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Sunday 13 November - 33ème dimanche du temps ordinaire
Clôture de l'année de la miséricorde
Par le père Ludovic Frère, recteurDans les cathédrales et les sanctuaires du monde entier, des portes de la miséricorde nous ont aidés, au cours de cette année, à nous laisser embrasser par l’amour infini de Dieu et à nous engager à être davantage miséricordieux envers les autres. Aujourd’hui, ces portes se referment. L’image pourrait être désastreuse : gare à vous, la miséricorde ferme ses portes !
Non, bien évidemment, il ne s’agit pas d’une « clôture » mais d’un « passage ». Depuis que le Christ a vaincu la mort, tout ce qui se termine est pour nous « une pâque » : tout est toujours passage vers une nouvelle dimension de l’existence. Au lieu de voir des « fins », nous confessons des « passages », qui nous font mûrir, qui nous sanctifient, qui nous relèvent, jusqu’au grand passage qui terminera notre pèlerinage sur cette Terre.
Alors, aujourd’hui commence un nouveau passage, qui nous interroge tous personnellement : quelle pâque avons-nous encore à accomplir dans notre ouverture à la miséricorde divine ? Je vous propose d’y réfléchir en vous faisant part de mon expérience personnelle, au service du sanctuaire Notre-Dame du Laus, qui prône depuis 350 ans la beauté de la miséricorde d’un Dieu qui nous sourit. Ce sont 3 grandes réalités qui m’ont ainsi marqué au long de cette année de la miséricorde.
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La première fut une surprise, voire une tristesse : constater que beaucoup de chrétiens sont encore sous l’emprise d’une forme de peur de Dieu. Peur que le Seigneur punisse pour de mauvaises actions, peur que sa volonté soit à notre désavantage, peur de l’enfer, peur de ne pas être aimé…
Mais j’ai eu la grâce, tout au long de l’année, de voir des hommes, des femmes et des enfants s’ouvrir, s’apaiser, se redresser même, en découvrant enfin que Dieu les aime, vraiment, totalement, sans condition ; qu’il les aime non pas seulement malgré leurs péchés mais jusque dans les bas-fonds de leur misère.
Et vous, avez-vous laissé le Seigneur vous rejoindre jusque-là ? Si vous hésitez encore, écoutez les paroles que Jésus nous offre aujourd’hui ; dans un genre littéraire très particulier, qu’on appelle le discours apocalyptique, il nous dit des mots profondément réconfortants : « mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense ». C’est vrai dans tous les domaines de nos vies, jusque dans notre salut éternel : « mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense ».
Pour nous en convaincre encore, juste une question : nous en avons en moyenne entre 75 000 et 110 000. De quoi s’agit-il ?... De nos cheveux ! Qui d’entre nous sait exactement combien il a de cheveux ? (je mets à part ceux qui n’en ont plus guère…). Personne parmi nous ne connaît son nombre exact de cheveux, et Jésus pourtant nous dit aujourd’hui : « pas un cheveu de votre tête ne sera perdu ».
Alors, voyez-vous, si même ce qui est insignifiant pour nous a du prix pour le Seigneur, tout ce qui nous préoccupe vraiment, tout ce que nous sommes, le concerne et l’intéresse au plus haut point. Si besoin, passez donc encore aujourd’hui la porte de la miséricorde, c’est-à-dire abandonnez ici-même, dans cette église, toute impression de ne pas mériter l’amour de Dieu. Il vous aime quoi qu’il arrive, quoi que vous ayez fait ; c’est cela, la miséricorde.
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La deuxième réalité qui m’a marqué au cours de cette année, c’est l’impossibilité qu’une telle démarche se vive dans l’individualisme. On ne vit pas sa petite expérience de miséricorde comme dans une bulle, pas plus qu’on ne participe à la messe pour enfermer en soi « son petit-Jésus ».
Non, le mystère de la foi, c’est que Dieu nous rejoint au plus profond, dans un cœur à cœur bouleversant, au moment où nous cessons de vouloir Le garder pour nous, afin de l’offrir généreusement aux autres.
L’année de la miséricorde a ainsi permis de belles démarches communautaires : des expériences de fraternité réelle, dans lesquelles prend sens - ou plutôt : qui sont indispensables pour que prenne sens - cette grâce particulière qu’on appelle « l’indulgence ». N’ayez pas peur… il s’agit juste d’y voir combien l’amour de Dieu saisit et pénètre tous les liens qui nous unissent si bien que, par notre Mère l’Eglise, la faiblesse des uns soit délicatement soignée par la sainteté des autres.
En ce jour de clôture des portes de la miséricorde, je vous propose alors d’aimer davantage encore les liens qui nous unissent. Aimez vraiment vos voisins de banc, ici dans l’église. Regardez-vous, saluez-vous si ce n’est pas encore fait. Décidez-vous à un regard davantage bienveillant, à abandonner les commérages et les jalousies. Voyez aussi les misères des autres et la façon dont vous pouvez les soigner. Soyons miséricordieux comme le Père !
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La troisième réalité qui m’a marqué, ce sont les terribles attentats qui ont marqué la France au cours de cette année. Je ne peux m’empêcher de penser que voici 1 an, jour pour jour, des parisiens trinquant à la terrasse de bistrots ou des spectateurs d’un concert au Bataclan étaient tués, ou blessés à vie dans le corps et dans leur cœur, par des fous pensant agir au nom de leur dieu.
Quel terrible télescopage entre une année de la miséricorde chantant sur tous les tons l’amour de Dieu, et des rafales de mitraillette offertes en hommage à un dieu qui aimerait cela !
Alors quoi, faut-il abandonner les armes de la miséricorde pour y préférer celles, plus efficaces, de ceux qui nous agressent ? Là encore, les lectures de ce dimanche sont d’un précieux secours, pour nous garder de répondre à la violence par la violence. Ce serait donner victoire à ceux que nous dénonçons : non, la société que nous défendons ne ressemble en rien à celle que promeuvent ces fous de Dieu.
La miséricorde nous oblige alors à renoncer à toute forme de violence, à toute forme de vengeance, à toute idolâtrie de la mort. Par exemple, voici tout juste un an - un an ce soir exactement à 22h30 -, un homme perdait au Bataclan sa chère épouse Hélène. Il écrivit sur son blog ces mots adressés à ceux qui avaient criblé de balles l’amour de sa vie : « vous n’aurez pas ma haine (…) Je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant, mais répondre à la haine par la colère, ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes ; Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. En bien, c’est perdu (pour vous)…[1]. »
Au terme de cette année de la miséricorde, gardons-nous de « refermer » tout ce qui a pu s’ouvrir en nous, dans notre accueil de Dieu, des autres et des évènements du monde. Ainsi, la miséricorde du Seigneur, qui s’étend d’âge en âge, restera notre plus grand appui, notre plus belle lumière. Oui, persévérons dans la miséricorde, persévérons sans nous lasser et sans compter ! Jésus nous l’a promis : « c’est par votre persévérance que vous garderez votre vie » ! Amen.
[1] Message d’Antoine Leiris sur Facebook le 16 novembre 2015.
https://www.facebook.com/antoine.leiris/posts/10154457849999947