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Sunday 18 March - Homélie du 4e dimanche de carême (Laetare), année B
Condamnés, jugés, sauvés ?
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Depuis le début du temps du Carême, nous entendons des récits qui nous préparent à revivre le mystère pascal : les tentations au désert comme annonce de la victoire du Sauveur sur le mal, la transfiguration comme prélude à la résurrection du Christ et à notre propre résurrection, puis les marchands du temple, comme annonce du relèvement du Christ en son corps, au troisième jour.
Ce dimanche, comme dimanche prochain, nous entrons dans un autre registre : non plus des événements (tentation, transfiguration, expulsion des marchands du temple), mais des discours du Christ : aujourd’hui sur le jugement, dimanche prochain sur le grain de blé tombé en terre. Les discours sont peut-être plus difficiles à pénétrer que les récits, et pourtant, il y a ici un véritable condensé de l’événement pascal, qu’il serait bien dommage de manquer de percevoir.
Car nous avons entendu cette parole formidable : « Dieu n’a pas envoyé son Fils pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jean 3,16-17). Voilà qui semble balayer toute représentation d’un tribunal divin où nous serions jugés. Et nous aurions tendance alors à penser que les notions de jugement, d’enfer, de purgatoire, ne seraient que des conceptions inventées par l’Eglise pour nous effrayer, voire pour nous dominer.
Mais c’est oublier que le Christ poursuit ainsi : « celui qui refuse de croire est déjà jugé » (Jean 3,18). Alors, y a-t-il jugement, oui ou non ? Est-il pour la fin de la vie, ou est-il déjà réalisé ? Sans compter que ce jugement semble reposer sur le refus de croire : qu’est-ce que ça veut dire ? Quelqu’un qui, de bonne volonté, n’aurait pas la foi, serait-il condamné par avance ?
Voilà bien des questions cruciales, qui touchent aux fins dernières et pour lesquelles ce n’est pas affaire d’opinion, mais de révélation. Il ne nous revient pas de déterminer si l’enfer existe et si Dieu nous juge : c’est le Christ qui nous apporte la réponse dans la révélation. Alors, ayons le courage et l’attention nécessaires pour bien entendre ce qu’il nous dit.
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La première réalité révélée dans la Bible, c’est qu’il y a bien un jugement divin à la fin des temps : on l’appelle « le jugement dernier ». D’après la conduite de l’homme sur la terre, ce jugement décidera de son entrée dans la vie éternelle ou dans l’enfer d’une vie sans Dieu. Cette prérogative divine, le Père la remet à son Fils éternel, ce qui nous fait proclamer, dans notre foi, au sujet du Christ : « il viendra pour juger les vivants et les morts ».
La deuxième réalité révélée nous est offerte aujourd’hui : « Dieu a envoyé son Fils non pas pour juger le monde, mais pour le sauver ». Saint Paul le dira avec insistance, par exemple dans sa 1ère lettre à Timothée : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tim 2,4). Dans la deuxième lecture, nous l’entendions aussi révéler combien « Dieu est riche en miséricorde » (Eph 2,4). La mort éternelle n’est donc pas la volonté de Dieu. Ce n’est pas Dieu qui a créé l’enfer, ce n’est pas Dieu qui damne les âmes humaines. Nous n’avons donc pas à avoir peur du Seigneur ; ce n’est pas Lui qui nous condamne.
Mais alors, s’il y a bien jugement, sans que Dieu soit le condamnateur, qui donc pose ce jugement ? Saint Paul écrit à Tite que l’homme perverti et pécheur « se condamne lui-même » (Tite 3,11). Saint Augustin le dira en des termes médicaux : « Le médecin a tout fait pour guérir le malade. Donc celui qui refuse d’observer les prescriptions du médecin se donne lui-même la mort ». En ce sens, le juge, c’est l’homme lui-même. On pourrait dire que le pouvoir de jugement du Christ, c’est de nous laisser libres de notre propre jugement.
Nous le comprenons donc : l’être humain ne subit pas le jugement divin ; C’est plutôt Dieu qui subit le jugement de l’homme, puisque le Seigneur a choisi, dans son amour, d’être impuissant face à notre liberté de Le choisir ou de Le rejeter. Puisqu’il veut faire alliance avec nous, Dieu ne peut pas s’imposer à nous : on ne peut pas contraindre à aimer, sinon ce n’est plus de l’amour.
Mais si Dieu a eu la folie de nous laisser libres - une folie d’amour - les humains font preuve d’une autre folie, celle de croire qu’ils peuvent vivre en dehors de sa volonté, de ses commandements – ou pour ceux qui ne partagent pas notre foi : en dehors de ce que notre conscience nous intime au plus profond, elle qui sait le bien et le mal. La folie de choisir le mal nous condamne nous-mêmes.
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Et pourtant, la vie éternelle ne se mérite pas, elle ne se conquiert pas par nos actes. Saint Paul a été très clair dans la deuxième lecture : « C'est bien par la grâce que vous êtes sauvés, à cause de votre foi. Cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Cela ne vient pas de vos actes, il n'y a pas à en tirer orgueil ». Nous étions incapables de nous sauver. Or, le Christ dit de lui-même : « le Fils de l’homme est venu pour donner sa vie en rançon pour la multitude » (Marc 10,45). Nous étions incapables de mettre suffisamment le prix pour être sauvés. Personne n’aurait pu revendiquer devant Dieu son droit à participer à sa Vie pour l’éternité, au regard de ses mérites personnels.
Mais le Christ a donné sa vie en rançon pour la multitude. Il a « payé cher » (1 Co 6,20) le prix de notre rachat, dira encore saint Paul aux Corinthiens, dans un vocabulaire financier qui nous dérange peut-être, mais qui a bien le mérite de nous montrer que nous ne pouvions rien payer pour avoir accès au Ciel. Si quasiment tout s’achète sur terre, la Vie du Ciel, elle, n’est pas à vendre. On ne l’achète même pas par nos actes de charité.
C’est dans l’autre sens que le mystère de Pâques va nous faire percevoir la réalité : le Christ a donné sa vie pour nous, il nous a ouvert les portes du Ciel en brisant les verrous de la mort. Depuis notre baptême, cette réalité nous a rejoints au plus profond de notre être et de nos relations. La question n’est donc pas de gagner le Paradis par nos actes ; elle est de vivre de la résurrection qui nous habite déjà.
Soit nous vivons comme des ressuscités, en ne choisissant que les actes et les paroles qui font vivre, qui relèvent, qui donnent ; soit nous vivons comme des morts, et alors nous ne voulons pas de la vie du Christ. C’est pourquoi Jésus affirme : « celui qui refuse de croire est déjà jugé ». Ce n’est pas ici une difficulté à comprendre les articles de la foi qui est dénoncée : refuser de croire, c’est refuser de vivre dans la résurrection déjà à l’œuvre dans le monde. C’est choisir ce qui ne va qu’à la mort ; et nous n’aurions aucune peine à repérer ce qui, dans notre vie, ne va qu’à la mort, mais auquel nous restons si stupidement attachés. Nos orgueils et nos biens matériels, nos soucis de vie tranquille et d’être admirés par les autres, la trop grande place laissée à notre petite personne et la trop petite place laissée aux autres, surtout à ceux qui sont le plus dans le besoin : tout cela, c’est notre attachement à ce qui ne peut que mourir. Et en restant attachés à ce qui meurt, nous courons le risque de mourir avec, éternellement.
Alors, le Seigneur ne cesse - par sa Parole, par ses sacrements, par son Eglise, et de bien d’autres manières encore – il ne cesse de nous ramener à la vraie Vie, de nous attacher à ce qui demeure éternellement : le service, l’amour, le don de soi, la générosité, la paix, la justice, le respect. Oui, « Dieu a tant aimé le monde », nous dit saint Jean. Tant aimé qu’il fait tout pour nous tirer du bon côté, malgré nos réticences tellement incompréhensibles.
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N’ayons donc pas peur de Dieu comme d’un juge attendant de régler ses comptes avec nous au terme de notre vie. Dieu ne veut pas en découdre avec nous qui sommes si souvent infidèles ; Il n’a pas l’intention de se venger ni de punir : Il veut sauver. Ayons donc confiance en Lui, comme en un ami qui nous aide à faire les bons choix pour ne pas nous laisser attirer par ce qui conduit à la mort.
La voilà, cette joie profonde que nous sommes invités à accueillir dès ce dimanche du Laetare, comme un prélude à l’éclatement de joie du jour de Pâques : Dieu est de notre côté ! Saint Paul nous pose alors la question, dans l’épitre aux Romains : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n'a pas refusé son propre Fils, il l'a livré pour nous tous : comment pourrait-il avec lui ne pas nous donner tout ? » (Rm 8, 31-32).
Ne sentez-vous pas cette joie profonde qui nous gagne à l’écoute de telles paroles ? Dieu est pour nous, Il nous donne tout ! « Laetare » : réjouissez-vous, exultez dès à présent de savoir que Dieu est de notre côté, du côté de la vie, du côté du bonheur ! Que cette joie soit profonde et qu’elle soit en nous comme un élan pour rejeter résolument tout ce qui ne conduit qu’à la mort, tout ce qui fait notre propre condamnation.
Et c’est encore saint Paul, aux Romains, qui nous encourage : « Rejetons les activités des ténèbres, revêtons-nous pour le combat de la lumière. Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour (…) mais revêtez le Seigneur Jésus Christ » (Rm 13,12-13). Pour être sauvés et échapper au jugement, il nous faut revêtir le Christ, d’un vêtement de paroles, d’actes et de pensées qui rende évident à tous que ce n’est plus nous qui vivons, c’est le Christ, le Ressucité, qui vit en nous ! Amen.
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