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dimanche 4 mars - Homélie du 2e dimanche de carême, année B
Beauté qui surpasse toutes les beautés
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Pour mettre Abraham à l’épreuve, le Seigneur lui demande d’aller offrir son fils bien aimé en sacrifice « sur la montagne ». C’est aussi sur une montagne - « très haute », précise saint Marc - que Jésus emmène ses bien-aimés, Pierre, Jacques et Jean, pour être transfiguré devant eux.
La montagne semble toucher le ciel. Elle oblige à un effort pour la gravir et découvrir des paysages insoupçonnés ; celui qui préfère rester tranquillement dans la plaine ne les contemplera jamais. La montagne évoque aussi la majesté, et nous nous sentons tous humbles devant ces massifs qui nous ont précédés et qui nous survivront.
C’est sans doute pour toutes ces raisons que Dieu choisit la montagne comme lieu privilégié de sa révélation. Montagne du Sinaï, où Moïse reçoit les tables de la loi ; montagne de Sion, où est construit le temple de Jérusalem ; montagne de l’Horeb, où le Seigneur se manifeste au prophète Elie dans le murmure d’une brise légère.
Jésus se retire lui aussi souvent sur la montagne, pour prier ; c’est là qu’il y choisit ses douze Apôtres, qu’il prononce le grand discours des béatitudes, et bien sûr qu’il va donner sa vie, sur le mont Golgotha.
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En ces semaines de vacances, beaucoup viennent en notre belle région profiter des joies de la montagne. Les skieurs de la session ski-spi, qui s’est achevée hier en notre sanctuaire, comme les spi-skieurs qui nous rejoignent aujourd’hui pour une nouvelle session, se laissent toucher, comme beaucoup d’entre vous, par l’appel des hauteurs.
Majestueuses de beauté, les montagnes inspirent le respect et l’émerveillement, même aux plus blasés ; car rien, aucun spectacle d’aucune sorte, ne peut égaler la beauté édifiante des montagnes. Rien ne l’égale, une seule la dépasse : Jésus-Christ. Sur une haute montagne, il est transfiguré, d’une beauté telle que toute autre beauté paraît bien pâle en comparaison.
Et saint Augustin, après s’être épuisé à chercher la beauté dans les choses créées, fait cette magnifique prière au Seigneur : « Bien tard je t’ai aimée, ô Beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée. Et voici que tu étais au-dedans de moi, et moi au-dehors de moi, et c’est là que je te cherchais ». Après des années d’errance, saint Augustin a découvert que la beauté du Christ l’avait déjà rejoint, au plus profond de lui-même, mais que lui n’y était pas. Le temps du Carême est justement offert pour que nous soyons là où le Seigneur nous rejoints.
La transfiguration, dont Pierre, Jacques et Jean sont les témoins, annonce cette beauté divine qui nous rejoint au-dedans de nous, par la résurrection du Christ. Car c’est bien avec son corps que Jésus est transfiguré et qu’il est ressuscité : corps lumineux à la transfiguration qui annonce le corps glorieux dans la résurrection. D’ailleurs, c’est le même terme que l’évangéliste choisit pour décrire les deux événements : « Jésus fut transfiguré », dit-il – littéralement : « il fut rendu autre, dans une autre forme, méta-morphosé ». Au jour de la résurrection, quand le Seigneur apparaîtra à ses amis, ce sera aussi, précisera saint Marc, « sous des traits autres, méta-morphosés » (Mc 16,5). Ce corps sera à la fois marqué des signes des clous et tellement différent que certains auront du mal à le reconnaître.
Or, depuis notre baptême, nous le croyons : cette lumière de la résurrection nous a déjà rejoints dans nos propres corps. L’éclat du Christ n’est pas seulement à contempler ; sa lumière est venue nous irradier, et désormais, déjà, nos corps sont « autres », porteurs de lumière, porteurs de Dieu, temples de l’Esprit-Saint.
Osons le dire : nos corps sont tous beaux, car traversés par cette lumière du Christ ; une lumière qui ne nous apparaît pas toujours clairement, nous qui subissons les limites de nos corps et qui souffrons de leurs défaillances. Mais la transfiguration, parce qu’elle annonce la résurrection, nous appelle à un regard totalement nouveau sur nos corps.
Sur la montagne, Jésus transfiguré n’est pas encore ressuscité ; de même, nous qui avons laissé la lumière du Christ nous irradier au jour de notre baptême, nous ne sommes pas encore ressuscités ; l’harmonie totale avec notre corps, ce sera pour la résurrection. Mais pour l’instant, nous sommes dans cette étape de notre existence, où nos corps sont bien traversés de lumière, mais restent dans la pesanteur du monde.
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En contemplant la transfiguration, nous pouvons donc trouver une vraie réconciliation avec nos corps. Ce temps du Carême est justement un moment favorable pour cette réconciliation : cessons de vouloir nos corps autres qu’ils ne sont ; acceptons-les avec leurs défauts physiques qui nous complexent parfois, avec leurs maladies et leurs handicaps qui peuvent être si pesants, avec leurs vieillissements si déconcertants.
Luttons contre la maladie mais ne combattons pas nos corps, à l’instar de Benoîte dont l’ange a caché les objets de tortures par lesquels elle se faisait du mal : influencée par le jansénisme ambiant, elle pensait qu’il fallait mater le corps comme un animal sauvage, ennemi de l’âme. Elle va découvrir, par son ange, que le corps est l’ami de l’âme : il est un lieu privilégié de relation, et depuis le Christ, il est traversé de lumière, d’où le respect profond qui lui est dû. Un respect que l’Eglise ne cesse de rappeler, souvent à contre-courant, parce que dans notre monde qui se dit décomplexé, on n’aime pas le corps, en vérité, on le consomme.
Et finalement, si la Transfiguration a lieu sur une montagne, c’est peut-être aussi pour que nous portions sur nos corps le même regard que celui que nous avons sur les montagnes : un respect devant sa majesté, en reconnaissant combien c’est un lieu privilégié de rencontre avec Dieu. « Glorifiez Dieu dans votre corps », exhorte saint Paul (1 Co 6,20).
Par les pénitences du Carême qu’il serait dommage de laisser de côté comme si c’étaient des pratiques dépassées, nous sommes appelés non pas à mépriser le corps, mais le maîtriser, à l’orienter pour qu’il corresponde à la lumière de transfiguration qui le traverse, depuis qu’il a été plongé dans l’eau du baptême.
Frères et sœurs, aimez vos corps, respectez vos corps en les maîtrisant. Respectez les corps des autres, sans jamais leur retirer leur lumière de transfiguration : les regards impurs, les complicités avec le monde de la pornographie, la chosification du corps des autres, sont autant de rejets de la lumière divine qui est venue nous traverser au jour de notre baptême, comme une transfiguration annonçant leur vocation à la glorification éternelle au Paradis.
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Alors que nous sommes encore dans les débuts de notre Carême, l’Evangile de la transfiguration nous appelle à la beauté ; et même à un choix entre des beautés d’apparence et la vraie beauté ; un choix entre des beautés qui passent et celles qui demeurent. La montagne, qui évoque la permanence, tant il a fallu de siècles pour façonner les paysages qui nous entourent, nous appelle à choisir des beautés qui durent.
Faisons nos vies belles, en ces jours de préparation pascale ; plus encore que faire ce qui est juste, faisons ce qui est beau.
Amen.
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