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dimanche 1 septembre - 22e dimanche du temps ordinaire C
Bien choisir sa place
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire« Remarquant que les invités choisissaient les premières places » (Luc 14,7), Jésus interpelle chacun : « Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place » (Luc 14,8). La raison que notre Seigneur invoque d’abord, c’est simplement de nous prémunir d’une désagréable humiliation ; éviter de « se prendre un vent », comme disent les jeunes. Quoi de plus humiliant que de se faire ainsi rétrograder aux places subalternes ?
Mais, en fait, le Christ ne veut pas seulement éviter à ses disciples une telle situation gênante. De l’humiliation, que personne n’aime éprouver, il va passer à l’humilité, que peu savent choisir. Humilité de prendre par soi-même la dernière place.
Il faut dire que le Christ s’y connaît, en matière de places. N’oublions pas qu’il a commencé son existence terrestre sans en avoir : « il n’y a avait pas de place pour eux dans la salle commune », nous dit le récit de Noël rapporté par saint Luc (Lc 2,7). La question des premières places doit donc être abordée pour nous non seulement sous l’angle de l’humilité – toujours à rechercher - mais aussi et même d’abord en s’appuyant sur l’exemple que le Christ nous a donné, depuis sa naissance où il n’y avait pas de place pour lui, jusqu’à sa résurrection où il vient bouleverser radicalement la logique des premières places.
Ainsi, c’est à travers toute sa vie terrestre, de la crèche jusqu’à l’Ascension, que le Christ nous offre, en actes, trois enseignements essentiels sur les premières places : la lutte contre l’orgueil, la première place laissée à Dieu seul, et la place qui nous attend au Ciel.
Le premier enseignement, le Seigneur nous le donne comme un avertissement : il nous "remet à notre place", si l’on peut dire, quand nous avons tendance à nous prendre pour plus grands que nous ne sommes.
Souvent aussi, l’orgueil nous pousse à vouloir récolter des lauriers injustifiés : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu », interroge saint Paul, dans la première lettre aux Corinthiens (1 Co 4,7). « Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier ? » L’Apôtre donnera ensuite son propre témoignage : « Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et la grâce dont il m'a comblé n'a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi » (1 Co 15,10). Tout est grâce, tout vient de la grâce. Cessons donc de voler à Dieu ce qu’il nous donne ! Cessons de nous mettre en avant et de prendre nos charismes pour des mérites.
L’absurdité de l’orgueil, c’est encore de mettre notre cœur dans des réalités qui mourront dans la tombe. Et nous glorifions notre « moi », de manière quasi idolâtrique. Alors, il a bien raison, le sage Ben Sirac, d’avoir reconnu, dans la première lecture, que l’orgueil est « la racine du mal » (Si 3,28). Au sanctuaire du Laus, Benoîte Rencurel reçoit un jour de l’année 1700 la visite d’un ange, « qui lui dit d’avertir beaucoup de personnes de bien se corriger de leurs défauts et de mourir à leur amour propre si elles veulent aller au paradis »[1]. La porte étroite que le Christ nous appelait dimanche dernier à franchir pour aller au Ciel est certainement la porte de l’humilité.
L’orgueil n’est donc pas une fatalité. On ne peut pas se dire : "je suis humain, alors forcément je suis orgueilleux". Et l’on cite volontiers saint François de Sales, qui reconnaissait que notre orgueil mourra sûrement un quart d’heure après nous. Mais, connaissant en profondeur le cœur humain, Jésus montre en exemple des petits enfants et nous demande de leur ressembler. Bien sûr, tous les parents savent bien que les enfants ne sont pas exempts d’élans d’orgueil ; mais en nous les montrant, Jésus nous appelle à vouloir diminuer, à accepter de nous abaisser. C’est d’ailleurs ainsi que le Seigneur peut plus aisément nous relever, comme le disait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « ma joie, c’est de rester petite ; ainsi, quand je tombe en chemin, je peux me relever bien vite »[2].
En fait, le Christ nous appelle sans cesse à entrer dans son propre mouvement, Lui qui s’est fait petit en prenant chair et en « s’abaissant jusqu’à la mort, la mort de la croix », comme le reconnaît l’hymne aux Philippiens (Phil 2,8). Disciples du Fils éternel qui n’a « pas revendiqué son droit d’être traité à l’égal de Dieu » (Phil 2,6) ; disciples du Maître qui est né dans une mangeoire et n’avait pas de place où reposer sa tête ; disciples du Sauveur qui est mort sur une croix, comme un malfrat… comment pourrions-nous encore vouloir nous glorifier par nous-mêmes ? Saint Augustin disait : « Peut-être aurais-tu honte d’imiter un homme humble ; imite au moins un Dieu humble ».
Mais l’orgueil semble tellement nous coller à la peau que nous pouvons nous demander s’il est vraiment possible de nous en libérer. Sans doute pas… en tous cas, pas tant que nous n’avons pas saisi qu’il n’y a qu’un seul moyen pour renoncer à la première place : c’est de la laisser au Christ.
Ecoutons saint Jean-Baptiste, capable de dire du Messie : « il faut qu’il grandisse, et que moi je diminue » (Jean 3,30). Que faisons-nous donc pour laisser le Christ grandir en nous ? Comment lui laissons-nous, en toute occasion, la première place ?
C’est là une question fondamentale pour toute notre vie chrétienne. Mais cette question doit être posée sans oublier la révélation de Celui qui a pris la dernière place. Car il s’agit d’entrer dans ce grand mystère, que beaucoup ont du mal à saisir : nous devons laisser la première place à Celui qui a pris la dernière, tellement "dernière" que personne ne peut en prendre de plus dernière que la sienne. Et pourtant, nous devons le laisser passer devant nous
Mais voilà le troisième enseignement que nous offre le Christ : en nous appelant à ne pas chercher les premières places, il ne nous demande pas tant de limiter nos ambitions, que d’avoir bien plus d’ambition que ce que la terre peut proposer de meilleur.
Les honneurs terrestres sont de ridicules stapontins à côté de ce que le Christ nous promet pour l’éternité. Et ainsi, refuser de prendre par nous-mêmes les premières places, c’est reconnaître qu’elles ne sont, en fait, pas assez désirables pour nous. Nous aspirons à des places bien plus élevées, bien plus comblantes.
A ses disciples, le Christ annonce clairement : « Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure ; sinon, est-ce que je vous aurais dit : Je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi » (Jean 14, 2-3).
A l’écoute d’une telle promesse, avons-nous vraiment encore envie de fanfaronner dans des mondanités ? Sommes-nous encore avides de briller aux yeux du monde, de mettre notre orgueil dans des réalités éphémères ? La seule place à laquelle il vaut vraiment la peine de s’installer, c’est la place que Jésus est parti préparer pour nous au Ciel.
Et le même apôtre saint Jean rapporte ensuite dans le livre de l’Apocalypse cette promesse du Seigneur : « Le vainqueur, je le ferai siéger près de moi sur mon Trône, comme moi-même, après ma victoire, je suis allé siéger près de mon Père sur son Trône » (Ap 3,21). C’est le trône du Christ et donc celui du Père qui nous est promis, rien de moins que cela ! Franchement, tous nos trônes humains ne sont-ils pas bien trop bas à côté de cette place à laquelle nous sommes promis ?
En cherchant toujours sur terre à prendre les dernières places et en laissant inlassablement au Christ la première dans chaque instant de nos vies, nous pourrons donc au Ciel nous entendre dire, comme le Seigneur le fait dans la parabole de ce jour : « Mon ami, avance plus haut » (Luc 7, 10).
Accueilli comme un ami, pour avancer infiniment plus haut : c’est à cela que nous sommes appelés !
Mettrions-nous en péril une promesse aussi grandiose, en choisissant ridiculement les petites premières places de nos mondanités éphémères ? N’oublions pas pour quoi nous sommes faits éternellement :
« Mon ami, avance plus haut » !
Amen.
[1] Manuscrits du Laus, CA G. p. 199 XVI [254].
[2] Thérèse de Lisieux, PN 45.