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Sunday 5 November - 31ème dimanche du temps ordinaire
Cessons de faire les ânes !
Par le père Ludovic Frère, recteurOn ne va pas se mentir : avec un tel évangile, tous les responsables religieux en prennent pour leur grade ! Jésus pointe du doigt une tentation, qui peut gravement mettre en péril la vie d’un prêtre, la fécondité de son ministère et même son salut éternel.
Tout à l’heure, quand la messe a commencé, vous vous êtes mis debout ; mais je serais bien peu clairvoyant, si je croyais que c’est ma petite personne que vous avez alors voulu honorer. C’est le Christ, bien entendu, que vous avez accueilli ; le Christ traversant l’assemblée pour signifier qu’il est bien là, au milieu de nous.
De même quand vous m’appelez « mon Père », je serais fou d’y voir une reconnaissance de mérites ou un signe de supériorité. Certes, Jésus a bien demandé : « ne donnez à personne sur terre le nom de père » (Mt 23,9). Mais quand vous appelez un prêtre « mon Père », vous ne trahissez pas cette demande du Seigneur ; vous reconnaissez simplement le mystère qui habite en profondeur ce frère baptisé, qui a été ordonné prêtre par la grâce de Dieu.
C’est donc bien clair : on ne confond pas Dieu - à qui seul revient toute Gloire - et le serviteur de Dieu, qui n’est que l’un d’entre vous, mais qui porte un mystère pour vous : il porte le Christ pour vous Le donner, afin qu’Il demeure en vous.
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Mais il n’empêche : dans la vie d’un prêtre comme dans la vie de tout chrétien, la folie de l’âne n’est jamais très loin. Vous savez : cet « âne portant les reliques », que La Fontaine décrit dans une fable mémorable :
Un baudet chargé de reliques
S’imagina qu’on l’adorait.
Dans ce penser, il se carrait,
recevant comme siens l’encens et les cantiques.
Quelqu’un vit l’erreur, et lui dit :
‘Maître baudet, ôtez-vous de l’esprit une vanité si folle.
Ce n’est pas vous (…) à qui cet honneur est rendu,
et que la gloire est due ».
Cette folle vanité de l’âne peut malheureusement habiter le cœur d’un prêtre. Elle atteste alors d’un vrai problème d’orgueil, mais aussi d’un manque de conscience du mystère qui l’habite.
Priez donc pour vos prêtres, s’il vous plaît ! Priez pour nous, afin que nous ne fassions pas les ânes ! Que jamais nous ne cherchions à nous approprier une gloire qui revient à Dieu seul !... Et c’est plus facile à dire qu’à vivre à chaque instant, chez les hommes fortement exposés que nous sommes. Alors, priez pour la sainteté de vos prêtres, afin que nous devenions toujours davantage d’humbles porteurs de Dieu.
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Oui, priez pour nous ! Mais ne pensez pas que la tentation de l’âne soit réservée au seul clergé. L’enjeu spirituel vous concerne, vous aussi. Car nous pouvons tous être tentés de nous approprier ce qui n’appartient qu’à Dieu.
Regardez comment Benoîte Rencurel s’est gardée de tomber dans ce piège. Interrogée sur ses prétentions à bénéficier d’apparitions de la Vierge Marie, elle répond à ses détracteurs : « Je sais bien qu’elle ne descend pas pour moi, qui suis une grande pécheresse, mais qu’elle descend pour glorifier son Fils et convertir les pécheurs par des grâces particulières »[1]. Que Benoîte nous aide donc, par son bon sens et sa simplicité, à reconnaître que tout est grâce !
Oui, par pure grâce, le Seigneur a donné à chacun des qualités, des talents, des capacités, des charismes, des faveurs particulières. Avec courage, parfois, on les cultive ; ou par paresse, on les laisse dormir. Mais la plus grande erreur serait de penser les avoir construites par soi-même, et donc se les approprier pour une gloriole bien ridicule. On tombe alors dans le piège dénoncé dans la première lecture : on se gonfle soi-même et l’on oublie que la Gloire revient à Dieu seul. « Vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon nom », dit le Seigneur par la bouche du prophète Malachie (Ml 2,2). Notre cœur est-il à nous grandir nous-mêmes ou à glorifier le nom de Dieu ? « Que ton nom soit sanctifié », prions-nous bien souvent… Ne serait-ce donc là qu’une parole en l’air ?
Vous avez une capacité dans tel ou tel domaine ? Formidable ! Comme le dit saint Pierre : « Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, comme de bons gérants de la grâce de Dieu sous toutes ses formes » (1 Pi 4,10). Oui, la grâce est multiforme, elle se donne de bien des manières. Elle passe par nous, mais jamais pour s’arrêter à nous.
Saint Paul nous interroge alors : « As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4,7). En cessant de vouloir kidnapper les dons de Dieu pour notre propre intérêt, nous adoptons la seule disposition spirituelle véritablement féconde : l’accueil de ce qui est donné par le Seigneur.
Une intelligence brillante, une capacité artistique, une puissance de prière, une fortune acquise… tout cela vient de Dieu. Nous n’en sommes que des gérants, qui doivent accueillir ce que Dieu confie, sans jamais en faire un titre de propriété. Et nous aurons des comptes à Lui rendre, sur la gestion des biens qui sont à Lui. Cette semaine éclairée par la grande fête de la Toussaint nous l’a lumineusement rappelé !
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Alors, c’est bien entendu : l’évangile de ce dimanche est d’abord un appel à prier pour la sanctification des prêtres ; il est aussi un vibrant appel à se garder de s’approprier les dons de Dieu.
La conversion la plus essentielle qui nous est tous demandée aujourd’hui consiste donc peut-être à vivre enfin dans et pour la grâce, uniquement la grâce ! Le père Raniero Cantalamessa, grand prédicateur italien, estime : « Je suis convaincu que l’Église (…) perd beaucoup de ses enfants et bien des sympathies parce qu’elle est vue non pas comme (…) celle qui doit offrir la grâce aux hommes, mais comme une organisation humaine[2]. »
Dans vos discussions sur l’Église, de quoi parlez-vous surtout ? Sans doute parfois de nombre de participants ou de choses à organiser, d’autres fois encore de petits pouvoirs qu’on s’approprie… rarement, on parle de la grâce ! Rarement, elle est au cœur de nos préoccupations dans une vie paroissiale. Si vous déplorez que nos églises se vident, demandez-vous d’abord si vous donnez le témoignage de chrétiens remplis de grâce.
Alors, haut les cœurs ! C’est maintenant le temps de la grâce ! C’est donc plus que jamais aussi, le temps de Marie, la pleine de grâce. La Vierge Marie est le grand remède à toutes nos tentations d’orgueil ridicule. Comme le disait le contemporain de Benoîte, Grignon de Montfort, au sujet de Marie, on trouve « Dieu seul, sans créature, dans cette aimable créature[3]. » Qu’il en soit de même pour nous tous, enfants de Marie : qu’on trouve en nous « Dieu seul, sans créature », sans retour à nous-mêmes.
En ce lieu béni, osez donc abandonner dans les bras de Marie tous vos désirs de places d’honneur, d’être remarqués par les autres, de briller en se faisant admirer, pour ne choisir que d’être au service de la Gloire de Dieu. Ainsi s’opèrera en vous ce mouvement céleste : « Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé ! » À nous de choisir en quel sens prendre l’ascenseur céleste. Amen.
[1] Manuscrits du Laus, CA P. p. 403 [449]
[2] Raniero Cantalamessa, Marie, un miroir pour l’Église, p. 34.
[3] Grignion de Montfort, Le Secret de Marie, n°20.