à voir différemment la vie et la mort, la maladie et les guerres, les psychologies blessées et les corps handicapés ; voir différemment le plaisir et les amours, les émotions et les projets ; voir différemment les autres, leurs besoins et les grands enjeux d’une société ; voir différemment les joies du monde, les biens matériels et les divertissements de la vie… changer de regard !
Si notre regard n’est pas ébloui par la résurrection, nous ne pouvons pas vivre en chrétiens dans le monde. La résurrection nous éblouit pour que nous changions notre manière de voir la réalité, que nous changions de logiciel de compréhension du monde, que nous changions nos cœurs pour qu’ils sachent voir à partir d’En-haut, à partir de l’éternité.
* * *
Pour cela, l’évangile nous place cette nuit entre chien et loup, quand la lumière est à peine levée. Dans cette nuit finissante, nous voyons deux silhouettes, que l’évangile décrit ainsi : « Marie-Madeleine et l’autre Marie » (Mt 28,1). Elles viennent visiter le tombeau de Jésus.
Peu de monde à cette heure-là dans le cimetière. C’est d’ailleurs un peu inquiétant, les cimetières dans la nuit. Il n’y a personne, pas un bruit ; seulement des gardes, qui sont là depuis la veille au soir. Souvenez-vous : nous les avions quittés dimanche dernier, au terme de la longue lecture de la Passion, quand Pilate leur avait assigné la mission de surveiller le mort. Alors, concluait l’évangéliste, « ils assurèrent la surveillance du tombeau en mettant les scellés sur la pierre et en y plaçant la garde » (Mt 27,66). Tout était donc bien verrouillé.
Et voilà qu’au petit matin, ce ne sont pas les deux femmes courageuses qui surprennent les gardes : c’est un « tremblement de terre » (Mt 28,2) et c’est un ange descendu du ciel, « roulant la pierre » comme on le fait d’une quille, et s’asseyant dessus comme on le fait d’un trophée. Il a « l’aspect de l’éclair » (Mt 28,3), dit l’évangéliste, « ses vêtements sont blancs comme neige ». Il est éblouissant ! Mais cet éblouissement à la nuit finissante entraine deux attitudes différentes chez les gardes et chez les femmes.
Les gardes, nous dit saint Matthieu, éprouvèrent de la crainte. « Ils furent bouleversés et devinrent comme morts » (Mt 28,4). Ils avaient pour mission de surveiller un mort et c’est eux-mêmes qui se retrouvent cadavériques. Ils sont comme morts, ces vivants qui voulaient maintenir enfermé celui qui est la Vie ! Voilà bien le drame du don de l’éternité quand il est refusé : l’éblouissement du Christ peut conduire à un surcroit de mort quand on le refuse obstinément.
Les femmes, elles, ne sont pas forcément plus rassurées. Mais voilà que l’ange devient guide : « venez voir l’endroit où il reposait » (Mt 28,6). Elles entrent dans le tombeau et y reçoivent une force nouvelle, qui les conduit jusqu’aux disciples pour qu’elles leurs crient : « il est ressuscité » ! Les deux femmes sont bouleversés ; comme les gardes, elles ont été éblouies, mais cet éblouissement les a ouvertes à la joie : « elles quittèrent le tombeau, tremblantes et toutes joyeuses » (Mt 28,8).
Alors, frères et sœurs, en cette nuit, sommes-nous plutôt les gardes mettant la mort sous surveillance ou plutôt les femmes amies de Jésus ? Elles étaient venues le visiter, elles sont entrées dans son tombeau, elles sont reparties en clamant : « il est ressuscité » ! Les gardes, eux, avaient pour mission de s’assurer que la tombe reste bien fermée ; ils n’y ont trouvé qu’une vie de morts vivants.
Face à la mort, nous avons donc à choisir entre ces deux attitudes : aucune ne nie la réalité dramatique de la mort. Mais d’un côté, il y a ceux qui posent les scellés pour que la pierre du tombeau ne soit pas touchée ; de l’autre, il y a ceux qui entrent dans la tombe, peut-être avec une certaine appréhension, mais qui voient que le mort n’est plus là et qui comprennent : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité !
* * *
Alexandre, vous voici arrivé au moment de votre baptême. Depuis que vous avez frappé à la porte de cette basilique, confié par la communauté des bénédictins de Ganagobie pour que nous vous aidions ici à préparer votre baptême, vous avez bien cheminé.
La Vierge du Laus, la compagnie de Benoîte, l’amitié de l’équipe pastorale, la bienveillance fraternelle des pèlerins ; tout cela vous a porté jusqu’à cette nuit. Et vous êtes là, disposé à vous laisser éblouir par le Ressuscité.
Au cours de votre vie, vous avez parfois adopté l’attitude des gardes, mettant des scellés et verrouillant votre vie. Mais ensuite, vous vous êtes laissé guider par le Seigneur, qui vous a dit comme à la Samaritaine : « je suis l’eau vive », comme à l’aveugle-né : « je suis la lumière du monde », et comme à Lazare : « viens dehors ».
Vous avez accepté d’écouter, vous avez rompu les scellés posés sur le tombeau. Cette nuit, vous entrez dans la tombe pour y laisser mourir l’homme ancien ; et vous allez ressortir avec le Christ, libre et vainqueur, dans l’éblouissement de son amour et de sa vie !
Alexandre, que votre baptême nous fasse tous choisir encore cette nuit la vie des éblouis, la joie d’être illuminés, la puissance d’un regard transfiguré par la résurrection, non pas pour oublier la terre mais pour y porter cette lumière d’éternité.
Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Alléluia ! Amen.