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Sunday 1 June - 7e dimanche de Pâques année A ; clôture du pèlerinage du partage
De l'esprit de peur à l'esprit de gloire
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireVoici 3 jours, nous célébrions l’Ascension du Seigneur ; et voilà qu’aujourd’hui, la première lecture nous fait suivre les apôtres après ce moment grandiose où ils ont vu leur Maître s’élever dans la gloire. Vous ne trouvez pas qu’il y a de quoi avoir été bousculés par tous ces événements ? Les disciples ont vu mourir Jésus, puis il est revenu à la vie, il leur est apparu, mais le voilà reparti vers le Père. Ils sont donc certainement passés par des sentiments bien contradictoires au cours de cette quarantaine de jours.
Et maintenant, que vont-ils faire ? Que fait-on de sa vie quand on a été témoin de la résurrection et qu’on a vu le Fils de Dieu monter au Ciel ? Est-ce qu’on arrête de s’intéresser aux réalités terrestres ? Est-ce qu’on la regarde de haut, cette vie de tous les jours souvent bien banale ? Ces questions, on peut aussi se les poser au Laus, quand on voit tout ce que Benoîte Rencurel a vécu : est-ce que les expériences spirituelle détachent de la réalité du monde ou nous y ancrent davantage ?
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Comme pour répondre à ces interrogations, le livre des actes des apôtres vient de nous donner une importante clé de compréhension, à travers des détails apparemment insignifiants peut-être : on nous dit qu’après l’Ascension, les disciples sont juste retournés au Mont des Oliviers et sont remontés à l’étage de leur maison, qu’on appelle le Cénacle.
Mais le Mont des Oliviers, c’est le lieu où le Christ avait vécu son agonie au soir de son arrestation ; et le Cénacle, c’est l’endroit où les Douze s’étaient repliés après la mort de Jésus, verrouillant les portes pour fuir le danger, mais aussi sans doute pour cacher leur honte d’avoir été si lâches.
Il est quand même étrange que les deux premiers lieux visités par les Apôtres après l’Ascension du Seigneur aient été le jardin de l’agonie et la maison de l’enfermement ! Comme si la montée de Jésus-Christ dans la Gloire du Père devait nécessairement conduire les disciples à re-parcourir ces lieux du passé, pour relire leurs attitudes d’alors et percevoir tout ce que les événements entre la Résurrection et l’Ascension de Jésus avaient désormais changé.
Autrement dit : après avoir compris et vu de leurs yeux que notre vie est appelée à une élévation éternelle auprès du Père, les disciples ne jettent pas un trait sur leur passé, aussi honteux soit-il. Ils ne nient pas ce qu’ils ont été, avec leurs lâchetés, leurs hésitations, leurs efforts peut-être aussi. Au contraire : sur tout ce qu’ils sont, ils jettent un regard nouveau parce qu’ils ont vu leur vocation éternelle qui est de participer à la vie de Dieu. Ils ont saisi l’amour que le Seigneur leur porte, un amour plus fort que la mort, un amour qui nous élève pour l’éternité, un amour qui nous veut tous éternels auprès de Lui !
Alors oui, les disciples peuvent retourner au Mont des Oliviers et au Cénacle ; il faut même qu’ils le fassent, pour que leur vie avec le Christ maintenant ne soit pas une fuite de la réalité, mais une intégration dans cette réalité souvent banale et peu glorieuse de la lumière de l’éternité et de l’amour infini que Dieu leur porte !
Ainsi, le drame de l’agonie, la honte d’avoir abandonné leur Maître, le repli du verrouillage de leurs portes : tout cela, les Apôtres peuvent maintenant le visiter à nouveaux frais, le relire avec un regard transfiguré et plein d’espérance.
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Ces journées que nous vivons actuellement entre l’Ascension et la Pentecôte sont pour nous tous aussi des moments favorables, afin de revisiter nos Monts des Oliviers, nos maisons de repli et tout notre passé.
Particulièrement au cours d’un pèlerinage ou d’une journée au Laus, vous trouvez les circonstances favorables pour ce voyage intérieur. Vous pouvez vous laisser porter par une grâce particulièrement attestée en ce sanctuaire, depuis 350 ans : une grâce de vérité pour oser regarder son passé et le présenter au Dieu de miséricorde ; une grâce d’apaisement aussi, pour saisir plus en profondeur combien Dieu nous aime et combien cet amour bouleverse tout ce que nous sommes !
Les disciples viennent d’ailleurs de nous montrer qu’il y a vraiment une façon particulière de relire le passé quand on met sa foi en Jésus qui a vaincu la mort et qui nous a ouvert les portes de la vie éternelle. Ils témoignent que notre vie présente est déjà, en quelque sorte, "céleste"…. Attention : non pas désincarnée en niant la vie présente, mais profondément spirituelle, c’est-à-dire remplie de l’Esprit divin, l’Esprit de Pentecôte qui unifie notre être, donne cohérence à notre vie et nous relie à Dieu et aux autres.
Alors, à nous de bien regarder d’abord quels sont nos Monts des Oliviers et nos maisons de repli : plus on avance en âge, sans doute, plus on peut repérer dans notre parcours de vie des moments d’obscurité, subis ou choisis, qui nous pèsent et qui peuvent même envahir nos esprits, gâcher nos relations aux autres et éteindre en nous la joie.
N’ayons pas peur de les identifier, ces lieux de honte, ces peurs ou ces événements de nos vies où nous n’avons pas été à la hauteur, ces moments de déception aussi, et tout ce passé qu’on aimerait pouvoir effacer. N’ayons pas peur de les identifier, comme les apôtres qui reviennent sur leurs lieux de désolation.
Mais ne les visitons pas avec culpabilité ; visitons-les comme les apôtres, dans le mouvement qui les a fait contempler la résurrection du Christ et son ascension : un grand mouvement qui reprend toute notre vie à partir de l’amour infini que Dieu nous porte, pour éclairer et élever notre existence souvent pauvre et banale.
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Mais ce consentement à laisser le Christ tout éclairer et donner du sens n’est pas une simple introspection au fond de nous-mêmes ; il ne s’agit pas tant d’un travail sur soi que d’une ouverture à un Autre que soi. D’ailleurs, quand les Apôtres retournent au Mont des Oliviers puis au Cénacle, ce n’est pas pour que chacun relise individuellement son passé. Voilà comment les Actes des Apôtres nous rendent compte de leur manière de se comporter alors : « d’un seul cœur, ils participaient fidèlement à la prière ».
Nous comprenons alors que, si les disciples revisitent les lieux de leur passé, c’est pour substituer à l’esprit de peur qui les habitait auparavant un esprit de prière. La peur les avait dispersés ; la prière les réunit. La peur les avait fait perdre l’espérance ; la prière les relie joyeusement au Christ qui est monté aux Cieux.
Ayant participé à ce revirement avec les autres disciples, saint Pierre semble en rendre compte dans la deuxième lecture de ce jour, quand il nous dit : « l’esprit de gloire habite en vous ». Qu’est-ce que l’esprit de gloire, sinon la présence dès maintenant en nous de la réalité lumineuse de la vie éternelle ? Oui, avec le Ressuscité, l’esprit de gloire remplace l’esprit de peur ! Et la manière privilégiée pour nous de vivre de cet esprit, c’est de prier ensemble, avec joie et fidélité : « d’un seul cœur, ils participaient fidèlement à la prière ».
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Alors, acceptons-nous cette conversion, de l’esprit de peur à l’esprit de gloire ? Ne laissons pas parler nos peurs qui paralysent ; le Christ appelle à laisser sa gloire, sa victoire, sa puissance de vie nous rejoindre vraiment.
Et alors, la vie éternelle ne nous apparaît plus comme une hypothèse plus ou moins plausible pour après la vie. Le Christ vient de la définir ainsi dans l’Evangile : « la vie éternelle, c’est de te connaître, Toi le seul Dieu, le vrai Dieu ». La vie éternelle n’est donc pas d’abord un temps, un lieu situé quelque part ; c’est une relation à Dieu : « la vie éternelle, c’est de te connaître »…. Une relation appelée à s’épanouir éternellement !
La vie éternelle n’est donc pas seulement à attendre pour après notre mort ; elle est à commencer, sans tarder, en cherchant à « connaître » le Seigneur, c’est-à-dire à l’aimer vraiment en nourrissant cet amour par la prière et le service.
A une semaine de la fête de la Pentecôte, nous pouvons donc bien percevoir comment nous disposer à laisser l’Esprit Saint nous rejoindre et nous envahir :
- en laissant la réalité de la vie éternelle nous faire revisiter toutes les obscurités de notre passé ;
- en laissant le Christ ressuscité convertir nos peurs fébriles en prières confiantes ;
- en laissant l’esprit de prière nous faire goûter ensemble la vie éternelle, pour la rendre déjà présente par nos actes de service envers les autres.
Car, le Seigneur nous l’a promis, il nous l’a acquis par sa résurrection : la vie éternelle est déjà commencée maintenant. Elle s’épanouira éternellement dans un bonheur immense, dont nous goûtons, particulièrement dans des lieux comme notre sanctuaire et des moments vécus entre nous, un avant-goût qui nous donne vraiment envie de mieux connaître celui qui nous aime infiniment !
Oui, Seigneur, aujourd’hui encore, fais-toi connaître à nos cœurs et dilate-les par ton amour ; cela nous suffit.
Amen.