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Friday 1 February - 4 eme dimanche du temps ordinaire
Dimanche 3 février 2019
Par le Père Ludovic Frère, recteurAccepter la gratuité de Dieu
Tout se passait bien jusque-là. Après quelques temps d’absence, Jésus était revenu à Nazareth. Il était allé se faire baptiser dans le Jourdain, vivre les 40 jours au désert et parcourir un peu la Galilée. Dans la bourgade où il avait grandi et travaillé, on ne l’avait donc pas oublié. « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Oui, à Nazareth, on connaît bien Jésus.
Mais depuis quelques temps, des rumeurs ont circulé sur lui, venant de Capharnaüm et des environs : il paraît que le compatriote fait des miracles partout où il passe ! Alors, son retour au pays suscite un intérêt tout particulier.
Dans la synagogue de Nazareth, la foule s’est donc rassemblée. Elle attend quelque chose, des miracles peut-être, ou des prophéties, des paroles de connaissance. Rappelez-vous dimanche dernier : Jésus avait commencé par lire le prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la libération et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »
Or, avec tout ce que Jésus a accompli dans la région ces derniers temps, ces paroles ne sont pas anodines. La rumeur rapportait qu’il avait guéri des aveugles et libéré des possédés. Dans ce contexte, sa très courte prédication marque les auditeurs : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre ». Une annonce grandiose, qui vient pour ainsi dire confirmer les rumeurs : Jésus est bien capable de faire des miracles !
Ainsi, la réaction de la foule est loin d’être négative : « Tous lui rendaient témoignage », dit l’évangéliste. Les gens « s’étonnaient des paroles de grâces sortant de sa bouche ». Les auditeurs sont bien disposés à recevoir une telle parole de bénédiction et à bénéficier des « pouvoirs » de Jésus.
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On peut dire que tout se passait bien… jusqu’à ce que le Christ reprenne la parole. Et c’est là, l’enseignement crucial pour nous aujourd’hui : Jésus aurait pu surfer sur sa popularité et répondre à toutes les attentes de la foule. Mais il va provoquer l’assemblée, pour qu’elle réfléchisse par-delà ses désirs d’interventions divines spectaculaires.
Le raisonnement des Nazaréens était pourtant bien simple : si Jésus avait pu faire des miracles à l’extérieur, combien plus pouvait-il en faire à domicile. Comme une équipe de foot, qui marque plus facilement des buts sur son terrain qu’à l’extérieur. Les nazaréens ont même peut-être la conviction de pouvoir bénéficier d’un droit particulier : une sorte de prime à la localité : puisqu’on habite le village du guérisseur, on estime pouvoir en recevoir plus que les autres ! Par-delà le raisonnement des habitants de Nazareth, cette prétention s’étend en fait à l’ensemble du peuple juif : bénéficiant des promesses de la première alliance, le peuple estimait être le destinataire privilégié, pour ne pas dire unique, des bénédictions divines.
Les deux exemples pris par Jésus sont alors bien dérangeants : le juif Elie a été envoyé vers une veuve étrangère. Le prophète Elisée a guéri un général syrien. Tout ceci annonçait Jésus-Christ, venu pour sauver et guérir le monde entier, et non seulement le peuple élu. Le monde entier ! C’est ce que nous célébrions voici un mois, avec les mages venus d’Orient. C’est ce que nous entendions encore hier, avec la fête de la présentation au temple et ce cri de Syméon, voyant dans l’enfant Jésus la « lumière pour éclairer toutes les nations ». Jésus n’appartient pas à un groupe particulier, il est pour tous, car Dieu aime chacun de ses enfants sans aucune distinction.
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Notre présence à la messe aujourd’hui, notre fidélité à la prière ou à la charité ne nous donnent donc pas de privilèges particuliers. Prendre conscience qu’on n’a rien à revendiquer, c’est nous assurer qu’on n’est pas devant Dieu dans une logique de réclamation.
La prière n’est pas une revendication ; elle est un témoignage d’amour. La participation à la messe ne vise pas à mériter des bénédictions divines ; elle est l’expression de notre obéissance à Dieu, d’un amour appelé à se purifier toujours davantage de la logique du mérite ou du donnant-donnant.
La réaction des nazaréens interroge alors nos profondeurs : Frères et sœurs, pourquoi êtes-vous ici ce matin ? Qu’est-ce qui vous a motivé ? Que cherchez-vous ? En ce sanctuaire voulu par la Vierge Marie pour la conversion, il y a peut-être encore des conversions à oser vivre. La première étant la conversion d’une foi par intéressement, pour vivre une foi de gratuité d’amour.
Ça peut nous déranger de l’entendre, autant que les nazaréens dérangés par les paroles de Jésus et sont prêts à le faire basculer dans un précipice. Il est dérangeant de reconnaître que notre vie spirituelle peut être intéressée. On peut pratiquer et rendre des services dans l’Église pour se donner à soi-même de l’importance. On peut avoir une pratique religieuse dans le but d’y trouver de l’apaisement, de la consolation ou des réponses au sens de la vie.
Tout cela n’est évidemment pas mauvais, mais si c’est la raison de notre présence ici aujourd’hui, il faut bien le reconnaître : nous instrumentalisons le Seigneur. Nous faisons de lui un outil au service de notre bien-être ou de notre apaisement. Nous ne sommes alors plus des créatures devant leur Créateur, des disciples devant leur Maître.
Cette instrumentalisation de Dieu risque encore de se prolonger dans une instrumentalisation des autres : des gens qu’on utilise seulement pour satisfaire nos besoins. Des relations humaines qui manquent de gratuité. C’est un grand risque dans toutes nos relations. Ce que l’on appelle « amitié » a besoin d’être sans cesse passé au crible de la vérité, pour bien discerner ce que nous attendons d’une telle relation.
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Alors, tout l’enjeu de la vie spirituelle – et donc en fait, tout l’enjeu d’une vie authentiquement humaine -, c’est d’entrer vraiment dans la gratuité de Dieu.
Avec le Seigneur, rien ne s’achète. Dans la foi, on ne s’empare de rien, surtout pas de Dieu. C’est à Lui de s’emparer de nous. C’est à l’Esprit Saint de nous remplir jusqu’à l’intime, afin que la gratuité que Dieu est en personne devienne en nous aussi gratuité de vie et d’être.
Alors le Seigneur peut venir guérir et libérer, sortir les captifs de la prison de leurs marchandages et ouvrir les yeux des aveugles qui pensent être règle en raison de ce qu’ils font. Nous ouvrir à la gratuité de Dieu, c’est permettre à sa grâce d’agir vraiment en nous et entre nous.
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Cette semaine qui commence, et ce mois qui vient à peine de débuter, pourraient bien être pour nous semaine ou mois de gratuité. Avec une attention permanente à ne pas prier sous forme de marchandage et à ne pas entretenir de relations intéressées avec les autres.
Mais en fait, ce n’est pas une attention qui nous est demandée pour cela ; c’est au contraire l’arrêt de tous nos calculs. Lâcher tout ce que nous cherchons à maîtriser pour accueillir davantage la présence gratuite de Dieu dans nos vies. Car il s’offre sans mesure, notre Seigneur ; il est là sans condition, il donne tout sans compter. Laissez le Dieu gratuit faire les soldes en vous ! Laissez-le faire de vous et de vos familles, selon la promesse de la première lecture, « une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze ». Oui, quand l’Eternel gratuit nous fait vivre, alors nous sommes vraiment forts. Amen.