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samedi 8 décembre - Solennité de l'Immaculée Conception
Célébrer la beauté
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
En la basilique Notre-Dame des Victoires, sanctuaire marial de Paris
Frères et soeurs, qu’on me permette, en ce lieu si cher à Thérèse de l’Enfant-Jésus[1], de commencer cette homélie en la citant. Nous sommes en 1897 ; la petite sainte écrit, avec enthousiasme : « Que j’aurais donc bien voulu être prêtre, pour prêcher la Sainte Vierge ! ». Quelques jours auparavant, la petite Thérèse avait participé à la messe de l’Assomption de la Vierge Marie ; et il n’est pas certain que le prédicateur l’ait pleinement convaincu, puisque la jeune sainte poursuit ainsi sa réflexion : « Pour qu’un sermon sur la Sainte Vierge me plaise et me fasse du bien, il faut que je voie sa vie réelle, pas sa vie supposée […]. On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable ».
Le mystère de l’Immaculée Conception que nous célébrons aujourd’hui semble pourtant bien loin de nous présenter Marie comme imitable. Le 8 décembre 1854, le Pape Pie IX proclamait ce dogme en ces termes : « La Vierge Marie a été, dans le premier instant de sa conception […] en vertu des mérites de Jésus-Christ […], préservée intacte de toute souillure du péché originel ». Marie conçue intacte, toute pure ; et ensuite, tout au long de sa vie, jamais complice du péché, résistant à toute tentation, refusant tout mal, quelque avantage qu’elle ait pu en tirer… Peut-on vraiment présenter la Mère de Dieu comme « imitable », ainsi que l’aurait souhaité la petite Thérèse ?
Avec force, l’Évangile de ce jour répond que oui ! Car les premières paroles de l’ange Gabriel à la jeune Marie, nous les connaissons très bien, pour les reprendre fréquemment dans notre prière de l’Ave Maria : « Je te salue, comblée de grâce ». Si Marie est "comblée" de grâces, cela signifie qu’il n’y a plus, en elle, de place pour autre chose que pour la grâce. Quand on est comblé, on est rempli jusqu’à ras-bord. Marie est totalement remplie de grâce, c’est-à-dire qu’il a en elle uniquement la grâce, depuis qu’elle existe : non seulement depuis sa naissance, mais aussi depuis sa conception : "immaculée conception".
A bien écouter cet Évangile de l’Annonciation, nous comprenons effectivement que la grâce, en Marie, a tout précédé, tout anticipé. L’ange ne dit pas à Marie qu’elle est comblée de grâces une fois qu’elle a répondu à sa demande, mais avant qu’elle y réponde. Avant son engagement personnel, Dieu avait rempli Marie de grâce.
C’est cette grâce d’anticipation que nous célébrons aujourd’hui : si la Vierge a été préservée du péché originel, c’est par une grâce venant de la croix de son fils, c’est-à-dire la grâce jaillie d’un événement qui arrivera bien des années plus tard ! Voilà le mystère de Marie : dès sa conception, elle reçoit le bénéfice du mystère pascal.
Pour comprendre ce que cela implique concrètement pour nous, il faut bien saisir que la grâce n’est pas une réalité quantifiable : on ne possède pas un kilo ou un litre de grâces. C’est une réalité relationnelle : la grâce, c’est la relation d’amour pur que le Seigneur vit avec nous, indépendamment de nos mérites. Marie est comblée de grâce, parce qu’elle est remplie de sa relation qui l’unit à Dieu par pur choix divin, une relation totale qui la préserve de toute influence du mal sur elle. Cette grâce la dispose ainsi à donner naissance au Fils éternel, lui qui ne peut avoir aucune complicité avec le mal.
« Je te salue, comblée de grâces ». La grâce, c’est donc d’abord l’expression de la beauté de Marie. Déjà, dans les réalités humaines ordinaires, ne dit-on pas par exemple d’une danseuse, d’une belle symphonie ou du vol d’un aigle qu’ils peuvent être gracieux ? Marie comblée de grâce dès sa conception, c’est Marie comblée de beauté dès que ses premières cellules se forment dans le sein de sa mère Anne. Marie est totalement belle ; il n’y a en elle aucune place pour la laideur, parce qu’elle va engendrer celui qui est la beauté éternelle.
Le sanctuaire Notre-Dame du Laus, que j’ai l’honneur de servir, témoigne de manière toute particulière de cette beauté de Marie ; dès qu’on arrive au sanctuaire haut-alpin, on est frappé par la beauté des lieux. Le Père Soubias, qui était présent cet été au Laus, pourrait certainement en témoigner : plus d’une fois, je l’ai entendu s’émerveiller devant les montagnes grandioses qui entourent le sanctuaire, la nature verdoyante et le ciel lumineux qui embellissent le paysage, ou encore le calme apaisant qui fait tellement de bien.
Oui, le Laus est un hommage à la beauté, comme un reflet de la beauté de celle qui nous y accueille. Et l’on peut penser à ces paroles de saint Augustin, qui cherchait Dieu en regardant les réalités créés, avant de conclure : « Leur beauté était leur réponse »[2]. C’est-à-dire que la beauté du créé répondait à l’interrogation d’Augustin sur l’Incréé, comme si la beauté se faisait voix pour dire : "c’est Dieu qui m’a faite".
Célébrer l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, c’est justement cela. C’est contempler la beauté de Marie, dès sa conception, une beauté qui nous dit : "je ne me suis pas faite moi-même, c’est Dieu qui m’a faite". Dès les premiers jours des 54 années d’apparitions au Laus, Benoîte Rencurel, la jeune bergère, est touchée par cette beauté de Marie, au point qu’elle en fait le nom-même de celle qui se montre à elle : "la belle Dame", dit Benoîte.
Une beauté esthétique, mais pas uniquement : la beauté que Benoîte contemple dépasse de loin de simples critères physiques. C’est tout l’être de la bergère qui est transporté par la beauté immaculée de Marie qui lui est donnée à voir. Et les Manuscrits du Laus insistent sur le fait que cette beauté « fait naître dans le cœur [de Benoîte] de si grandes consolations, l’embrase d’une telle manière, que son cœur en est tout enflammé »[3].
La beauté de Marie, parce qu’elle reflète sans la ternir la beauté de Dieu, enflamme nos coeurs et nous console de tout ce qui peut être laid dans nos vies. Car, en Marie, nous contemplons toute la beauté de la création restaurée par le mystère pascal ; Marie nous révèle la beauté de l’âme sauvée par Dieu, la beauté de la vie qui est appelée à un épanouissement éternel.
Beauté qui apaise et qui réjouit ; beauté qui attire au point de vouloir lui ressembler. Beauté qui comble, au point de ne rien rechercher d’autre. On est surpris, dans les débuts de l’histoire du Laus, de voir que Benoîte attend quatre mois avant de demander son nom à la Belle Dame. Savait-elle déjà que c’était la Vierge Marie ? Rien ne permet de l’assurer ; mais Benoîte a vécu ces quatre premiers mois non pas dans la quête d’informations, pour comprendre intellectuellement les choses, mais dans la contemplation de la beauté, pour vivre en profondeur la réalité qui lui a été offerte à voir. Et cela lui suffira : contempler la beauté !
Benoîte peut ainsi nous aider à ne pas limiter notre foi à la recherche de réponses. Bien entendu, il est précieux d’intégrer pleinement la raison dans notre démarche spirituelle. Mais il est nécessaire également de ne pas réduire la foi à une série d’interrogations à résoudre. La foi est d’abord relation, et pour cela, elle est contemplation de la beauté de Dieu, particulièrement en passant par Marie, qui ne fait aucun obstacle à l’admiration de cette beauté.
Et voilà que Marie devient aussi pour nous un modèle de vie, afin que nous cherchions à refléter, nous aussi, cette beauté divine, sans la ternir par nos péchés. Car, ce que Marie a reçu par anticipation, dès sa conception, en étant préservée du péché originel, nous l’avons reçu par participation, au jour de notre baptême, quand nous avons été libérés du même péché originel. Nous avons donc les mêmes grâces que Marie pour refléter la beauté divine.
Marie modèle de beauté est donc aussi Marie qui aide à la beauté. En cette année anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, il est intéressant de remarquer que, dans l’homélie qui concluait ce concile, le 8 décembre 1965, le pape Paul VI posait cette question aux pères conciliaires et à tous les fidèles catholiques : « La beauté de Marie immaculée ne devient-elle pas un modèle d’inspiration pour nous ? »[4] Comme si tous les documents issus du Concile Vatican II et toutes les réflexions entre les évêques conciliaires ne pouvaient trouver leur achèvement que dans la contemplation de la beauté de Marie, pour nous en inspirer, pour l’imiter.
Voilà bien ce que demandait la petite Thérèse : montrer non pas une Mère du Ciel inabordable, mais imitable. Et c’est dans sa beauté que Marie est pour nous particulièrement imitable.
Nous pouvons être beaux, avoir une vie belle, rendre la vie des autres plus belle. Nous le pouvons, car c’est l’oeuvre de la grâce, unie à notre engagement généreux. Nous le pouvons, car notre Mère céleste nous montre comme il est magnifique de refléter la beauté divine.
Tout ce que nous désirons, au plus profond de nous-mêmes, c’est en fait cela : vivre en parfait accord avec la beauté de Dieu, pour que cette beauté irradie nos corps, transfigure nos relations, oriente tous nos choix et apaise toutes nos craintes.
Marie, Vierge immaculée, pur reflet de la beauté divine, priez pour nous.
Amen.
[1] La basilique Notre-Dame des Victoires était un lieu de pèlerinage très appréciés des parents de sainte Thérèse, qui adopta elle-même cette dévotion familiale. Aujourd’hui, un autel est dédiée à sainte Thérèse, à gauche en entrant dans la basilique Notre-Dame des Victoires. Par ailleurs, une chapelle a récemment été inaugurée dans la basilique, en mémoire de Louis et Zélie Martin.
[2] Saint Augustin, Confessions X, 6.
[3] Manuscrits du Laus, CA p. 8 II [54] – année 1664
[4] [4] Paul VI, homélie de clôture du Concile Vatican II, 8 décembre 1965