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Sunday 22 January - Homélie prononcée à la Basilique de Notre-Dame des Victoires à Paris
Divins déménagements
Par le père Ludovic Frère, recteurJésus « quitta Nazareth et vint habiter à Carpharnaüm », nous dit saint Matthieu. Capharnaüm : cette ville, détruite par un séisme au VIIIe siècle, représente dans l’imaginaire collectif tout ce qui est encombré ; un grand bazar, un fouillis indescriptible.
Le Christ a donc quitté la sécurité paisible de Nazareth pour venir habiter un lieu d’encombrements. Comme si, de nos jours, il laissait par exemple le calme d’un sanctuaire haut-alpin pour rejoindre le brouhaha à la fois exaltant et épuisant d’une ville comme Paris !
Il est ainsi, notre Sauveur et c’est ainsi qu’il vient nous sauver : il n’a pas peur du fouillis et du bruit, il ne craint pas de visiter tous nos désordres. Ces lieux où nous-mêmes, nous risquons de nous perdre à trop vouloir les inspecter ou les ranger, le Seigneur vient y faire sa demeure !
Nous aimerions certainement Lui présenter davantage une vie intérieure bien ordonnée, où chaque chose aurait sa place et tout serait impeccable. Un tel désir est noble, pour faire à notre Dieu la plus belle des offrandes. Mais nous risquons bien de nous épuiser à penser qu’il attende de nous une vie intérieure bien rangée pour venir y habiter. « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades » (Mt 9,13).
Dans les sanctuaires où la Vierge Marie est honorée – et particulièrement sans doute en ceux où elle est reconnue comme Refuge des pécheurs, ce qui est le cas ici et à Notre-Dame du Laus - la présence maternelle de Marie nous fait saisir cette réalité profondément consolante et libératrice. Marie a été la première demeure terrestre du Fils de Dieu. Il a pris chair en son corps, il a habité cette belle personne immaculée, Marie préservée de tout désordre par une grâce venant de son divin Fils.
Nous qui ne sommes pas immaculés, nous comprenons alors que nos désordres intérieurs ne peuvent être réglés par nos seules forces, mais bien par Celui qui vient nous habiter. D’où la présence essentielle de la Vierge Marie pour nous rendre disponibles au Christ, et lui laisser chaque jour davantage de place en nous.
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Notre part à apporter est donc toute intérieure, pour laisser Jésus faire en nous sa demeure ; mais elle est aussi éminemment communautaire. « Qu’il n’y ait pas de divisions entre vous », dit saint Paul dans la 2e lecture. Voilà un vœu difficile à exaucer ! Nous devons reconnaître comme il est triste que le peuple chrétien soit aujourd’hui un véritable Capharnaüm : Catholiques et orthodoxes, protestants réformés, luthériens, anglicans, et une constellation de communautés évangéliques, sans compter les sensibilités et chapelles de tous ordres… quel Capharnaüm ! … que Jésus vient pourtant rejoindre et habiter.
Nous voici justement au cœur de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, traditionnellement célébrée entre le 18 et le 25 janvier, c’est-à-dire entre ce qui était jadis la fête de la chaire de Saint-Pierre – signe de son autorité apostolique - et la fête de la conversion de saint Paul. Entre Pierre et Paul, nous sommes invités à prier pour l’unité de tous les disciples du Christ. Voilà donc pour nous la demeure à habiter : entre Pierre et Paul. Entre ces deux colonnes de l’Église, les chrétiens sont appelés à construire l’édifice d’une unité réelle, qui ne nie pas les difficultés, les héritages historiques parfois douloureux et les grandes différences théologiques ; mais une construction fondée sur le désir de ne pas en rester à ce Capharnaüm qui est à la fois une douleur faite au Christ et un contre témoignage présenté au monde.
Car si le Seigneur est venu dans ce lieu de fouillis, ce n’est pas pour y rester, c’est pour que ses disciples quittent ce bazar afin de le suivre totalement. C’est donc bien clair pour nous tous : les divisions qui minent les relations entre chrétiens de différentes confessions, mais aussi les divisions qui pèsent sur nos communautés chrétiennes, sur des communautés de prêtres ou de religieuses, et jusque dans nos familles : toutes ces divisions n’ont d’issue possible qu’en abandonnant le souci de tenir notre petit territoire afin de suivre vraiment le Christ sur le chemin qui conduit à Jérusalem. « Celui qui veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive », dit Jésus.
Dans ses deux grandes encycliques sur la joie de l’évangile puis sur la joie de l’amour, le pape François insiste d’ailleurs sur cette conviction : « le temps est supérieur à l’espace ». Expression peu facile à saisir de prime abord, et pourtant incontournable pour savoir où demeurer avec le Christ. « Le temps est supérieur à l’espace », ça veut dire que nous sommes appelés à accompagner les processus qui se développent dans le temps plutôt que vouloir maîtriser les espaces de pouvoir. C’est vrai dans tous les aspects de la vie : si l’on cherche, même dans un service rendu, à dominer un espace de pouvoir, ça ne porte jamais beaucoup de fruits ; tandis que si l’on cherche à accompagner les processus dans le temps, on maîtrise moins les choses mais on permet une réelle croissance des personnes.
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C’est pourquoi, depuis Capharnaüm, Jésus choisit d’emmener directement ses disciples sur les routes. Désormais, ils n’auront plus de lieu fixe, ils ne maîtriseront plus aucun espace de pouvoir. Cette marche ne s’arrêtera que 3 ans plus tard, à Jérusalem, par la croix et la mise au tombeau, dernière habitation terrestre du Sauveur du monde, avant son retour au Père pour nous y préparer une demeure.
Voyez à quel point les lieux ont du sens : pureté de Marie, calme de Nazareth, grouillement de Capharnaüm, chemin jusqu’à Jérusalem, nuit du tombeau et enfin, demeure éternelle dans les Cieux. Voilà le chemin du Christ, ses différents « déménagements » ; et donc aussi nécessairement notre chemin, à nous qui voulons suivre Jésus.
Pour l’unité des chrétiens comme pour notre propre cheminement spirituel et pour notre salut, le Seigneur nous appelle à habiter les mêmes lieux que lui, et les habiter avec lui : reposer en Marie, trouver le calme d’un Nazareth pour nous construire, puis accepter de rejoindre les grouillements du monde à Capharnaüm, là où le Christ nous appelle à le suivre sur la route de Jérusalem. Et, au terme, parvenir au lieu de son offrande, de sa mort et de sa résurrection qui conduit à la Demeure éternelle.
Notre chemin de vie est ici tout tracé ; même s’il peut mélanger parfois ces différents lieux d’habitation. Car, sans cesse, nous avons besoin de revenir puiser force et douceur sous le manteau de Marie, ou de chercher le repos de Nazareth (soyez les bienvenus à Notre-Dame du Laus pour cela !) ; sans cesse, la vie nous place sur le chemin de Jérusalem, avec les merveilles accomplies par le Seigneur sur la route et les annonces déconcertantes de sa passion.
Aujourd’hui, certains parmi nous se sentent plutôt habiter Capharnaüm que Nazareth ; d’autres sont peut-être sur la croix, marqués par une souffrance, ou au tombeau, touchés par un deuil. Quel que soit le lieu intérieur où vous habitez actuellement, croyez vraiment que le Christ est déjà venu y vivre, et qu’il continue à vous y rejoindre pour accompagner ce processus de croissance qu’on appelle la sainteté et faire grandir cette unité entre nous qui vise la communion parfaite.
Chez saint Jean, quand les premiers disciples rencontrent le Christ, ils lui posent cette simple question : « Maître, où demeures-tu ? » Jésus ne leur dit alors pas qu’il habite à Nazareth ou à Capharnaüm ; Il leur répond en les mettant déjà en marche, en conversion : « Venez, et vous verrez ». A nous encore de faire de même. Sans cesse, chaque jour, à chaque Eucharistie. L’entendre qui nous dit : « Venez, et vous verrez ». Amen.