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dimanche 21 avril - 4e dimanche de Pâques, année C
"Des prêtres agneaux et pasteurs"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Le livre de l’Apocalypse nous a rappelé, dans la deuxième lecture, la figure de l’Agneau innocent et sacrifié, dans le sang duquel les saints « ont lavé leurs vêtements » (Ap 7, 14). Cet Agneau immolé, c’est bien sûr le Christ Jésus. Mais dans l’évangile, l’Agneau dit de lui-même : « Je suis le bon pasteur, le vrai berger » (Jn 10, 11). Nous voici donc à contempler la double figure paradoxale d’un agneau-berger, ou d’un pasteur-agneau. Comme un berger, il guide ses brebis ; mais pas à la manière d’un chef de ce monde. Il les guide comme un agneau sacrifié, c’est-à-dire en se donnant lui-même pour le troupeau.
Se présentant ainsi comme un berger-agneau, le Christ donne deux indications fondamentales sur lui-même dans l’évangile de ce dimanche : « mes brebis […] je leur donne la vie éternelle » (Jn 10, 28a), dit-il d’abord, avant de poursuivre : « jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main » (Jn 10, 28b). Le berger-agneau donne la vie éternelle et il empêche qu’on lui arrache ses brebis.
Ces deux indications complémentaires éclairent profondément la mission du prêtre, pour nous qui célébrons aujourd’hui le 50e dimanche des vocations sacerdotales. C’est bien sûr chaque disciple du Seigneur qui est appelé, en vertu de son baptême, à embrasser cette vocation universelle : être des agneaux qui se donnent à l’image du Christ et des guides pour aider les autres à avancer vers la vie éternelle. Comme père ou mère de famille, comme consacré ou célibataire, nous avons tous des personnes à guider, par le Christ, sur le chemin de la sainteté ; et nous ne pouvons le faire qu’en nous donnant à eux, tels des agneaux immolés.
* * *
Mais pour permettre à tous les baptisés d’accomplir ainsi cette vocation exigeante et exaltante, le Seigneur a voulu instituer des prêtres, qui doivent se donner comme l’Agneau de Dieu et à guider les autres comme le Pasteur éternel.
En tant qu’agneaux à l’image du Christ Agneau, les prêtres sont appelés à offrir chaque jour davantage leur vie comme ils offrent quotidiennement le sacrifice eucharistique. Bien entendu, toute vocation est une offrande ; mais la vocation presbytérale met sous nos yeux, de manière particulièrement tangible, l’image du Christ offert pour la multitude, l’Agneau pascal préfiguré en celui que les hébreux avaient mangé avant de prendre le chemin de la libération d’Egypte.
Et ainsi, le prêtre cherchant à suivre le Christ dans son offrande devient lui aussi instrument de libération pour tous ceux qui sont prisonniers dans leurs péchés, dans leurs peurs, dans leurs corps malades ou leurs esprits torturés, dans leurs situations de vies injustes et leurs existences sociales indignes.
Le prêtre est ministre de libération ! Et nous aurons toujours besoin de ces signes et moyens de libération que sont nos prêtres. Nos Eglises auront bon s’organiser différemment, avec des structures certainement nécessaires mais jamais pleinement satisfaisantes, nous aurons toujours besoin du signe et de l’instrument de libération qu’est le prêtre, pour nous conduire à ce que le Christ berger nous rappelle aujourd’hui : « Je leur donne la vie éternelle » (Jn 10, 28). Le ministère de libération du prêtre vise essentiellement le salut éternel ; et sans doute, pour nous rendre compte à quel point nous avons besoin des prêtres, devons-nous d’abord redécouvrir combien nous avons besoin d’être sauvés.
Je me demande si la crise des vocations presbytérales n’est pas d’abord, pour ainsi dire, une crise du salut. C’est certainement une crise de la foi en général, mais on voit combien, de nos jours, on ne pense plus guère à son salut et à celui des autres. Ou alors on estime un peu facilement qu’on ira tous au paradis, sans aucune implication de notre part. Plus besoin alors de pasteurs qui nous guident vers l’éternité ; plus besoin de prêtres qui font résonner la Parole de Dieu et qui donnent les sacrements par lesquels nous recevons la grâce du salut. Si nous voulons des prêtres, il faut d’abord vouloir être des sauvés.
De manière vibrante, au cœur de ce qu’on appelle « l’éclipse du Laus », quand des prêtres qui y furent nommés n’avaient pas de zèle pour le salut des âmes, les Manuscrits du Laus rapportent ces paroles fortes : L’ange dit à Benoîte « que ces prêtres ne faisaient pas bien ; qu’ils faisaient perdre la dévotion à ceux qu’ils refusaient de confesser […] et bien d’autres choses dont ils rendront un compte bien exact à Dieu, parce qu’ils font perdre la dévotion […] et des âmes se sauveraient si ces prêtres avaient l’esprit de charité et prenaient soin des âmes »[1].
D’une façon bien plus positive, les Manuscrits du Laus s’enthousiasment : « Qu’on est heureux quand, dans les désordres de sa conscience et dans ses infirmités, on trouve quelqu’un qui nous donne des avis salutaires, et quand on peut être assisté, surtout pour l’âme dans ses besoins, par des prêtres qui nous secourent dans les maladies et dans un danger de mort ! »[2]
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Bien entendu, aucun prêtre n’est à la hauteur de l’offrande de l’Agneau immolé sur la croix. Pâles reflets de Celui qui a tout donné gratuitement, vos prêtres restent des hommes remplis de contradictions, comme chacun d’entre vous. Ils restent des porte-paroles jamais à la hauteur de la Parole qu’ils portent. Ils restent des croyants en chemin, avançant parfois, reculant aussi, passant de la générosité à la frilosité, de la délicatesse à l’irritabilité. Et c’est pourquoi vos prêtres ont besoin de votre prière et de votre soutien amical, afin qu’ils soient toujours davantage, parmi vous et dans le monde, les signes vivants de l’Agneau ressuscité et des instruments humbles de libération éternelle.
Mais si l’Agneau pasteur libère ses brebis pour la vie éternelle, il fait aussi une promesse bien réconfortante : « jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main » (Jn 10, 28). Le vocabulaire est fort : celui d’un arrachement. C’est dire qu’il existe bien des forces hostiles, qui veulent arracher au Christ ceux qui lui appartiennent. Il ne s’agit donc pas d’être naïf, en envisageant la vie chrétienne comme une existence tranquille, simplement respectueuse de quelques préceptes.
La vie de foi est une vie de combat et de vigilance, pour ne pas se laisser prendre par ce qui n’est pas du Christ ; c’est rechercher et accueillir cette proximité avec le Sauveur qui nous préserve de tout danger d’être séparé de lui, car ses brebis « personne ne les arrachera de [sa] main ».
Pour qu’il en soit ainsi, il nous suffit donc seulement de vivre dans les mains du Seigneur. Le ministère du prêtre consiste justement à nous aider à rester dans les mains du Sauveur. En tant que bergers, les prêtres ont pour mission, par et dans le Christ, de nous maintenir dans une proximité telle avec le Sauveur que les puissances qui lui sont opposées n’aient plus sur nous aucun pouvoir. Leur séduction ne nous attire plus, leur force ne nous impressionne plus, parce que nous sommes dans les mains du Seigneur.
En guidant une communauté chrétienne, en l’ouvrant à la vérité de la Parole de Dieu, en la sanctifiant par les sacrements, le prêtre est l’instrument de la proximité : il permet au Christ de nous maintenir en relation étroite avec lui. C’est pourquoi nous aurons toujours besoin de prêtres, même s’ils logent à des kilomètres de nos propres lieux de vie. Nous aurons toujours besoin de prêtres pour que nous soyons proches du Christ.
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En instituant le dimanche des vocations sacerdotales, le Pape Paul VI disait : « Le problème du nombre suffisant de prêtres touche de près tous les fidèles : non seulement parce que l'avenir religieux de la société chrétienne en dépend, mais aussi parce que ce problème est le signe précis et indéniable de la vitalité de la foi et de l'amour des communautés paroissiales et diocésaines particulières, et le témoignage de la santé morale des familles chrétiennes ».
Et le Saint-Père concluait : « Là où l'on vit généreusement selon l'Evangile, là jaillissent de nombreuses vocations à l'état clérical et religieux »[3]. Frères et sœurs, nous savons donc ce qui nous reste à faire si nous désirons vraiment des prêtres, bergers et agneaux. Il nous faut vivre généreusement l’évangile, être nous tous des agneaux qui se donnent à l’image du Christ et des guides qui orientent vers les joies éternelles. Si le Seigneur perçoit en nous ce grand désir, nul doute qu’il nous exaucera bien au-delà de ce que peuvent nous dire quelques statistiques pessimistes.
Christ est ressuscité. Alléluia. Amen.
[1] CA G. p. 222 IV [268] – année 1708
[2] CA G. p. 133 IV [179] – année 1685
[3] Paul VI, Radio message, 11 avril 1964.