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dimanche 10 mars - 1er dimanche de Carême
C'est peut-être ainsi qu'il vous faut vivre le Carême...
Par le père Ludovic Frère, recteur« 1er dimanche de Carême » égale « évangile des tentations au désert ». Chaque année, c’est pareil : nos premiers pas du Carême sont sur le sable. La préface de la prière eucharistique en expliquera tout à l’heure la signification, par ces paroles : « En jeûnant 40 jours au désert, [Jésus] consacrait le temps du Carême ; lorsqu’il déjouait les pièges du tentateur, il nous apprenait à résister au péché, pour célébrer d’un cœur pur le mystère pascal, et parvenir enfin à la Pâque éternelle ».
Voyez comme la liturgie a cette capacité à condenser le mystère en quelques expressions puissantes ! Consécration des 40 jours, résistance au péché, purification pour vivre les fêtes de Pâques et préparation à la vie éternelle : l’évangile des tentations au désert oriente notre Carême dans ces directions-là, nous aidant à déterminer à quoi nous allons consacrer ce temps qui vient à peine de commencer. Alors, concrètement, que comptez-vous vivre d’essentiel au cours de ce Carême ? Pour aider à se déterminer, les lectures de ce jour proposent au moins 4 grandes orientations.
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Première orientation avec la première lecture : « Le Seigneur nous a fait sortir d’Egypte ». Les 40 jours du Carême résument les 40 ans au désert, nous le savons bien : une libération gratuitement obtenue, puis une marche aride pour éprouver la fidélité et garder le cap jusqu’à la Terre promise. Autrement dit : le Carême interroge le but de notre marche sur cette Terre.
Un pèlerinage dans un sanctuaire, comme vous le faites aujourd’hui, a d’abord pour finalité de rappeler que l’on est tous pèlerins sur cette Terre, c’est-à-dire en marche vers un ailleurs, le sanctuaire éternel.
Que dis-je, en marche ? En course ! Nous visons le Ciel comme un sportif vise la ligne d’arrivée, avec toute son énergie, tout son corps, tous ses espoirs tendus vers le but à attendre. Nous ne pouvons donc pas trainer les pieds pendant ces 40 jours du Carême. Écoutez saint Paul encourager les Corinthiens : « Courez de manière à l’emporter ! Tous les athlètes à l’entraînement s’imposent une discipline sévère ; ils le font pour recevoir une couronne de laurier qui va se faner, et nous, pour une couronne qui ne se fane pas » (1 Co 9,25). Voilà notre but ! Bien plus indispensable qu’une coupe du monde ou une médaille olympique : notre union totale à Celui qui a remporté la victoire éternelle !
Alors, si un sportif ordonne toute sa vie pour obtenir la victoire, s’il prend du temps pour s’entraîner même quand il n’en a pas envie ; si le sportif modifie son alimentation et accepte des sacrifices pour l’emporter, à plus forte raison pour nous qui visons le Ciel avec le Christ ! Il y a des régimes nécessaires et des sacrifices pour parvenir au but. Mais par-dessus tout, il y a une passion ! Un sportif ne peut l’emporter sans être passionné pour son sport.
Je vous invite alors à vous poser la question : est-ce que vous êtes passionné de Dieu ? De son côté, pas d’inquiétude, il est passionné de nous, jusqu’à accepter… la passion. Mais vous ? Etes-vous suffisamment passionné de Dieu et de votre sanctification au point d’y ordonner tous vos efforts ? Le Carême vient poser cette question en même temps qu’il offre une expérience d’un mois et demi d’entrainement. Alors, cette année, c’est peut-être ainsi qu’il vous faut vivre le Carême : comme l’entrainement d’un sportif de haut niveau !
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Mais le psaume est venu révéler ensuite qu’un dopage est autorisé ! Il est même indispensable. Dans notre course vers le Ciel, nous sommes dopés par le Ciel Lui-même. C’est la promesse portée par le psaume 90 que nous avons chanté : le Seigneur envoie des anges ! « Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres ». Facile alors de courir, puisque les anges nous portent !
En ce sanctuaire où Benoîte fut si souvent visitée par les anges, il est bon de nous le rappeler : le Carême, c’est une grande marche, mais une marche pour accepter de se laisser porter par le Ciel. Nous ne pouvons de toute façon rien faire, ou si mal, ou trop tourné vers nous-mêmes, quand nous pensons la vie comme la marche difficile d’un solitaire qui doit tout faire par ses propres forces. Non, nous sommes portés ! Nous avons comme des ailes, qui ne nous font pas décoller de la réalité, mais qui nous empêchent de nous y accrocher.
Alors, cette année, c’est peut-être ainsi qu’il vous faut vivre le Carême : en vous laissant doucement porter par les anges. C’est-à-dire en acceptant que la grâce d’En-Haut vous conduise sur les chemins voulus par le Seigneur. Il faut alors peut-être renoncer à vos propres chemins, sans doute trop laborieux, ou à trop courte vue, ou ne menant parfois qu’à des impasses. 40 jours d’une marche confiante, sans chercher à tout maîtriser, en se laissant porter par le Ciel : voilà sans doute ce que doit être votre Carême ! C’est sa 2e grande orientation.
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Nos pieds ainsi libérés du souci de marcher par nos seules forces, notre énergie peut se concentrer sur notre cœur et notre bouche. Nous voici arrivés à la 2e lecture, avec cette confession de saint Paul : « Si de ta bouche tu affirmes que Jésus est Seigneur, si dans ton cœur tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé ».
Le Carême est un temps privilégié pour bien exercer notre bouche ; vous savez, cette bouche que nous étions appelés dimanche dernier à ne pas employer pour critiquer les autres. Elle doit donc « faire Carême » de paroles mensongères, inutiles ou futiles pour ne faire qu’une chose : affirmer que Jésus est Seigneur. Elle peut le faire de mille manières, mais elle ne doit faire que cela : affirmer que Jésus est Seigneur. Car c’est cela qu’elle fera éternellement au Ciel !
Alors, cette année, c’est peut-être ainsi qu’il vous faut vivre le Carême : en faisant abstinence de paroles mensongères, inutiles ou futiles… ce qui est sans doute bien plus nécessaire que de se priver de Nutella ou de charcuterie. La bouche ainsi libérée, elle peut confesser que Jésus est Seigneur, qu’il est Sauveur, qu’il est vainqueur !
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A cette 3e grande orientation du Carême est liée une 4e, toujours dans la 2e lecture : « Si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé ». Notre cœur doit déborder de cette confession de foi, déborder en charité qui ressuscite !
L’attention aux autres, le souci des plus pauvres, l’accueil de l’étranger, la prière pour les pécheurs et les âmes du purgatoire, les pardons à ceux qui ont fait du mal… tout dans la vie doit être débordement de nos cœurs qui confessent l’inauguration du monde nouveau ! Puisque nous sommes ressuscités avec le Christ, le rapport aux autres, aux biens matériels, au corps, aux projets, aux maladies et aux honneurs humains… tout est bouleversé, renversé, transfiguré comme nous le verrons dimanche prochain, puisque Christ est ressuscité, et nous avec Lui !
Alors, cette année, c’est peut-être ainsi qu’il vous faut vivre le Carême : comme une confession de foi permanente en la résurrection du Christ, quoi que vous viviez, quoi que vous fassiez, quoi que vous traversiez : Christ est vainqueur ! Nos cœurs ne doivent cesser de le confesser par une charité qui déborde, déraisonnable comme le mystère de Pâques ! C’est la 4e grande orientation du Carême.
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Nous en arrivons alors à l’évangile. Les 3 premières lectures nous ont appelés à un Carême d’entrainement sportif, à un Carême porté par le Ciel, à un Carême d’abstinence de paroles mauvaises et à un Carême pour confesser l’inauguration du monde nouveau. 4 dispositions formidables, qui obligent toutes à quitter quelque chose.
Quitter : c’est bien ce dont nous parle d’abord l’évangile des tentations au désert : Jésus était venu au bord du Jourdain. Mais, vite, dès après son baptême, il quitte ce lieu agréable pour l’aridité du désert. Pourquoi s’est-il éloigné de l’eau fraîche et des poissons savoureux, sinon pour que ce soient nous qui apprenions davantage à quitter ? Quitter notre tranquillité, nos projets, nos tables bien garnies, nos habitudes figées, nos télévisions allumées…
Ah, mais nous peinons à quitter ! Nous ne quittons même pas volontiers certains péchés dans lesquels nous trouvons nos délices ou une fausse sécurité. Le démon est d’ailleurs très fort pour nous suggérer de ne pas bouger, de ne rien changer. Au Christ, il propose aujourd’hui de s’abstenir d’efforts, pour bénéficier simplement d’avantages terrestres. Mais Celui qui a quitté le rang qui l’égalait à Dieu et qui vient de quitter les tranquilles rivages du Jourdain ne se laisse pas prendre au piège des fausses sécurités terrestres. Alors, Jésus continue à quitter : il quitte les suggestions séduisantes du Serpent trompeur, comme il saura quitter dans quelques semaines les hosanna d’une foule prête à le faire roi.
Permettez-moi alors de vous le demander : qu’allez-vous quitter au cours de ce Carême ? Comme pour moi, peut-être, l’envie et la crainte se mélangent en vous. Le désir et la paresse tirent la couverture chacun de son côté. Mais au lieu de perdre du temps à nous regarder le nombril, contemplons le Seigneur dont le dépouillement appelle le nôtre, et la victoire permet la nôtre.
« Allez, viens ! Viens avec moi au désert », nous dit le Christ. Par la mise en quarantaine de tout ce que nous peinons à quitter, les fêtes pascales prendront tout leur sens, car « Si nous mourons avec Lui, avec Lui nous vivrons » (2 Tim 2,11). Amen.