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Sunday 24 August - 21e dimanche du temps ordinaire A
Bien plus qu'une bonne réponse
Par le Père Ludovic Frère, recteurBravo à Simon-Pierre ! La question n’était pas évidente, mais il a répondu avec justesse : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! » Dans un jeu télévisé, les applaudissements enregistrés auraient déjà retenti…. Excellente réponse, Simon-Pierre ; vous avez gagné le droit de gouverner l’Eglise et vous recevez les clés du Royaume !…
Mais les desseins du Seigneur ne fonctionnent pas comme les jeux télévisés. Jésus lui-même évite au chef des Apôtres la tentation de s’attribuer la paternité de sa bonne réponse et de voir ensuite dans la mission qui lui est confiée une sorte de récompense : « ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela ». Pierre ne peut donc pas s’enorgueillir de son succès ; mais, plus encore, il peut ainsi comprendre que son intelligence à percevoir la réalité lui est donnée d’en-haut. Et, avec lui, ce dimanche, nous pouvons tous le comprendre plus profondément, nous aussi.
Car la foi n’est pas notre propre construction intellectuelle. La tradition de l’Eglise appelle la foi une "vertu théologale", c’est-à-dire qu’elle est un don de Dieu, au même titre que l’espérance et la charité. Seul le Père met en nous l’intelligence de son mystère ; seul l’Esprit-Saint nous inspire ce qui est vrai, selon la promesse du Christ à ses disciples : « l’Esprit vous enseignera tout » (Jn 14,16).
Ainsi, nous ne devrions logiquement pas prier d’abord pour faire connaître à Dieu nos besoins, mais à l’inverse pour que nous puissions mieux Le connaître, Lui. Comme l’enseignait saint Augustin : « ne cherche donc pas à comprendre pour croire, mais crois afin de comprendre » . La foi nous donne l’intelligence de ce que nous ne voyons pas et de ce qui dépasse les capacités de notre raison laissée à ses seules forces.
De notre côté, il s’agit donc d’aborder toutes les grandes questions, notamment sur la souffrance et sur le mal, à partir de ce que Dieu nous révèle de son mystère. Ce que saint Augustin disait au sujet de la prière : « si tu désires, tu pries ; pour prier sans cesse, désire sans cesse » , nous pourrions le dire pareillement pour l’intelligence de la foi : si tu désires, tu peux comprendre. Pour comprendre davantage, désire davantage.
Le Seigneur ouvre ainsi notre intelligence bien plus profondément que ne le peuvent « la chair et le sang » - pour reprendre l’expression de Jésus ; c’est-à-dire que ne le peuvent nos capacités humaines laissées à elles seules. C’est pourquoi l’orgueil est l’obstacle le plus grand à l’entrée dans l’intelligence du mystère divin, car l’orgueilleux se place devant Dieu comme devant quelqu’un qui doit lui rendre des comptes, alors que nous devons approcher du Seigneur pour entrer dans son mystère comme on le fait auprès d’une source : en nous plaçant dessous, afin de recevoir ce qu’elle nous offre pour nous désaltérer. Saint Bernard de Clairvaux, que nous fêtions mercredi dernier, disait qu’entre Dieu et nous, « la différence n’est pas moins grande qu’entre l’être assoiffé et la source » .
La parole de Jésus à Simon-Pierre ne fait donc pas que lui éviter de se glorifier de sa bonne réponse ; elle lui permet de saisir qu’il est devant infiniment plus grand que lui. Mais l’apôtre ne va pas seulement pouvoir réfléchir en lui-même au mystère de la personne du Christ ; en recevant du Père qui est aux cieux la révélation de l’identité de Jésus, il reçoit aussi une mission. Autrement dit : la grâce de la foi, qui nous permet de connaître Dieu par une relation vivante avec Lui, nous rend en même temps responsables de la foi des autres.
Cette responsabilité mutuelle que nous avons dans la foi, le Seigneur la permet en fondant l’Eglise. A travers Pierre qui reçoit les clés du royaume, il lui donne la mission de lier et de délier, comme le préfigurait l’annonce du Seigneur par la bouche du prophète Isaïe, dans la première lecture : « s’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Je le rendrai stable comme un piquet qu’on enfonce dans un sol ferme » (Isaïe 22,21). Ainsi l’Eglise est-elle ce piquet stable ; notre Pape est ce piquet stable enfoncé dans le sol et pour lequel nous devons prier afin que sa foi et son enthousiasme ne défaillent pas.
Par la tradition et le magistère, l’Eglise nous permet ainsi de ne pas nous perdre dans notre compréhension de Dieu et notre vie accordée à sa Parole. Car la Parole de Dieu pourrait être comparée peut-être à une carte topographique ; si cette carte est bien réalisée, elle dit toujours vrai. Mais si je tiens la carte à l’envers, elle aura beau être juste, elle ne me conduira pas sur le bon chemin. Il faut alors une boussole, qui indique la bonne direction.
Ainsi en est-il du mystère de l’Eglise : comme une boussole, elle permet de mettre la Parole de Dieu dans le bon sens, pour qu’elle nous fasse prendre le bon chemin. L’inspiration divine qui a permis à Pierre de confesser la divinité du Christ et qui nous inspire tous dans notre manière d’accueillir sa Parole n’est donc pas une inspiration individualiste, qui rendrait inutile le concours des autres et notre union dans l’Eglise. Au contraire, cette inspiration est conditionnée par notre manière de vivre la communion à toute l’Eglise, autour de notre Saint Père et de nos évêques.
Seule cette communion, vécue comme un acte de foi dans le projet divin tel qu’il nous est révélé dans l’évangile de ce dimanche, nous permet de ne pas nous égarer dans une foi individualiste, qui nous isolerait des autres et nous ferait construire, plus ou moins consciemment, un petit dieu à notre mesure, forcément bien décevant au regard de la profondeur, de la grandeur, de la hauteur du Dieu véritable, tel que l’a magnifiquement exprimé saint Paul dans la 2e lecture : « quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu ! » (Rm 11,33).
L’Eglise n’est donc pas qu’une organisation plus ou moins bien pensée, plus ou moins bien structurée, permettant la pérennité de l’action évangélisatrice. L’Eglise est le sacrement du Christ, en ce sens qu’elle rend visible et qu’elle donne réellement celui qu’elle annonce. L’Eglise est cette communauté vivifiée par l’Esprit-Saint, qui a reçu du Christ cette promesse : « la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle ». Les forces de mort, quelles qu’elles soient, ne l’emporteront pas sur l’Eglise, comme elles n’ont pu l’emporter sur celle qui préfigurait l’Eglise et qui en est devenue la mère : la Vierge Marie, qui vous accueille particulièrement en ce lieu béni.
Votre présence en ce sanctuaire voulu par Marie peut donc assurément vous aider à reposer cet acte de foi essentiel en la promesse du Christ à son Eglise : la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle ! Et l’acte de foi, tout aussi essentiel, du ministère de Pierre et de ses successeurs : détenteur des clés du royaume, et pas seulement organisateur du fonctionnement de l’Eglise, le Pape porte la lourde mission de lier et délier.
Et cela, pas plus que l’identité du Christ, ce n’est pas la chair et le sang qui nous le révèlent, c’est le Père, qui nous offre l’Eglise comme le plus beau des cadeaux qu’il pouvait nous faire après l’offrande de son Fils, après l’envoi de l’Esprit-Saint, après la maternité de Marie ; le plus beau des cadeaux, c’est l’Eglise et le Pape… saurons-nous recevoir ainsi, comme un don de Dieu, l’Eglise et tous ses membres ?
Amen.