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Sunday 10 July - 15ème dimanche du Temps Ordinaire
Ce que vous avez fait à l'un de ces petits...
Par le père Ludovic Frère, recteurIl y a vraiment un mystère insondable qui se vit dans chaque geste de charité. Un mystère insondable ! Pas simplement un réflexe sensible, parce que nous partageons la même humanité et que la souffrance des autres nous dérange ou nous révolte. Non, plus que cela encore : il y a un grand mystère, un mystère divin, un mystère de résurrection, une victoire de la vie qui jaillit à chaque fois que la charité l’emporte sur l’indifférence.
Permettez que je vous cite un exemple parmi tant d’autres. Il est rapporté par Mère Teresa, qui témoigne de ce qui s’était vécu dans l’une des maisons de la congrégation qu’elle avait fondée : « Des sœurs ont rencontré, il y a quelque temps, une personne dans une situation lamentable ; un de ces êtres fermés, repliés sur soi-même, sans aucun contact avec le moindre entourage. C’était à Rome, où nous avons des Sœurs. Je crois bien qu’elles n’avaient jamais vu chose pareille. Elles lavèrent son linge, firent le ménage à fond, préparèrent un peu d’eau chaude. A leur départ, tout était propre et en ordre. Elles laissèrent également de la nourriture et quelques provisions. Pendant tout ce temps, lui, il restait silencieux, incapable de prononcer un seul mot. Les Sœurs décidèrent de revenir deux fois par jour. Au bout de quelque temps, ce pauvre homme finit par sortir de son mutisme : "mes sœurs, vous avez apporté Dieu dans ma vie. Amenez-moi aussi un prêtre !" Aussitôt dit, aussitôt fait ! Voilà soixante ans qu’il ne s’était pas confessé ; il mourut le lendemain[1]. »
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Pour nous faire saisir aujourd’hui encore la puissance de vie qui habite ainsi chacun de nos actes de charité, regardons plus précisément cette magnifique parabole du bon Samaritain. Selon nos situations de vie, nous pouvons sans doute nous reconnaître parfois davantage dans l’un ou l’autre des protagonistes de cette histoire.
- Peut-être, aujourd’hui, vous retrouvez-vous surtout dans le comportement de ceux qui se détournent ; ils passent de l’autre côté du chemin, comme s’ils n’avaient rien vu. Ainsi, ils ne perdent pas de temps pour les autres, ni d’argent d’ailleurs, ni d’énergie. Le tout avec ce qu’il faut de bonne conscience – nous sommes assez doués pour cela ! – surtout quand il est possible de maquiller cette bonne conscience de quelques règles religieuses coupées de leur source et de leur sens.
- Mais peut-être vous trouvez-vous actuellement surtout dans le rôle du bon Samaritain : vous accueillez chez vous un parent malade, vous consacrez du temps à un ami hospitalisé ou à un conjoint fatigué. Cet évangile est alors pour vous un encouragement à persévérer, même si c’est pénible et même s’il n’y a que vous qui faites quelque chose alors qu’un frère ou un proche pourrait se bouger lui aussi, mais il ne le fait pas. Peu importe, oui : peu importe que les autres agissent ou non, peu importe qu’ils voient ce que vous faites ou non. Il y a du divin dans ce que vous vivez alors. Du divin, Jésus nous l’assure !
- Peut-être vous voyez-vous encore davantage dans le blessé au bord du chemin, et vous espérez un regard, un soutien, qui ne vient pas ou qui n’est pas venu de là où vous l’attendiez. Difficile alors de ne pas tomber dans l’amertume ! L’évangile de ce jour peut vous éviter tout découragement et toute rancune à l’égard de ceux qui auraient dû être là et qui vous ont déçus.
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Mais c’est certainement encore un tout autre regard que nous sommes appelés à poser sur cette parabole, pour ne pas nous contenter d’une simple identification de notre vie actuelle à l’une ou l’autre de ces attitudes. En effet, si le Fils de Dieu est bon connaisseur du cœur humain, Il n’a pas pris chair simplement pour mettre en lumière les comportements plus ou moins courageux, plus ou moins hypocrites. Il est venu sauver toute la réalité humaine. Alors, à chaque fois que nous entendons une parabole, nous devons nous demander : qu’est-ce qu’elle nous dit de ce que Jésus vient sauver en nous ?
Ainsi, cette parabole est sans doute à prendre dans un autre sens, et de nombreux Pères de l’Eglise l’ont souvent fait. L’homme qui descend de Jérusalem à Jéricho, ce n’est certainement pas un seul individu, mais bien plutôt l’humanité tout entière. Et ce Samaritain, qui s’est penché vers l’humanité souffrante, c’est le Christ. « Il fut saisi de compassion », dit l’évangéliste. Littéralement : il fut « remué jusqu’aux entrailles », ces fameuses entrailles qu’on traduit souvent, dans nos Bibles francophones, par le terme de « miséricorde ».
En voyant l’humanité gisant au bord du chemin, presque déjà morte, le Fils de Dieu est remué jusqu’aux entrailles. Il ne s’arrête pas aux raisons qui ont conduit l’humanité à se retrouver là, blessée. Il ne se demande même pas si l’humanité est recommandable, s’il ne va pas se souiller à son contact, ni même si elle mérite qu’il se penche sur elle. Non, il est remué jusqu’aux entrailles ; il ne peut alors se contenter d’une compassion à distance ; il passe à une compassion active. Il s’est donc approché de l’humanité blessée à mort, il s’est penché sur elle comme une mère sur le berceau de son enfant qui pleure, et il a pansé ses plaies. Depuis cet événement qu’on appelle l’Incarnation, le Seigneur ne cesse alors de se rendre proche de tout être humain, pour consoler et pour soigner.
Ah, qu’il est doux, dans toutes les blessures du monde et de nos vies, d’entendre que le Christ se penche sur nous et nous caresse avec de l’huile et du vin ; l’huile de douceur et le vin du réconfort, qui annoncent assurément certains des plus grands sacrements !
Voilà ce que fait le Seigneur avec l’humanité, qui s’était pourtant détournée de lui ; et sa compassion ne s’arrête pas aux soins prodigués sur place : il prend l’humanité blessée sur sa monture pour l’emmener jusqu’à l’auberge, le lieu du repos ; sans doute une image de l’Eglise, où le Christ Bon Samaritain nous place dans les mains de l’aubergiste et nous assure qu’il s’occupera de tout jusqu’à son retour, ce retour en gloire, où il viendra juger les vivants et les morts.
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Mais cette proximité du Christ à nos misères est plus grande encore ; et la parabole doit de nouveau être inversée. L’homme blessé sur le bord du chemin n’est sans doute pas qu’une image de l’humanité face au Christ qui la rejoint ; c’est aussi l’humanité unie au Christ. Car il n’est pas seulement venu se pencher sur nos détresses ; il les a toutes portées sur Lui. L’homme blessé et abandonné de tous, c’est donc Jésus-Christ Lui-même, blessé d’amour pour nous jusqu’aux blessures terribles de sa passion ; et c’est aussi le Christ qui s’identifie à ceux qui souffrent. Vous connaissez ces paroles bouleversantes, qu’il nous offre au chapitre 25 de saint Matthieu : « j’avais faim et vous m’avez donné à manger… j’étais malade et vous m’avez visité ».
Le mystère est alors plus grandiose encore que la découverte d’un Dieu sensible à nos misères : nous saisissons par le Christ que, lorsque nous nous penchons sur ceux qui souffrent, nous nous penchons sur Lui ! L’honorer de nos chants et de nos prières serait donc bien insuffisant, pour ne pas dire inutile, si nous ne l’honorions aussi par nos soins apportés à ceux qui souffrent. Un jeune montagnard italien béatifié, Pierre-Giorgio Frassati, avait ainsi tout compris, quand il disait : « Jésus me rend visite tous les matins dans la Sainte Communion. Moi, je la lui rends, par mes petits moyens, en visitant les pauvres[2]. »
Alors, Jésus est sans doute venu à vous, au cours de cette semaine, sous les traits de votre voisine perdue dans sa solitude, de votre enfant malade ou d’un mendiant espérant quelques piécettes. L’avez-vous reconnu, l’avez-vous servi ?
Si nous avons manqué ces divines rencontres, pas d’inquiétude : forts de la présence du Christ qui vient encore vitaliser nos existences par cette Eucharistie, nous pourrons repartir aujourd’hui avec le cœur davantage ouvert et l’œil plus attentif. Nous pourrons alors reconnaître le Dieu éternel et tout-puissant qui se cache là, tout proche de nous, sous les traits d’un blessé qui attend que nous nous penchions sur lui pour une douce étreinte qui console et qui guérit. Amen.
[1] Mère Teresa, Une main de tendresse, Mesdiapaul, 1985², p. 34.
[2] Bienheureux Pier-Giorgio Frassati, cité par Cristina Siccardi, Pier Giorgio Frassati, Ed. Artège, 2015.