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Sunday 27 July - Conclusion de la session des familles
Aladin, Salomon ou plus encore ?
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaireVous connaissez certainement l’histoire d’Aladin, ce jeune homme qui découvre dans une grotte une lampe magique : cette lampe, quand on la frotte, libère un génie. Le génie demande alors au jeune Aladin de formuler trois vœux ; 3 vœux pour exaucer tout ce qu’il veut !
Je me demande si ce conte tardivement ajouté au recueil des mille et une nuits n’a pas puisé son inspiration dans l’histoire du roi Salomon. Car il avait dû faire le tour du Moyen-Orient, cet événement que nous a rapporté la première lecture : le Seigneur avait visité le roi d’Israël au cœur de la nuit pour lui dire : « demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai ».
Franchement, si la nuit prochaine, Dieu venait vers vous pour vous dire : « demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai », que feriez-vous ? ça mériterait certainement d’y réfléchir un moment… Avoir tout à coup la possibilité d’exaucer nos plus grands souhaits, ça doit faire remuer dans la tête des sentiments contradictoires, des désirs qu’il n’est pas si simple de hiérarchiser, des élans généreux pour le bien des autres et des pensées égoïstes pour une réussite personnelle… oui, ça doit bien bousculer de s’entendre dire : « demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai ».
Près de 1000 ans après Salomon, une autre personne recevra le même type de promesse. C’était à la cour du roi Hérode. Tombé sous le charme de la belle Hérodiade, le roi lui fit cette promesse : « demande-moi ce que tu veux, jusqu’à la moitié de mon royaume, et moi je te le donnerai ». La jeune femme demanda alors la tête de Jean-Baptiste, qui lui fut apportée sur un plateau.
Comme quoi la possibilité de tout obtenir conduit parfois à des choix terribles. Ou encore, ce pouvoir rejoint peut-être le désir de toute-puissance qui habite parfois nos cœurs : avoir la maîtrise de tout, être en capacité de décider de tout… que ferait-on d’un tel pouvoir ?
* * *
Le témoignage de Salomon est alors édifiant : il ne profite pas de la situation pour agrandir sa richesse ou se venger d’un ennemi comme le fera Hérodiade. Il avait saisi que ce n’est pas la force qui lui permettrait de bien mener sa vie, mais la sagesse. Alors, le voici qui répond à la demande divine par ces simples mots : « donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ».
Dans le monde d’aujourd’hui, beaucoup de personnes diraient que Salomon a gâché sa chance en ne demandant que la sagesse. Mais c’est, en fait, qu’il en avait déjà de la sagesse, pour comprendre qu’il lui fallait en demander davantage ! Il avait compris qu’un cœur attentif à discerner le bien et le mal, c’est en fait ce qui est le plus nécessaire pour réussir sa vie.
C’est sans doute ce que nous devrions tous demander avec plus d’ardeur : Seigneur, donne-moi un cœur attentif à discerner le bien et le mal. En demandant cette grâce, le roi Salomon s’éloignait de la tentation de la toute-puissance : il ne demandait ni la richesse pour impressionner les autres et les dominer, ni le pouvoir pour se sentir supérieur. Il résiste aux désirs les plus loufoques qui peuvent habiter le cœur humain, il ne cherche pas son intérêt, mais celui du peuple qui lui est confié : « donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ». N’est-ce pas ce que des parents devraient demander en priorité pour éduquer leurs enfants ? Ou des conjoints pour avoir une juste attitude réciproque en couple ? Et en bien d’autres situations encore : « un cœur attentif… pour discerner le bien et le mal ».
C’est ici la grâce qu’avait reçue Benoîte ; une grâce au service des autres et non seulement pour sa sanctification personnelle. Par un charisme particulier de connaissance des cœurs et par les révélations qu’elle recevait lors des apparitions, Benoîte avait un cœur attentif pour discerner le bien et le mal. Et si nous demandions la même grâce, peut-être la seule grâce vraiment indispensable pour une vie juste sur cette terre et pour une avancée assurée vers la vie éternelle ?
* * *
Et voilà que, dans l’évangile, nous avons entendu la succession de trois paraboles, par lesquelles Jésus nous fait encore entrer dans le mystère de son royaume, comme il le faisait déjà dimanche dernier. Ce royaume, nous dit-il, c’est comme un trésor caché, comme une perle de grand prix, comme un filet qui ramasse de gros poissons. C’est donc bien ce royaume que nous devrions chercher par-dessus tout. Seule la quête de ce royaume peut nous apporter la grâce d’un cœur capable de discerner le bien et le mal.
Comme Salomon, le Seigneur nous laisse donc devant un choix ; un choix qui nous responsabilise et qui a autant de conséquences que le choix posé par le roi d’Israël. En ce sens, Salomon n’a pas eu plus de chances que nous : il a été placé avant nous dans la même situation de devoir choisir entre des satisfactions pour un moment et une réussite durable.
Mais, à bien y regarder, nous avons même davantage de chance que Salomon, car sa demande d’un cœur attentif à discerner le bien et le mal a eu une fin : quand ce cœur-même a cessé de battre. En revanche, notre attention à chercher le royaume comme un trésor ou comme une perle de grand prix ne conduira pas à une fin : elle conduira au bonheur de la vie éternelle dans ce royaume.
Pour hâter la venue de ce règne, nous sommes donc appelés à entrer toujours plus dans ce grand mystère : la vie spirituelle ne consiste pas à demander à Dieu qu’il nous donne tout ce dont nous avons besoin. Certes, comme Salomon, nous pourrions alors demander des choses très utiles et très charitables. Mais le Christ s’est révélé comme étant bien plus grand que Salomon ; par lui, nous avons donc un pas supplémentaire à oser franchir. Un pas encore plus déraisonnable que celui de Salomon préférant demander la sagesse pour gouverner que la force pour dominer.
Disciples du Christ, nous devons renverser les choses. Au lieu d’attendre que le Seigneur nous dise : « demande-moi tout ce que tu veux, je te le donnerai », être nous-mêmes capables de prier ainsi le Seigneur : « mon Dieu, demande-moi tout ce que tu veux, et je te le donnerai ». C’est cela, une vie chrétienne, une vie en correspondance avec la réalité vivante de notre baptême. Parvenir à dire : « Seigneur, demande-moi tout ce que tu veux, et je te le donnerai ».
Parce que je sais bien que le Seigneur ne peut rien me demander qui serait pour mon malheur. Je sais bien que le Seigneur ne saurait pas me demander ce que je serais incapable de lui donner ; et je sais bien que ce que je donnerai au Seigneur ne sera pas perdu. Dans la deuxième lecture, saint Paul l’a affirmé : « quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout contribuer à leur bien » (Rm 8,28).
Je le sais, nous le savons bien, mais que de réticences ! Nous sommes ici dans un lieu où la femme qui a été choisie par le Ciel n’était pas exempte de résistances intérieures. Vous connaissez sans doute l’histoire de Benoîte et sa chèvre. Aux premiers temps des apparitions, la Belle Dame lui demande qu’elle lui donne cette chèvre. Par deux fois, la bergère refuse, prétendant en avoir trop besoin, surtout pour traverser les torrents. Marie renonce alors à la lui demander.
Le Seigneur prendra plus d’un demi-siècle auprès de la servante du Laus pour qu’elle accepte de donner ce que le Ciel lui demandait. Non plus seulement sa chèvre, car d’ailleurs on ne sait plus ce qu’elle devient ensuite, elle disparaît de l’histoire du Laus, comme si ce dont Benoîte pensait avoir indispensablement besoin s’était révélé au fur et à mesure du temps pas si utile que ça, et peut-être même fort futile. Une chèvre pour traverser un torrent. Quand on a mis sa foi dans le Seigneur qui ait ouvert la mer rouge et qui, ayant pris chair, marcha sur les eaux, il est bien dérisoire de s’attacher à un mammifère ruminant pour franchir un petit torrent !
Il faudra plus d’un demi-siècle à Benoîte pour expérimenter le don véritable, sans avoir peur du Seigneur, dans une confiance totale, parce qu’elle avait compris qu’elle devait conformer sa vie au Christ, celui-là même qui s’était révélé comme « bien plus grand » que Salomon et qui ne s’est pas contenter de nous donner tout ce que nous aurions pu lui demander : il est allé jusqu’à nous donner tout !
Amen.