Rechercher dans les homélies
Homélie en détails
Pour être tenu informé des publications d'homélies
Sunday 15 February - 6ème dimanche du Temps Ordinaire
Danger de contamination !
Par le père Ludovic FrèreCe n’est pas la première fois qu’on nous prévient, mais sans doute faut-il le répéter à plusieurs reprises pour que nous en prenions vraiment conscience : avec le Christ, tout est bouleversé ! Du Magnificat de Marie qui chante le renversement des puissants, jusqu’à la faiblesse de Paul qu’il reconnaît comme sa plus grande force, l’Évangile est une puissance de bouleversement.
Nécessairement alors, être disciple de Jésus, c’est se laisser bouleverser, prendre sa part dans le bouleversement du monde et reconnaître que ce monde ne se laisse pas facilement bouleverser, justement parce qu’il n’a pas encore accueilli le Christ. À trois jours de l’entrée en Carême, nous laisser de nouveau déranger par le renversement évangélique est donc une opportunité particulière, que nous offrent les lectures de ce dimanche.
**********
La Parole de Dieu nous rappelle d’abord les directives du livre du Lévitique selon lesquelles les lépreux reçoivent l’obligation de rester « à l’écart » des autres. On comprend le souci sanitaire d’éviter ainsi de terribles contagions ; mais à la souffrance physique du malade, on ajoutait alors un isolement social dramatique, comme l’est d’ailleurs souvent l’expérience de la maladie.
Mais voilà le renversement dans la personne de Jésus-Christ : quand il paraît sur la route, le lépreux en oublie les règles du Lévitique. Il s’affranchit d’une Parole du Seigneur parce qu’il perçoit en Jésus la Parole accomplie : alors, il ne se tient plus à l’écart, il vient au plus près du Christ.
Va-t-il se faire réprimander pour avoir ainsi désobéi à la loi ? « Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : "je le veux, sois purifié" ». Quel renversement des choses ! Le régime de la loi est aboli par le Dieu vivant, qui vient toucher l’intouchable. On imagine déjà les témoins de la scène s’offusquer d’une telle audace, et les disciples du Christ s’inquiéter pour sa santé.
Mais en touchant sans être contaminé, le Christ les appelle tous à entrer dans son bouleversement pascal : bouleversement de la proximité de Dieu, qui nous rejoint jusque dans nos lèpres et nos morts pour nous guérir et nous redonner vie. Encore faut-il, comme le lépreux, voir que Jésus est là sur la route et qu’il vient pour nous dire : « je le veux, sois purifié ». De notre côté, nous n’avons qu’à accepter de nous laisser toucher, à accepter que le Seigneur veuille pour nous le meilleur.
Ici au sanctuaire, la beauté et le calme des lieux, la force du message et la douceur des apparitions vécues par Benoîte : tout nous appelle à nous laisser faire dans les mains du Seigneur, qui nous modèle tel un potier, dirait le prophète Jérémie. La Vierge Marie nous accompagne dans cette démarche, puisqu’elle est le modèle de la femme qui s’est laissée faire par l’Esprit Saint.
Mais pour se laisser faire, encore faut-il être assuré de pouvoir faire confiance à celui qui nous prend dans ses bras ! Sans cesse, le message du Laus rappelle alors que le Seigneur veut notre bien, de manière absolument assurée. Dans les mains d’un tel Bienfaiteur, on peut s’abandonner sans crainte et on sait qu’on prend nécessairement la bonne direction.
L’évangile de ce jour nous permet ainsi de comprendre ce que signifient véritablement ces expressions qu’on entend bien souvent désormais, sans toujours percevoir comment les concrétiser dans nos vies : « lâcher prise », « laisser faire », « s’abandonner »… avec de tels mots, on peut en rester à des concepts séduisants, sans que ça ne change rien à notre vie concrète.
Et voilà le Christ, qui nous révèle d’abord qu’il est là, sans cesse de passage dans nos vies. Puis, il nous fait saisir son désir de nous toucher jusque dans notre corps de lèpre, pour nous dire au même instant : « je le veux, sois purifié ». S’abandonner à Dieu, c’est donc en fait entendre sa volonté : « je le veux, sois purifié ». Et alors, cette parole devient efficace dans notre vie, selon des rythmes et par des chemins qui n’appartiennent qu’à Dieu.
**********
Laisser faire le Seigneur, ce n’est pourtant pas seulement un comportement de disponibilité intérieure, car on est alors encore un peu dans la maîtrise des choses. Par l’exemple de la lèpre, le Christ nous fait comprendre qu’il nous faut encore bouleverser notre conception de la réalité. Car la lèpre est une maladie grandement contagieuse ; mais voilà qu’en touchant l’homme malade, le Christ n’est pas contaminé, c’est lui-même qui contamine le lépreux de sa bonne santé.
Oui, la bonne santé de Jésus est contagieuse ; sa victoire sur la mort est contagieuse ; sa sainteté est contagieuse. Le Seigneur nous rejoint par contagion, non par simple appel à faire comme lui. Ainsi, la sainteté ne sera jamais le fruit de nos victoires sur le mal, mais de notre acceptation de nous laisser contaminer par Dieu, quoi qu’il en coûte à nos biens terrestres, à notre honneur, à notre orgueil.
C’est l’expérience que fit Benoîte en ce lieu, par la grâce particulière des parfums : elle sentait toujours une bonne odeur avant d’entrer dans un temps d’apparition. Mais aussi, à l’issue de ces rencontres célestes, elle-même était imprégnée de parfum. Elle n’a fait aucun effort pour cela ; elle a juste vécu une rencontre, qui l’a - pour ainsi dire – « contaminée » de la bonne odeur du Ciel. La vie chrétienne consiste essentiellement en cela : nous laisser contaminer par la grâce divine ; nous laisser contaminer par la joie du Ciel, par la force du bien, par la douceur de l’amour divin.
Nous laisser contaminer, comme le pape François l’a demandé au seuil de cette année de la vie consacrée. Il encourage les religieux et religieuses en leur disant : « contaminez par cette joie ceux qui vous approchent, et alors tant de personnes vous en demanderont la raison, et elles ressentiront le désir de partager avec vous cette aventure évangélique splendide et enthousiasmante »[1].
Ce qui est indispensable à la mission des consacrés est aussi au cœur de toute vocation chrétienne : la nécessité de contaminer le monde entier et toutes les réalités de l’existence, par la présence du Dieu vivant. C’est d’ailleurs bien pour cela que nous venons à la messe : nous nous laissons alors contaminer par la Présence réelle du Christ, afin de contaminer à notre tour le monde de sa présence.
On comprend donc que saint Paul, dans la deuxième lecture, ait voulu nous ouvrir à la force d’une telle contamination, pour qu’elle gagne toutes les réalités du monde. Il nous dit : « frères, tout ce que vous faites : manger, boire et toute autre action, faites-le pour la gloire de Dieu ». Oui, contaminons encore le monde de la gloire de Dieu ; et pour cela, laissons-nous encore davantage nous-mêmes contaminer par le mystère de sa présence et de son salut, qui bouleverse absolument tout. Amen.
[1] Pape François, Message pour la messe d’ouverture de l’année de la vie consacrée, 30 novembre 2014.