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Sunday 6 November - 32ème dimanche du temps ordinaire
Dimanche 6 novembre 2016
Par le père Ludovic FrèreParce que la nature s’endort à l’approche de l’hiver, depuis les débuts de l’humanité peut-être, l’automne interroge sur le sens de la vie qui passe. « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets »… vous connaissez la chanson. Le mois de novembre, ouvert par l’éblouissante fête de la la Toussaint, a alors été choisi par l’Eglise comme un temps particulier de réflexion sur la mort et l’Au-delà. Comme pour nous interroger : les feuilles mortes sur lesquelles nous marchons à l’automne sont-elles des signes de ce que nous sommes appelés à devenir ?
C’est la question la plus fondamentale de l’existence humaine : qu’y a-t-il après la mort ? Vers quoi sont partis nos proches décédés ? Qu’allons-nous devenir dans quelques années, quelques mois ou quelques jours, quand la mort frappera à notre porte ? On peut refuser de se poser la question ; c’est plus confortable en un sens. Mais gare à son irruption soudaine dans la vie, quand on annonce le décès d’un proche ou une maladie incurable.
Plutôt que prendre conscience de la mort comme un coup de poing, ce dimanche propose de l’accueillir dans la paix. Et d’avoir cette force intérieure, cette honnêteté aussi, d’oser se situer personnellement. C’est bien ce que le Christ appelle à faire aujourd’hui : déterminer quel sens on choisit de donner à la réalité de la mort.
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Au cours de l’histoire de l’humanité, cette manière de se situer a pris trois grandes directions. On pourrait les appeler : les 3 « R » : Rien, Revenir ou Ressusciter.
La réponse par le « revenir », ou si vous préférez par la « réincarnation » séduit ceux qui voudraient prolonger la vie sur terre, en oubliant que, dans les conceptions orientales, la réincarnation est en fait l’échec de l’accomplissement de la vie. En Occident, on a allègrement transformé cette spiritualité en une forme de nouvelle chance, un peu comme dans les jeux vidéos, où l’on dispose de plusieurs vies.
On oublie alors l’irréversibilité des choses : et l’utilisation de plus en plus intensive de nos technologies numériques nous y pousse insidieusement. Sur un ordinateur, on appuie sur la touche « effacer », « delete », et on peut recommencer à zéro. Mais la vie réelle nous rattrape et nous montre que bien des choses sont irréversibles. « Revenir », se « réincarner » porte l’illusion de pouvoir lutter contre cette vérité essentielle : on n’a qu’une seule vie, parce qu’on est une personne unique.
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La réponse par le 2e « R » est plus simple encore : après la mort, il n’y a « rien » ! Jésus est confronté aujourd’hui à des Sadducéens, qui ont choisi ce camp du « rien ». L’existence ne serait qu’une parenthèse de quelques années entre deux néants : celui d’avant notre conception et celui d’après notre mort. Il n’y aurait pas à chercher autre chose ; il n’y aurait pas à espérer davantage. On est vivant, après on est mort…point final.
Cette conception de l’existence a le mérite de la simplicité : profitons de la vie, car elle passe vite et une fois qu’on est mort, on ne s’en rend même pas compte, puisqu’on n’est plus. On passe alors sa vie à courir désespérément après une existence meilleure, privée de souffrances ; une vie pour se divertir afin d’oublier son issue fatale. Parfois aussi, une vie sincèrement tournée vers les autres, pour alléger leurs poids de devoir subir, eux aussi, ce cours inexorable de l’existence qui ne mène à rien.
Les partisans du « rien » après la vie ne cherchent pas à démontrer qu’il n’y a rien ; ils attendent qu’on leur prouve qu’il y a quelque chose. Une preuve intangible, qui ne laisse aucun doute. Et c’est souvent pour nous, croyants, fort déstabilisant : « prouve-moi que la vie éternelle existe et j’y croirais ! » Nous balbutions alors quelques arguments peu convaincants, et nous sommes peut-être déstabilisés dans notre foi en la résurrection. On pourrait seulement répondre : « toi, prouve-moi que la vie éternelle n’existe pas, et je n’y croirai pas ! »
Comme les Sadducéens, les partisans du « rien » peuvent chercher à rendre absurde la foi en la résurrection. Ils moquent notre espérance éternelle en la voyant comme une simple transposition de la vie sur terre ; ils vont alors se demander si ce n’est pas un peu long, l’éternité. Et comment on va reconnaître ceux qu’on a aimés sur Terre dans cette foule céleste ? On aura quel âge au Ciel ? On va manger quoi ? Et les animaux, vont-ils ressusciter eux aussi ? Et ce voisin que je ne supporte pas, il faudra vraiment que je m’entende éternellement avec lui au Ciel ?
Cette vue des choses par le petit bout de la lorgnette, c’est ce que les Sadducéens ont choisi avec leur histoire dramatique de cette pauvre femme 8 fois veuve. Mais il peut nous arriver de nous poser cette même question, en fait : si le Paradis existe, dans un éternel échange d’amour, va-t-on avoir des relations privilégiées avec ceux qu’on aura aimé sur terre ?
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La réponse de Jésus aux Sadducéens est alors édifiante. Il aurait pu, avec l’omniscience qu’il tient de sa nature divine, répondre précisément aux questions. Il reste pourtant dans une forme de flou, quand il dit simplement : « ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir… ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir ». Etrange argumentation, pas franchement satisfaisante ni même compréhensible… mais géniale en fait : Car ce que Jésus-Christ nous dit sans hésitation, c’est la réalité de la résurrection. Les morts ressuscitent, voilà tout. Nous sommes « enfants de la résurrection » dit encore Jésus.
Tous ceux qui voudraient davantage de preuves ou de détails en sont pour leurs frais. Les modalités nous sont inaccessibles : penser l’éternité, c’est-à-dire une durée sans expérience du temps qui passe, un corps sans vieillissement et sans besoins physiologiques, un amour sans aucun retour à soi… tout cela est bien difficile pour nos esprits tellement limités !
Jésus ne nous donne donc pas de repères qui nous seraient inutiles ; mais il nous donne une espérance qui nous est nécessaire. La vie éternelle ne se prouve pas ; l’absence d’éternité non plus, d’ailleurs. On n’est pas ici dans le domaine de la preuve satisfaisante, mais de la foi qui donne du sens.
On ne cherche pas « comment c’est possible » mais « pourquoi ça l’est » ou « pourquoi ça ne le serait pas ». C’est un acte de foi, c’est-à-dire un élan de confiance en Celui que nous reconnaissons comme la Vérité en personne : Jésus-Christ, qui nous a ouvert les portes de la vie éternelle par sa mort et sa résurrection.
On peut alors réfléchir à n’en plus finir aux arguments en faveur ou en défaveur de la vie après la mort. Mais on risque de s’épuiser en argumentations contraires ou d’attendre des témoignages improbables, comme des signes de l’Au-delà. La foi chrétienne préfère proposer une rencontre plutôt qu’un argument : une rencontre vitale avec le Sauveur du monde. Une rencontre profonde et communautaire avec le Dieu des vivants.
Pour grandir dans la foi en la Vie éternelle, il faut donc grandir dans la rencontre avec le Christ. C’est ce que nous offre chaque Eucharistie. Laissons-nous alors rencontrer, aujourd’hui encore, par Celui qui a vaincu la mort ! Laissons son corps eucharistique de Ressuscité rejoindre et se fondre à nos corps mortels, pour nous donner l’assurance viscérale de sa victoire éclatant en vie éternelle ! Amen.