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Sunday 8 November - Cigales et fourmis du Royaume des cieux
Dimanche 8 novembre 2020 - 32e dimanche du Temps Ordinaire A
Par le père Ludovic Frère, recteurLa cigale et la fourmi : vous connaissez, bien sûr ! Cette fable de la Fontaine a été éditée pour la première fois en 1668 ; Benoîte Rencurel voyait ici la Vierge Marie depuis 4 ans déjà. Jean de La Fontaine fait de cette fable la première de son grand recueil ; une fable que l’on a certainement tous apprise par cœur à l’école, et dont on se souvient au moins du début : « La cigale ayant chanté tout l’été se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue ».
N’en est-il pas de même pour les cinq jeunes femmes de la parabole de ce dimanche ? Elles se trouvent fort dépourvues quand elles se réveillent de leur sommeil. Elles n’ont pas pris de réserves d’huile. Alors, de même que la cigale démunie se rend chez la fourmi sa voisine, c’est vers les jeunes filles prévoyantes que se tournent nos cigales bibliques.
Mais les femmes prévoyantes sont comme la fourmi de la Fontaine : elles ne sont pas prêteuses. « Allez plutôt chez les marchands pour en acheter ». En langage fourmi, ça donne : « Vous chantiez ? J’en suis fort aise. Eh bien, dansez maintenant ».
La finalité de cette parabole serait donc de nous présenter une morale de l’économie, de l’effort, de la vigilance à faire des réserves pour affronter les coups durs.
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Mais interpréter la parabole des 10 jeunes filles comme une simple fable moralisatrice, c’est réduire gravement sa portée essentielle. Une parabole n’est pas une fable, c’est une fenêtre ouverte sur le Ciel. Qui plus est quand Jésus précise lui-même : « Le royaume des Cieux est comparable à dix jeunes filles invitées à des noces. » Oui, c’est bien du Royaume des Cieux dont le Seigneur nous parle ici !
Plutôt qu’une petite morale de l’effort, sachons donc entendre cette parabole comme une lumière sur ce Royaume éternel qui nous est promis et sur la manière de pouvoir y entrer un jour. Le Christ nous introduit alors au mystère de son retour en Gloire, déjà annoncé dans le chapitre précédent. Comme on dit en théologie, cette parabole est « eschatologique » : elle ouvre aux fins dernières, pour chacun d’entre nous et pour le monde entier.
Dans sa sagesse, l’Église nous offre d’ailleurs cette parabole en ce mois eschatologique qu’est le mois de novembre : entre deux solennités, la Toussaint et le Christ Roi, nos regards sont tournés vers la Vie après la vie… Oui, regardez : l’époux arrive pour nous faire entrer dans la salle des noces éternelles ! Et le banquet céleste pourra bientôt commencer !
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Mais avant ces noces éternelles, il y la nuit de l’attente. Elle est faite à la fois de veille et de sommeil. Le sommeil des 10 jeunes filles représente assurément la mort, qui vient toucher tout le monde : « elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. » Il faudra alors un cri venu du dehors : « Voici l’époux », et toutes se lèveront comme au son des trompettes angéliques !
Mais auparavant, les 10 jeunes filles ont veillé dans la nuit ; cette nuit d’avant le sommeil de la mort représente notre vie actuelle. Oui, nous sommes dans la nuit, précise Jésus. Non pas que tout soit obscur sur cette Terre, fort heureusement ! Mais nous n’y sommes éclairés que par des lampes qui nous donnent une faible lumière sur l’ensemble du réel.
Viendra un jour où l’époux nous conduira dans la salle des noces ; une salle merveilleusement éclairée. Comme le dit le livre de l’Apocalypse : quand les serviteurs de Dieu entreront dans la clarté éternelle, « la nuit n’existera plus. Ils n’auront plus besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illuminera » (Ap 22, 4-5a).
Voilà ce qui nous attend au Ciel, frères et sœurs... Mais nous n’y sommes pas encore ! Sur Terre, nous vivons dans une forme de nuit. Pas une nuit de totale obscurité : nous avons des lampes à la main, qui nous éclairent et nous permettent de veiller en préparant nos yeux à la lumière éclatante de la salle des noces éternelles.
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Mais que sont donc ces lampes à garder à la main ? Quelle est cette huile qu’il faut avoir en réserve ? Pour le comprendre, il faut quand même bien le reconnaître : cette parabole est à première vue paradoxale. Les 5 femmes prévoyantes ne partagent pas leur huile avec les autres, et les voilà récompensées par l’époux ! On sait pourtant combien le Christ nous appelle par ailleurs au partage. Il en fait même le critère décisif du salut : « j’avais faim et vous m’avez donné à manger… j’étais nu et vous m’avez habillé. » Ces paroles, nous les trouvons quelques versets plus loin, dans ce même chapitre 25 de saint Matthieu. Le contraste n’en est que plus marquant : pourquoi récompenser éternellement le comportement des 5 femmes qui ont refusé de partager ?
En fait, il nous faut bien regarder ce qu’elles ne partagent pas, ou ce qu’elles ne peuvent pas partager : c’est l’huile de leur lampe. Le cœur de cette histoire, c’est donc bien la provision d’huile. La clé de la parabole consiste alors à découvrir quelle est cette huile à avoir en réserve suffisante et qu’on ne peut pas partager avec les autres.
À partir de la révélation, nous confessons que la seule réserve permettant d’éclairer la nuit de ce monde tout en préparant l’éternité, c’est l’amour. La matière nécessaire pour éclairer la vie sur terre, c’est l’amour ! Toutes les autres lumières - du succès, de l’argent, de la réputation, des honneurs - ne sont que des lumières pâles et passagères, qui ont vite de s’éteindre. La seule lumière durable pour éclairer notre vie, attendre l’époux et nous préparer à la clarté du Ciel, c’est l’amour brûlant à la flamme des réserves de charité qui habitent nos cœurs ! Le Christ nous appelle alors : « Que votre lumière brille devant les hommes ! » (Mt 5,16).
Oui, l’amour est une lumière qui se diffuse et se partage, bien entendu ; mais l’élan d’amour jaillissant du cœur, lui, ne peut être décidé par quelqu’un d’autre que soi. On n’aime pas par procuration, on n’aime pas par délégation : l’amour, on doit le décider par soi-même. D’où cette impossibilité pour les 5 femmes prévoyantes d’en donner à celles qui en manquent. On peut donner de l’amour, évidemment ; mais on ne pas décider à la place de l’autre que l’amour jaillisse de son cœur.
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Puisqu’elle n’ont pas veillé à la flamme de la charité, les 5 jeunes femmes imprévoyantes arrivent en retard et frappent à la porte. « Seigneur, Seigneur », crient-elles dans la nuit. Mais le Christ avait déjà prévenu, au chapitre 7 de saint Matthieu : « ce n’est pas en me disant ‘Seigneur, Seigneur !’ qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux » (Mt 7,21). Or, la volonté du Père, c’est l’amour et rien d’autre !
D’où cette douloureuse remarque de l’époux : « Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas. » En langage biblique, la connaissance, c’est l’expérience d’amour. « Je ne vous connais pas », ça veut donc dire : « l’amour personnel de communion n’a jamais existé entre nous ; vous n’en avez pas voulu, parce que vous n’avez pas misé sur l’amour. »
Bien que nous nous sachions faits pour aimer, tant d’autres préoccupations viennent souvent nous habiter sur Terre. Ce sont ces pâles lueur du bien-être et de la réussite, de l’orgueil et des biens matériels qui peuvent tellement nous endormir. Il faut alors que le Sauveur nous recentre sur l’amour et nous réveille : « veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure ».
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Oui, veillez ! Mais veillez sans crainte, car vous n’êtes pas laissés à vos seules forces pour vous dépatouiller dans la nuit. Si personne ne peut décider à la place d’un autre que l’amour jaillisse de son cœur, comptez pourtant sur l’époux pour ne pas nous laisser seul face à nos faibles réserves d’huile.
Nos cœurs sont tellement inconstants et si fragiles, qu’une entrée dans la salle des noces dépendant de nos seules capacités d’aimer laisserait cette salle bien peu remplie ! Mais l’époux, c’est celui-là même qui s’est donné sur la croix. Si nos cœurs peinent à faire jaillir l’huile de l’amour désintéressé, l’époux nous dit en Jean, chapitre 7 : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Ecriture : de son cœur couleront des fleuves d’eau vive » (Jean 7,37-38). Saint Jean commente : « En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui » (Jn 7,39). Oui, nos cœurs peuvent déborder de torrents d’eau vive - ou de litres d’huile si vous préférez – parce que l’Esprit Saint nous est donné !
Ainsi, par le Christ, les réserves d’huile nécessaires à la rencontre éternelle ne sont plus nos seules capacités d’aimer ; c’est la présence en nous de l’Esprit Saint, l’amour incréé entretenu dans nos âmes qui devient la source éclairant notre attente. C’est bien cela, le mystère de nos vies graciées : l’Esprit de Dieu aime en nous, il fait brûler en nous la flamme de la présence du Christ ; et alors, pas de risque de se retrouver démuni quand l’époux frappera à la porte de notre mort.
Alors, n’hésitez pas : demandez au Seigneur de vous remplir de son huile qui ne tarit jamais ! Demandez au Seigneur de vous envahir de son Esprit Saint. Qu’il soit en nous huile d’allégresse et de lumière ; huile abondante et débordante parce qu’elle est puissance du Dieu vivant ! Demandez aujourd’hui à l’Esprit saint d’être en vous cette réserve d’huile intarissable, réserve d’amour qui fait chanter la gloire de Dieu et qui ouvre toujours aux autres. Demandons les uns pour les autres cette surabondance de l’huile divine, pour qu’elle coule aujourd’hui sur nos corps, nos esprits et nos âmes ! Que l’Esprit Saint brûle en nous ! Que l’Esprit Saint aime en nous, et nous serons LUMIERE ! Amen.