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Sunday 2 December - 1er dimanche de l'Avent, année C
C'est le moment de faire un régime !
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
L’arrivée du froid, les couronnes et calendriers de l’Avent, les devantures de magasins qui se décorent et les rues de nos villes et villages qui se garnissent d’illuminations : pas de doute, nous sommes au mois de décembre. Le début du temps de l’Avent suscite certainement en nous l’enthousiasme de l’approche des fêtes de Noël, à la fois douces et joyeuses.
Et pourtant, les paroles de Jésus, dans l’Evangile de ce 1e dimanche de l’Avent, viennent grandement refroidir notre enthousiasme ! Il n’y est questions ni d’illuminations, ni de couronnes de l’Avent, mais d’affolement, de fracas et de gens qui meurent de peur.
Les connaisseurs de la Bible auront beau insister sur le fait que le Christ emploie un genre littéraire particulier - le style apocalyptique, qui ne décrit pas nécessairement une situation point par point, mais qui appelle à tourner les yeux vers les réalités à venir - on ne peut s’empêcher de frissonner à l’écoute de ces paroles : « Les nations seront affolées » (Luc 21, 25), « les hommes mourront de peur » (Luc 21, 26).
* * *
En étant vraiment attentifs à cet enseignement du Christ, nous percevons qu’il ne s’agit pas seulement pour lui de dresser un tableau dramatique, mais de révéler deux attitudes possibles devant l’achèvement de toutes choses. D’abord, le comportement des nations, auxquelles sont attribués les sentiments suivants : elles « seront affolées », les hommes « mourront de peur », ils seront « dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde » (Luc 21, 26).
De l’autre côté, les disciples du Christ, encouragés ainsi : « Redressez-vous et relevez la tête ; car votre rédemption approche » (Luc 21, 28) ; « vous serez jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de paraître debout devant le Fils de l’homme » (Luc 21, 36).
Comment se fait donc l’appartenance à l’une ou à l’autre de ces deux destinées ? En fait, un seul mot revient, chez les uns et chez les autres : « la crainte » (Luc 21, 26.34). D’un côté, la crainte des malheurs arrivant sur le monde ; de l’autre, la crainte d’alourdir son cœur : « Tenez-vous sur vos gardes, dit Jésus, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie » (Luc 21, 34).
Alors que ce mois de décembre nous confrontera certainement, comme chaque année, à une débauche de publicités et de sollicitations en tous genres pour garnir nos fêtes de Noël, le Christ nous prévient d’éviter l’ivrognerie, la débauche et les soucis de la vie. Autrement dit : nos soucis, en ce mois de décembre, ne doivent pas être d’abord de trouver le menu qui conviendra pour les fêtes, ni les cadeaux adéquats pour tous ceux que nous aimons, même si tout cela est fort sympathique, bien entendu ; mais notre véritable souci doit être de rester sur nos gardes pour le retour du Christ, c’est-à-dire de ne pas nous alourdir ni nous assoupir, comme on le fait souvent après un trop grand repas.
Cette vigilance et cette disponibilité au Sauveur qui vient impliquent d’ailleurs, dit le Christ, de ne pas « alourdir nos cœurs ». Ils doivent au contraire rester légers et libres, même à l’égard de toutes les craintes de notre vie et du monde. Libres pour accueillir le Christ.
Alors, attention aux risques de surpoids ! Nous savons que notre époque se préoccupe surtout de ne pas alourdir le corps : on essaye des régimes, on cherche à manger light, on fait du sport pour maigrir, on craint de prendre trois kilos, surtout peut-être à l’approche des fêtes. Que d’énergie pour éviter que le corps ne s’alourdisse ! Et pourquoi pas la même énergie, et davantage encore, pour que nos cœurs ne s’alourdissent pas ? Pour que nos âmes restent sveltes, afin que le passage de la porte étroite ne nous soit pas rendu difficile, au jour du jugement ?
C’est donc un véritable régime auquel nous appelle ce temps de l’Avent ; non pas un régime corporel, mais spirituel. Et pour cela, appliquons les mêmes principes que pour le régime du corps : d’abord, prendre garde à ce que nous mangeons. Notre cœur a besoin d’être nourri, mais nous ne devons pas lui donner de nourriture malsaine. « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop salé, trop sucré », martèlent les spots de la santé publique. Pour ne pas alourdir nos cœurs, veillons donc aussi à ne pas manger trop lourd. Nos esprits ne doivent pas être nourris de n’importe quelles images, de n’importe quelles paroles. Notre écoute de la logique du monde ou de ce que les médias et internet offrent de plus dégradant pour l’être humain : tout cela remplit nos cœurs d’une graisse paralysante.
Ensuite, pour suivre un régime, il faut beaucoup de persévérance. Il faut maîtriser ses appétits et les orienter au bénéfice d’un projet plus élevé. Pour qu’un régime soit efficace, il faut aussi accepter de durer dans le temps : c’est la fidélité, si nécessaire à notre régime spirituel. Et puis, sans le soutien des autres, on a du mal à persévérer dans un effort de régime ; alors, nous sommes là, les uns pour les autres, au cours de ce temps de l’Avent, afin que nos cœurs ne s’alourdissent pas.
Ou encore : pour qu’un régime soit correctement suivi, il faut éviter de se mettre en danger en s’arrêtant trop longtemps devant les vitrines d’une belle boulangerie ou d’une succulente chocolaterie. Une vigilance que nous pouvons transposer dans le domaine spirituel : si nous voulons veiller le retour du Christ sans alourdir nos cœurs, il ne faut pas nous arrêter à ce qui n’est que fini. La terre nous offre des vitrines délicieuses, mais nous avançons vers un festin bien plus savoureux : celui de la vie éternelle.
* * *
C’est bien la logique du temps de l’Avent : viser le terme de notre marche, la fin du voyage, en situant tout le reste de la réalité à sa juste place. Pour cela, il faut nous rappeler que nous vivons notre vie présente entre deux victoires du Christ : sa victoire pascale, déjà totalement obtenue ; et sa victoire à la fin des temps, qui nous fera surgir de la mort pour un jugement défini ainsi, dans le livre de Daniel : « Ceux qui dorment dans la poussière de la mort se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la mort éternelle » (Daniel 12, 2).
Nous sommes entre ces deux victoires : et si la première nous a été acquise par pure grâce – donc sans effort de notre part - la seconde sera tout autant l’œuvre de la grâce, mais selon ce que nous aurons fait de notre vie. L’Avent nous fait ainsi déjà accueillir cette deuxième grâce en nous invitant à la choisir résolument. C’est pourquoi le Christ nous appelle à nous déterminer entre deux attitudes : ceux qui courberont la tête de peur, pour tenter d’éviter les malheurs ; et les disciples, à qui le Christ demande : « Redressez-vous et relevez la tête » (Luc 21, 28).
Nous ne devons pas courber l’échine en craignant la correction, mais lever la tête pour voir le Seigneur qui vient sur les nuées du Ciel. Relever la tête, c’est aussi choisir de ne pas garder le regard fixé sur la terre. Oui, les réalités du monde vont disparaître, peut-être pas dans un fracas violent, mais déjà dans le plus ordinaire de nos vies : les réalités de la terre ne cessent, en fait, de disparaître chaque jour. On perd sa jeunesse quand on avance en âge, on perd de l’influence sur la société quand on passe à la retraite, on perd le rôle de parents protecteurs quand les enfants quittent le foyer familial, on perd ses capacités physiques quand on devient vieux, on perd tous les biens terrestres quand on meurt, on perd un jour ceux qui nous sont chers… c’est la vie.
Il est inutile de vivre dans la crainte de ce que nous allons perdre, parce que, de toute façon, cela arrivera un jour. Saint Grégoire le Grand nous plaçait ainsi devant la réalité de notre foi, en disant : « Pleurer à cause de la destruction du monde est le propre de ceux qui ont enfoncé les racines de leur cœur dans l’amour de ce monde, et qui ne recherchent pas la vie qui doit venir ensuite. Ils n’en soupçonnent même pas l’existence »[1]. C’est donc la réalité de notre foi en Dieu qui est interrogée par notre façon de craindre ce qui doit advenir, ou de lever les yeux pour voir arriver le Sauveur du monde.
En cette année de la foi, le temps de l’Avent nous appelle, plus que jamais, à choisir déjà les réalités du Ciel, donc à vivre vraiment dans l’espérance, non pas seulement quand tout va bien pour nous, mais aussi au cœur d’un deuil, dans le doute d’une épreuve, dans l’attente d’un exaucement : levez les yeux, regardez plus loin, regardez plus haut !
Le Seigneur vient, et l’attendre c’est déjà nous réjouir de sa présence ! Saint Augustin pointait du doigt ce paradoxe qui peut nous habiter, quand il disait du Christ : « Nous l’aimons, mais nous craignons qu’il vienne ! L’aimons-nous vraiment ? »[2] L’Avent, c’est le temps du choix d’aimer davantage le Seigneur qui vient vers nous. Et le régime de ces quatre semaines veut justement nous préparer à nous nourrir de celui que nous accueillerons… dans une mangeoire.
Amen.
[1] Saint Grégoire le Grand, Première homélie sur les Evangiles.
[2] Saint Augustin, commentaire du psaume 95.