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Sunday 13 April - Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur
Chemin de libération !
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireFrères et sœur, quel déferlement de violence, jusqu’à la nausée : jalousies et soif de sang, fausseté et mensonges, peur et haine,… : tout est réuni ici de ce qu’il y a de plus laid dans notre humanité.
Et la liturgie, toujours puissante, nous prend comme à revers : la sympathique bénédiction des rameaux laisse un goût bien amer quand elle est suivie par l’exposé de tout ce dont les hommes et les femmes sont capables de pire. Oui, tout le pire de l’humanité est bien là dans le récit de la passion ; il n’y manque rien, absolument rien.
Des actes violents, de l’épée de Pierre (Mt 26,51) à la pendaison de Judas (Mt 27,5) ; des crachats reçus par le Christ (Mt 26,67) à la couronne d’épines (Mt 27,29) ; des gifles (Mt 26, 68) qui blessent la dignité de Jésus davantage que son corps ; jusqu’à la crucifixion (Mt 27,35) qui fige ce corps en l’empêchant de respirer.
Mais la violence de la Passion n’est pas que dans les gestes ; nous savons que les paroles peuvent être plus blessantes encore que les actes. Entre le cri des chefs religieux (« il mérite la mort », Mt 26,66), le reniement de Pierre (« je ne connais pas cet homme », Mt 26,72), la lâcheté de Pilate (« je ne suis pas responsable du sang de cet homme », Mt 27,24) et la clameur de la foule (« crucifie-le ») - clameur d’autant plus violente que résonne encore dans la mémoire du Christ une autre clameur, bien différente, seulement 5 jours auparavant : « hosanna », « béni soit celui qui vient »… on voit comment on l’a béni, celui qui vient au nom du Seigneur !
Tout ce déferlement de violence fait mal au Christ ; il fait mal aussi à notre humanité ; il fait mal à notre âme, tragique écho à toutes les souffrances du monde, qui nous étourdissent et qui nous nous font peur, parce que nous savons très bien que nous n’y sommes pas étrangers. Si le récit de la Passion nous fait mal jusqu’à la nausée, c’est que nous savons complices de toute cette laideur.
D’ailleurs, la pire des paroles, peut-être, de tout ce récit de la Passion, c’est la question que les apôtres posent à Jésus, quand il leur révèle que l’un d’entre eux va le livrer. Saint Matthieu nous dit : « ils se mirent à lui demander l’un après l’autre : serait-ce moi, Seigneur ? » (Mt 26,22). Percevez-vous ce que cette question a de tragique ? Chacun se demande si ce n’est pas lui qui va livrer Jésus ! Ils ne sont même pas sûrs d’eux, même pas convaincus que ça ne peut pas être eux. Je pense que cette question « serait-ce moi, Seigneur ? » a été pour le Christ un coup bien plus douloureux que ceux infligés par les soldats seulement cruels.
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Mais c’est justement pour cela que le Sauveur innocent a vécu la Passion. Parce qu’aucun d’entre nous ne peut se dire certain de ne pas être complice des œuvres de mort ; aucun d’entre nous ne peut s’assurer lui-même qu’il n’aurait pas crié avec la foule « crucifie-le » ou n’aurait pas dit avec Simon-Pierre : « je ne connais pas cet homme » ; aucun d’entre nous ne peut se vanter de ne jamais être complice du mal ; aucun sauf le Christ !
Et c’est pourquoi sa Passion n’est pas qu’une douloureuse épreuve ; elle est un chemin de salut ! Sa Passion n’est pas que le résumé du pire dont l’humanité soit capable ; elle est un chemin de rédemption, par lequel l’humanité est guérie de ses maux les plus profonds. La Passion n’est pas pour le Christ un drame subi, elle est un drame choisi : « ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne » !
Le chemin de croix n’est pas qu’une prise de conscience du mal ; il est le chemin de libération de toutes nos complicités avec le mal. Dans son film sur la Passion du Christ, Mel Gibson avait splendidement mis dans la bouche de Jésus, quand il rencontra sa Mère sur le chemin de croix, ces paroles du livre de l’Apocalypse : « voici que je fais toute chose nouvelle » (Ap 21,5). Le chemin de croix est un renouvellement de l’humanité ; chaque coup reçu par le Christ, il le transforme en amour ; chaque parole violente qui lui frappe le cœur, il la transforme en miséricorde.
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C’est seulement ainsi que l’on peut comprendre l’étrange envolée de l’évangile selon saint Matthieu après la mort du Christ. Comme si on changeait de registre : on passe d’un récit laborieux de la passion à une présentation exaltée : « les tombeaux s’ouvrirent, les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la ville sainte et se montrèrent à un grand nombre de gens » (Mt 27, 52-53). Etrange intervention de puissance dans le récit de la faiblesse et de la mort du Christ !
Une intervention comme une parenthèse, car ensuite on revient à la mise au tombeau de Jésus, aux scellés soigneusement apposés sur sa tombe, aux soldats réquisitionnés pour la surveiller. Pourquoi donc cette sorte de parenthèse lyrique, en tous cas chronologiquement déplacée puisqu’elle nous parle de la résurrection du Christ qui n’interviendra qu’au 3e jour ?
Pourquoi, sinon pour nous dire très clairement que tout ce qui vient de se passer n’est pas la victoire des ténèbres. Tout ce qui a été laborieusement rapporté n’est pas une triste litanie de souffrances jusqu’à la nausée. Tout ce que le Christ a vécu et qui rejoint tant de drames de l’existence humaine n’est pas qu’un constat supplémentaire de ce qui va mal dans notre humanité.
« Voici que je fais toute chose nouvelle » (Ap 21,5) : le Christ renouvelle l’humanité, son chemin de croix est un chemin de lumière, sa mise en croix est déjà une élévation dans la gloire, sa descente au tombeau est déjà un jaillissement de vie, comme le grain tombé en terre qui prépare un épi magnifique.
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Voilà ce qui nous est offert comme porte d’entrée pour vivre en profondeur la semaine sainte : une porte d’entrée désastreuse et lumineuse à la fois, pour que la question nous habite à chaque minute de cette grande semaine : est-ce que je crois que le Christ a porté le péché du monde sur la croix et qu’il a crucifié le mal à jamais ? Est-ce que nous y croyons vraiment ?
Face au déferlement du mal, quelle est la profondeur de notre foi ? Jusqu’où est-elle capable d’imprégner nos vies, même quand la souffrance et les drames nous feraient peut-être douter de l’agir de Sauveur ? Avons-nous une espérance inébranlable ? Est-ce qu’aucun événement de la vie ne nous éloigne de l’espérance, en nous faisons douter de la victoire du Christ sur le mal et sur la mort ?
Ce qui se joue dans cet acte de foi et d’espérance, ce n’est pas tant notre capacité d’aimer le Seigneur que notre reconnaissance de l’amour qu’il nous porte et dont il a puissamment témoigné dans sa Passion ; un amour tellement plus fort que toutes les violences qui se déchainent alors ; un amour divin, victorieux à jamais du mal et de la mort.
Avons-nous cette grande espérance ? Nous fait-elle vivre, tenir debout et vibrer d’amour ?
Amen.