Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
dimanche 5 janvier - Messe de la solennité de l’Epiphanie – Dimanche 5 janvier 2013
Des chercheurs assoiffés
Par le père Ludovic FrèreDes mages et leurs chameaux, des présents somptueux et bien sûr des galettes qu’on ne peut manquer de savourer en ce jour : la fête de l’Epiphanie est vraiment bien sympathique ! Pourtant, si l’Eglise nous l’offre comme une solennité, ce n’est pas seulement pour satisfaire notre goût du folklore. Il y a bien sûr quelque chose de plus profond dans la révélation de ces mages venus d’Orient, qui se prosternent devant l’enfant Roi.
Ainsi, entendre l’Evangile des mages, c’est nécessairement nous mettre à leur place. Ils étaient certainement en quête d’un sens à leur vie ; nous aussi peut-être. Ils parvinrent à avancer parce qu’ils avaient les yeux levés vers le Ciel ; nous aussi. Ils ont trouvé dans l’Ecriture Sainte une direction et un accomplissement des promesses ; nous aussi. Ils sont venus se prosterner et adorer le Sauveur du monde ; nous aussi.
Les mages nous parlent ainsi de notre propre itinéraire de vie. Ils retracent ce qu’est un chemin de foi, pour nous encourager en ce début d’année à oser suivre la lumière qui conduit au Christ. Chercher ce qui habitait le cœur des mages peut donc nous aider à avancer nous-mêmes dans notre foi et à soutenir les autres dans leur découverte du Sauveur du monde.
****
D’abord, ces mages avaient une qualité qu’on peut confondre avec le défaut du même nom : ils étaient curieux. « Vilain défaut », dit-on quand la curiosité se fait indiscrétion. Mais les mages venus d’Orient nous montrent la beauté de la curiosité quand elle met en marche et ne se satisfait pas de l’acquis seulement. Etre curieux des autres, c’est éviter de les juger et de penser ne rien pouvoir recevoir d’eux. Etre curieux de la vie, c’est l’accueillir dans l’action de grâce et être capable de contemplation. Etre curieux de Dieu, c’est Le chercher sans cesse, à l’image du psalmiste qui s’éveille en chantant : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube. Mon âme a soif de toi ». Pourquoi ne pas commencer chacune de nos journées par cette simple prière : « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube. Mon âme a soif de toi » ?
Les mages étaient des assoiffés ; c’est sans doute pourquoi la tradition leur fait traverser un désert. Dans un beau roman des années 80, Michel Tournier, cet écrivain connu notamment pour son Vendredi ou la vie sauvage, présente les mages comme des insatisfaits : Gaspar a eu le cœur brisé et cherche un amour durable. Balthazar veut constituer le plus grand musée du monde ; il part donc en quête des plus belles œuvres artistiques. Quant à Melchior, il est présenté comme un exilé, chassé de son royaume après un coup d’État. Ainsi, les trois mages sont en quête d’amour, de beauté, de pouvoir. Ils veulent en finir avec leurs échecs ; ils cherchent ce qui habite le cœur humain, avec tant de contradictions.
Mais quoi qu’il en soit de ces interprétations romanesques de leurs intentions, les mages étaient certainement guidés par une forme d’insatisfaction, qui les a poussés en avant. A la recherche de réalités terrestres, ils vont finalement se décharger devant l’enfant Jésus des derniers biens qui leur restaient peut-être : l’or, l’encens et la myrrhe. Ils voulaient obtenir ; ils repartent les mains vides.
Mais ils ont en fait accompli la raison d’être de leur voyage : ils se sont libérés devant l’Enfant-Dieu de leurs biens matériels avec l’or, de leur peur de la mort avec la myrrhe et de leur désir d’autoréalisation avec l’encens qu’ils ont offert au seul vrai Dieu. Ils étaient partis curieux et insatisfaits ; ils s’en retournent comblés… bien que les mains vides.
****
Mais en plus de cette curiosité qui les a poussés en avant, les mages se sont laissé conduire par une autre qualité : le courage. La peur du danger ne les a pas fait renoncer à leur long voyage. Pourtant, on les a peut-être moqués quand ils apprêtaient leurs chameaux pour partir sans savoir où ils allaient.
Les mages n’ont pas eu peur du qu’en-dira-t-on ; ils n’ont pas craint les dangers de la route ; et ultimement, ils n’ont même pas cédé à l’angoisse de se trouver poursuivis par un Hérode en colère. Chacun pourra chercher les parallèles possibles avec nous, chrétiens, dans le monde d’aujourd’hui….
Le pape Benoît XVI, dans son homélie de l’année dernière pour l’Epiphanie, commentait le courage des mages en disant : « la crainte de Dieu libère de la crainte des hommes ». On comprend que le même mot a ici deux significations différentes : la confiance en Dieu libère de la peur des autres.
Alors, en ce début d’année nouvelle, c’est toute une attitude de fond que l’exemple des mages nous invite à adopter. « La crainte de Dieu libère de la crainte des hommes ». On peut croire que les mages l’avaient compris ; certainement, ils se moquaient bien de ce qu’on allait pouvoir penser d’eux à leur retour, quand ils reviendront bredouilles en apparence, alors qu’ils auront trouvé en fait le plus grand des trésors. Les mains vides, ils pourront seulement témoigner de leur rencontre avec le Sauveur ; et ce témoignage conduira peut-être d’autres assoiffés à venir s’incliner à leur tour devant Celui qui s’abaisse pour nous sauver.
****
« Ils regagnèrent leurs pays par un autre chemin ». Oui, les mages sont bien rentrés différents. Leur rencontre avec le Sauveur les a détournés de la route du mal : ils ne sont pas revenus à leur complicité – même involontaire - avec Hérode, pas plus que notre union au Christ ne devrait plus nous conduire à une quelconque complicité avec le péché.
Mais les mages rentrent aussi par un autre chemin en ce sens que leur vie ne sera plus jamais comme avant. Ils ont trouvé le Messie, le Sauveur. Ils sont désormais libres ; et les objectifs de leur vie ne sont certainement plus les mêmes.
Surtout peut-être pour ce 4e mage, dont on n’entend pas parler, mais rien ne dit dans l’Evangile que les mages n’étaient que trois, même s’ils offrent trois cadeaux. Pourquoi n’y aurait-il pas d’autres mages venus se prosterner devant le Christ ?
Dans le roman que je vous citais, Michel Tournier présente ainsi un 4e mage, qui n’est malheureusement pas arrivé à temps à la crèche. Il faut dire qu’il avait une préoccupation très prenante : il était en quête du meilleur dessert au monde. Sa gourmande obsession le mit dans de telles situations qu’il fut emprisonné pour n’être libéré que des années plus tard et parvenir enfin à Jérusalem, 33 ans après ses prédécesseurs. Il arrive au cœur de journées particulières, qui vont le conduire non pas à découvrir la recette d’un dessert succulent, mais à goûter le mystère de l’Eucharistie, quand il entrera dans une salle à part, où le pain et le vin avaient été déposés pour la dernière Cène puis laissés là quand les convives s’étaient dispersés et que le Maître avait rejoint le Jardin des Oliviers.
Pardon de mettre ainsi un simple roman en parallèle avec la grande Parole biblique révélée ; mais n’est-ce pas cette même réalité qui est exprimée ? Les mages étaient des assoiffés de vérité, de science et de sagesse. Ils vont partir en recherche et trouver Celui qui va les combler bien au-delà de leurs seuls désirs : le mage aux amours déçus découvre la Source de l’amour, le mage en quête de pouvoir cesse de courir après du vent quand il comprend que le Tout-puissant s’est fait petit enfant ; et le mage esthète contemple en Jésus-Christ la beauté incarnée. Lequel de ces mages sommes-nous donc ?
Mais celui qui se trouve comblé par-delà tous les autres, c’est ce dernier mage, qui cherchait une nourriture pour distraire ses papilles et qui découvre la grande nourriture qui rassasie son âme. L’Eucharistie nous fait ainsi revivre à chaque fois l’expérience des mages. Il a fallu nous mettre en route, peut-être avec un certain effort, pour venir jusqu’ici ; puis l’Ecriture nous a guidés aux portes de l’étable. Nous y apportons, avec notre or déposé dans la quête et l’encens de nos prières, le pain et le vin qui vont devenir Présence réelle du Seigneur. Et là, en nous inclinant, nous verrons Dieu qui se fait si petit. Nous recevrons sa lumière ; mieux encore, il nous associera à son sacrifice qui sauve le monde.
Alors nécessairement, nous repartirons ensuite par un autre chemin, celui d’un cœur davantage converti parce qu’habité par Dieu Lui-même. « Nous avons vu son étoile se lever et nous sommes venus l’adorer ». Amen.