Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Sunday 16 August - Des miettes d’Infini suffisent à rassasier
Dimanche 16 août 2020 – 20e dimanche du temps ordinaire
Par le père Ludovic Frère, recteur<xml> </xml>
Homélie du dimanche 16 août 2020 – 20e dimanche du temps ordinaire
Homélie du père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Des miettes d’Infini suffisent à rassasier
C’est quoi, « la grâce de Dieu » ? Que dit-on quand on la confesse, que demande-t-on quand on la réclame ? Doit-on en parler au singulier ou au pluriel ?
Personnellement, j’ai une préférence pour le singulier, car la grâce divine ne se mesure ni en poids, ni en nombre, ni en intensité. La grâce de Dieu n’est que grâce. C’est-à-dire - selon les différentes acceptions du mot « grâce » - qu’elle est à la fois gratuité, liberté et beauté :
- D’un prisonnier libéré sur décision d’une autorité, on dira qu’il a été grâcé.
- D’un bien obtenu sans aucun effort, on dira qu’il est gratuit.
- Et d’une danseuse virevoletant au rythme de la musique, on dira qu’elle est gracieuse.
La grâce de Dieu, c’est tout cela à la fois : le don de cette liberté offerte au condamné, le cadeau d’une gratuité totale qui vient de Dieu et la participation à la beauté gracieuse qu’Il est en plénitude. Or, ni la liberté, ni la gratuité, ni la beauté ne se mesurent en poids ou en quantité. La grâce de Dieu, c’est la rencontre avec ce qu’Il est.
* * *
Pourquoi parler aujourd’hui de la grâce ? Parce qu’il me semble que c’est seulement à partir de ce regard sur la grâce divine que l’on peut comprendre l’évangile de ce dimanche. Dans ce dialogue déroutant et touchant à la fois, nous voyons la persévérance d’une maman et la compassion du Christ : l’une qui supplie la grâce, l’autre qui répand la grâce.
Cette femme se contenterait de miettes. Jésus lui répond ultimement : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Elle demandait des miettes ; elle obtient tout ! Car la grâce ne se limite jamais à quelques miettes. Quand Dieu donne, il répand sa grâce libératrice, belle et gratuite… le Seigneur donne donc toujours tout !
Dans ce sanctuaire qui est un grand lieu de grâces, il me semble essentiel de savoir l’entendre : la grâce n’est pas une affaire de miettes ou de plus grosses parts qu’on recevrait au prix d’efforts spirituels plus ou moins intenses. La grâce, c’est Dieu qui s’offre. La grâce, c’est le Dieu éternel, infini, tout-puissant, transcendant, merveilleusement beau, qui se donne… ça n’est jamais des miettes !
On n’est pas ici dans une logique de quantité. C’est bien cela, la foi de cette Cananéenne : elle saisit que la grâce qui vient du Christ, il ne faut pas en avoir des kilos pour qu’elle soit efficace. Même une miette de don divin peut combler puisque Dieu est infini. Même une miette porte l’infini ; une seule miette de présence divine suffit à rassasier ! C’est cela, la grâce !
Il me semble que c’est le premier et plus essentiel enseignement pour nous, dans notre chemin de foi : ne pas attendre une forme de « toujours plus » en matière de grâces sensibles, comme si Dieu ne se donnait pas suffisamment à chaque fois. Non, quand le Seigneur donne, Il donne tout, parce qu’Il ne donne rien qui soit extérieur à Lui-même. Tout ce que donne le Seigneur porte donc l’infini de ce qu’Il est.
* * *
De là, un deuxième enseignement essentiel sur la grâce : puisque tout est donné par Dieu, ce n’est pas une affaire de conquête de notre part. On n’achète pas la gratuité de Dieu, on ne soudoie pas le Seigneur par quelques prières bien formulées ou par une démarche dans un sanctuaire. Dieu n’est pas à vendre !
C’est ce que la Vierge Marie fait comprendre ici à Benoîte Rencurel, quand la bergère refuse de lui donner sa chèvre à laquelle elle était trop attachée. Elle commence à marchander : « vous ne l’auriez pas pour trente écus ». La Mère de Dieu lui répond qu’elle ne l’achèterait pas. Le Ciel n’est pas à vendre, car l’amour ne s’achète pas. Comme le chante le Cantique des Cantiques, « un homme donnerait-il toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, il ne recueillerait que du mépris ». On n’achète pas le Dieu de grâces, le Dieu gratuit. Et ainsi, il est bien clair qu’on n’a aucun droit sur Lui.
Le fait que cette Cananéenne suppliant le Christ soit une étrangère met justement en lumière cette absence totale de droits dans la manière de demander les grâces divines. Cette femme ne peut même pas faire comme les Israélites, qui pensaient pouvoir revendiquer un privilège, eu égard aux promesses que le Seigneur leur avaient faites au cours des siècles. Une sorte de droit du sang ou de droit d’élection, qui risquait de figer dans des postures de supériorité et d’exigences. Au contraire, la conscience de son absence de droit rend cette femme humble et mendiante de la grâce divine.
Voilà qui nous interroge sur nos postures devant Dieu : n’est-on pas parfois dans une logique de droit ? « Puisque je Te prie, Seigneur, Tu dois m’exaucer comme je l’entends : c’est mon droit, payé au prix des quelques minutes de mon temps si précieux perdu dans la prière ». Puisque je suis chrétien, ou fidèle à telle tradition ou adepte de telle dévotion, j’estime avoir le droit à tel ou tel exaucement, telle ou telle protection, telle ou telle place dans l’Église ou bientôt au Ciel.
Le risque peut être grand de faire de notre pratique religieuse une forme de droit sur Dieu. Je vous invite d’ailleurs à faire bien attention à toutes ces dévotions, circulant par internet ou par SMS, prétendant qu’en récitant chaque jour telle prière ou en transmettant à dix personnes tel message présenté comme divin, on a le droit à des grâces particulières. Grâce, gratis, gratuité… avec la grâce de Dieu, rien ne s’achète ; ni une vie plus facile, ni une place au paradis.
Dès que nous sommes dans le registre d’un droit sur le Seigneur et ses desseins, nous perdons le juste rapport à la Transcendance divine et à l’humilité qui nous situe à notre bonne place devant Dieu. La Cananéenne ne pouvant rien revendiquer, sa prière ne peut être qu’une humble supplication, qui vient toucher le Seigneur droit au cœur. Car Dieu aime l’humilité, tandis que l’orgueil de la revendication empêche sa grâce d’agir. Humilité pour recevoir et non exigence pour obtenir : voilà donc ce qui permet à la grâce surabondante de porter des fruits en nous.
* * *
Au final, cet évangile des miettes ne peut que nous conduire à une profonde louange. Nous ne pouvons rien revendiquer devant Dieu, rien exiger, rien acheter… mais devant nos humbles supplications, le Seigneur « fond », pour ainsi dire. Il répand alors des torrents de grâces !
Nous n’en méritons pas la moindre miette, pourtant nous contemplons en Jésus-Christ un Dieu qui ne se contente pas de donner des miettes. Quand le Seigneur donne, Il se donne tout entier, jusqu’à la Croix, jusque dans sa Présence eucharistique, jusque par l’Esprit Saint qui vient nous remplir au plus intime. Dieu donne tout, et Il demande : Est-ce que tu veux de Moi ?
Nous devrions être d’humbles suppliants devant Dieu ; mais nous découvrons dans le Christ le visage d’un Dieu qui Lui-même nous supplie. Un Dieu mendiant notre amour, notre disponibilité à Le recevoir. Si nous Lui ouvrons la porte, sa grâce peut faire des merveilles en nous ! Même les miettes que nous sommes, nous petites créatures de quelques décennies, nous devenons alors porteurs d’éternité, porteurs de Dieu !
* * *
Cet évangile est donc pour nous un magnifique écho à ce que nous avons célébré hier : dans la Vierge Marie, comblée de grâce, toute disponible à la grâce, le Seigneur a pu faire des merveilles, dès sa Conception immaculée et jusqu’à son Assomption dans la Gloire du Ciel ! En Marie, nous saisissons donc ces trois réalités que j’ai tenté de vous préciser : la grâce n’est pas quantifiable, la grâce n’est pas à vendre, la grâce n’est qu’à accueillir.
Car alors, non seulement la Présence du Seigneur transforme les miettes que nous sommes en nourriture consistante pour les autres, mais encore, elle nous prépare au Ciel, là où nous ne mangerons vraiment pas que des miettes : le Dieu éternel et tout-puissant nous fera partager sa vie, pour toujours ! Repas succulent, banquet éternel, rassasiement total ! Amen.