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Sunday 23 September - 25e dimanche du temps ordinaire
"Comme des enfants"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Les lectures de ce dimanche nous parlent d’adultes qui se comportent comme des gamins, et d’enfants qui sont modèles pour les adultes.
Il y a d’abord les gamineries des disciples, qui se comparent pour savoir lequel d’entre eux est le plus grand. Des gamineries, aussi, dénoncées avec force par saint Jacques, quand il déclare que toutes ces jalousies et rivalités ne sont que l’expression de nos vanités puériles. On a parfois l’impression que certains adultes sont des gamins, dont les jeux ont seulement changé d’échelle, et qui se sont pris vraiment trop au sérieux.
Et voilà que le Christ affirme à ses disciples : « Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille ». En saint Matthieu, il dira encore : « Si vous ne vous convertissez pas pour devenir comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu » (Mt 18, 3).
Accueillir le Christ en accueillant les enfants, c’est donc aussi devenir enfant pour entrer dans le Royaume. Ainsi, la seule réponse aux funestes gamineries des adultes consiste à accueillir les enfants pour devenir comme eux. Suivre ce chemin de vie spirituelle oblige donc à savoir bien discerner comment redevenir comme des petits enfants.
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D’abord, les enfants ont indéniablement une grande capacité à s’émerveiller. Redevenir comme des enfants, c’est donc sans doute d’abord redécouvrir une véritable faculté d’émerveillement. En contemplant, au sanctuaire, la splendeur des montagnes qui nous entourent ; en écoutant le message du Laus ; en se laissant toucher par de belles rencontres vécues ici, nous pouvons vraiment nous réconcilier avec l’émerveillement, en ne nous laissant pas piéger par le monde, qui veut nous blaser de tout, pour nous faire désirer toujours plus de nouveautés.
Cette faculté d’émerveillement des enfants se double d’une capacité à véritablement habiter le moment présent. Par exemple, quand un enfant est dans son jeu, plus rien d’autre n’existe ; il est ce chevalier sans peur, cette princesse aux mille paillettes, ce policier qui arrête les méchants. Et il y est tout entier.
Redevenir comme des petits enfants, c’est donc aussi certainement être de nouveau capables de vivre le moment présent, sans que le mauvais passé vienne sans cesse l’arroser d’amertume, ni que l’avenir, avec ses craintes et ses projets, ne nous ait déjà poussés vers demain. Blaise Pascal constatait que « nous errons dans des temps qui ne sont pas nôtres, et nous ne pensons pas au seul qui nous appartient. »
Pourtant, le Christ nous enseigne : « A chaque jour suffit sa peine, demain se souciera de lui-même ». Mais nous avons du mal à être comme ces petits enfants, qui vivent pleinement l’instant présent. Au sanctuaire, vous pouvez prendre le temps de savourer l’instant, sans vouloir être toujours « après », ou encore trop « avant ». Le sacrement de la réconciliation permet de déposer le passé dans les mains de Dieu et d’ouvrir à un avenir de plus grande sainteté. Les grâces du Laus sont donc un appel à vivre, comme des enfants, dans un présent libéré et rempli du Seigneur, qui est l’éternel Présent.
Mais vous aurez remarqué aussi que des enfants, qu’ils jouent ou fassent toute autre activité, ont souvent besoin qu’on les regarde. Redevenir des enfants, devant Dieu, c’est donc aussi vouloir qu’il nous regarde, ou plus exactement : redécouvrir que nous sommes regardés par le Seigneur. Il s’intéresse vraiment à nous, même quand nous ne pensons pas à lui ou quand nous lui sommes infidèles. Le Seigneur nous regarde, et ce regard nous sauve et nous relève.
Se savoir regardé, c’est reconnaître que nous dépendons du Seigneur. Or, si l’enfant aspire à devenir grand, il sait qu’il est incapable de se débrouiller tout seul. Quoi de plus touchant que de voir un petit enfant tendre les bras vers sa mère pour qu’elle entende son besoin ? Redevenir comme des enfants, c’est donc certainement reconnaître cette dépendance que le Christ, dans le discours sur la vigne et les sarments, exprime très clairement : « En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5).
Se prendre pour un adulte autonome, c’est croire, de manière illusoire, pouvoir y arriver tout seul : porter le poids des épreuves, parvenir à pardonner aux autres et à aimer ses ennemis. Mais, tout seul, nous ne pouvons rien faire. Comme des enfants, reconnaissons donc cette dépendance vitale, qui nous rend capables de grandes choses, parce que nous sommes reliés à Celui qui peut tout.
Finalement, être enfant, c’est accepter que le Père céleste soit notre Père. Et c’est la définition essentielle de la sainteté : permettre au Père d’être Père pour nous. En effet, si nous vivons pleinement, jusqu’au bout, sans réticence, cette paternité de Dieu pour nous, nous accomplissons tout l’Évangile, en nous mettant entièrement dans sa volonté.
La voie d’enfance n’est donc pas de l’infantilisme, qui se nourrirait de peurs et de scrupules et qui n’assumerait pas ses responsabilités ; elle est au contraire une force d’âme, par l’abdication de notre volonté de domination au bénéfice de la volonté de Dieu. C’est ce que chante le psaume 131 : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grande dessein, ni merveille qui me dépasse. Non, mais je tiens mon âme en paix et en silence, comme un petit enfant contre sa mère » (Ps 131,2).
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Accepter cette dépendance, c’est aussi reconnaître que nous ne savons pas tout. Et c’est bien une attitude essentielle de l’enfant. Il ne sait pas tout, mais il le sait, alors il n’a pas honte d’interroger, parfois jusqu’à épuiser ses parents : « pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? ». Comme Socrate, qui reconnaissait son ignorance, et qui par-là en savait davantage que ceux qui ignoraient qu’ils ignorent, la véritable sagesse consiste à être petits devant le mystère de Dieu. Et Jésus rendra grâce à son Père par ces mots : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Lc 10, 21).
Redevenir comme des enfants, c’est donc savoir que nous ne savons pas tout, et c’est chercher à connaître Celui qui sait. C’est aussi être convaincus qu’un jour, nous saurons : « Pour l’instant, dit saint Paul, notre connaissance est partielle, nos prophéties sont partielles : quand viendra l’achèvement, ce qui est partiel disparaîtra […] Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir : ce jour-là, nous verrons face à face « (1 Co 13, 9.12). Etre des enfants, comme le demande le Christ, c’est donc se savoir inachevé, et c’est être convaincus que nous sommes faits pour grandir encore, jusqu’au Ciel.
Il me semble que le pire piège de la vie adulte, c’est de croire qu’on a fini de grandir. Et c’est justement là que les disciples se trompent : ils cherchent à se grandir eux-mêmes, à avoir les meilleures places. Le Christ les appelle alors à accueillir les enfants, pour redécouvrir qu’eux aussi, disciples adultes accomplis, sont en croissance, inachevés, incomplets tant qu’ils ne sont pas des saints, tant qu’ils ne sont pas au Ciel.
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Accueillir des enfants et en faire des modèles de vie adulte, c’est enfin reconnaître l’importance spécifique de la présence d’une mère. Si Jésus nous demande de redevenir comme des enfants, ce n’est possible qu’en nous laissant porter par notre Mère, la Vierge Marie.
Alors, frères et sœurs pèlerins, que la Vierge du Laus vous aide à redevenir des petits enfants. Qu’elle vous ouvre à une plus grande capacité d’émerveillement et à un plus grand désir de vivre l’instant présent. Qu’elle vous aide à accepter de vous laisser regarder par le Père et à reconnaître que vous devez grandir encore.
Sainte Thérèse avec sa petite voie, sœur Faustine avec son chemin d’enfance, Benoîte Rencurel et sa simplicité nous montrent qu’il est possible de redevenir comme des enfants. Il nous faut seulement laisser de côté toutes ces gamineries, que les Manuscrits du Laus dénoncent par et avertissement : « Ce n’est pas l’extérieur simplement, ces grimaces de dévotion, que Dieu demande ; c’est une grande simplicité, car nous ne sommes que ce que nous sommes devant Dieu, qui connait les passe-volans, ces gens envahis de leur propre gloire et de la bonne opinion d’eux-mêmes ». Ne soyons pas envahis de nous-mêmes, ne cherchons pas les fausses grandeurs ; le Christ nous propose bien plus grand.
Amen.