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dimanche 31 juillet - 18ème dimanche du T. O. - Clôture de la session des familles
Aimer Jésus comme Benoîte aimait sa chèvre !
Par le père Ludovic Frère, recteurMonition d’ouverture
Les événements récents nous appellent à vivre ce dimanche d’une manière toute particulière. En soi, on peut légitiment trouver que ça commence à bien faire, ces messes qu’il faut trop souvent introduire par un message de « sidération », comme on dit désormais, devant la folie de ces hommes capables aussi bien de faucher des enfants et leurs parents après un feu d’artifice qu’égorger un prêtre retraité célébrant la messe ! Avec ce sentiment désagréable, dès qu’on en reparle, d’offrir une caisse de résonnance à ces lamentables islamistes qui ne demandent que cela.
Et si nous nous pensons bien impuissants devant cette violence imprévisible, qui peut toucher tout le monde et partout, le Seigneur Jésus nous offre lui-même deux armes pour affronter ceux dont le vrai dieu, en réalité, c’est la mort : ils servent et adorent la mort. Nous ne pouvons donc leur répondre que par la vie. La victoire de la vie, qui se manifeste d’abord par notre force de prière ; et la victoire de la vie qui jaillit dans chaque acte de charité, cette arme désarmante que nous pouvons être tentés de refuser à ceux qui agissent si violemment.
Mais soyons clairs : nous ne pouvons pas être des chrétiens par intermittence, qui suivent les paroles du Christ quand il n’y a pas de danger véritable, mais qui les abandonnent pour des réactions plus violentes quand survient une menace.
Frères et sœurs, ne nous y trompons pas : si, devant les dangers, les martyrs des premiers siècles et de tous les temps avaient préféré abandonner l’évangile pour la violence, nous ne serions plus là aujourd’hui. Si les chrétiens, au cours des siècles, s’étaient repliés sur eux-mêmes plutôt que garder le cœur ouvert, il n’y en aurait certainement plus sur la terre.
Nous sommes les disciples d’un Maître et Seigneur qui fut insulté sans rendre l’insulte et qui demande instamment de tendre l’autre joue ; c’est la plus grande des forces… parce qu’elle n’est plus que celle de Dieu !
Préparons-nous donc à célébrer cette Eucharistie en implorant la miséricorde du Seigneur pour toutes nos complicités avec la violence ; que son amour miséricordieux nous en libère entièrement.
Homélie
Avec le Christ, nous faisons une halte ce dimanche, dans un village dont on ignore le nom. Mais ce qui est certain, c’est que la nouvelle de sa présence s’est vite répandue. Le 12e chapitre de saint Luc est introduit par ces mots : « la foule s’était rassemblée par milliers, au point qu’on s’écrasait » (Luc 12,1). On se bouscule ce jour-là ! Il n’y a pas de sonorisation, mais tous veulent bien entendre Jésus.
Que l’Esprit Saint nous donne le même enthousiasme !... ça serait magnifique, vous ne trouvez pas ? Se bousculer pour écouter Jésus ! Il faudrait qu’il en soit ainsi à chaque proclamation de la Parole ! De quoi raviver en nous la joie de croire en un Dieu qui nous parle, et le désir de nous mettre véritablement à son écoute.
Mais revenons dans ce petit village visité par Jésus. Si on se bouscule, l’ambiance reste bon enfant, comme au Laus. Il faut dire que les paroles du Christ ont vite fait d’adoucir les esprits râleurs : « les cheveux de votre tête sont tous comptés », vient-il de dire. « Soyez sans crainte, vous valez bien plus que tous les moineaux du monde » (Luc 12,7). Ça fait vraiment du bien d’écouter cet homme qui, au cœur de toutes les difficultés de l’existence, apporte un solide réconfort !
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Mais cette « christothérapie » va prendre une tournure particulière, lorsqu’un homme fend la foule pour venir lancer à Jésus : « Dis à mon frère de partager avec moi notre héritage » (Luc 12,13). On imagine alors une sorte de réprobation de la foule devant cet homme sans gêne, qui veut accaparer Jésus pour son cas particulier… comme si ça ne nous arrivait jamais !
Mais bon, on peut quand même le comprendre, cet homme : un grave souci le tourmente, une injustice même ! Non seulement, il est accablé par la mort de son père, mais dès que l’enterrement fut terminé, une immonde querelle d’héritage a vu le jour. Son frère a refusé de partager, voulant tout garder pour lui.
On comprend qu’une telle injustice conduise cet homme à vouloir se tourner vers Jésus ; après tout, ce prédicateur a des paroles de sagesse, il doit donc bien savoir comment s’en sortir dans une situation aussi difficile, comme il nous arrive à nous aussi de présenter au Seigneur nos difficultés de vie en le suppliant : « Jésus, fais quelque chose, je t’en prie ! »
Le Seigneur ne méprise alors assurément pas nos plaintes et nos demandes, mais il nous ouvre toujours à un regard vers les réalités d’en haut. Cet homme soucieux d’héritage, il va ainsi le faire passer de la légitimité d’un héritage terrestre à la promesse d’un héritage éternel. Non pas qu’il méprise sa demande, mais il va lui proposer bien davantage : son héritage terrestre, il pourrait en profiter peut-être quelques décennies tout au plus ; l’héritage éternel, il pourra en jouir sans fin. Il est ainsi, notre Dieu : il veut nous donner le meilleur, il veut nous combler, mais ce qu’il nous donne a toujours une portée éternelle ! Ayons bien conscience de cela quand nous lui demandons quelque chose : sa manière de nous répondre a toujours une portée éternelle !
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Vous tous, pèlerins du Laus, vous portez certainement des préoccupations de tous ordres. Il est d’ailleurs opportun, dans un sanctuaire marial, de savoir reconnaître quelles préoccupations nous habitent vraiment, pour laisser notre Mère de miséricorde les prendre en charge dans ses bras maternels. Nous avons tous des soucis, des peurs, des projets qui nous rendent fébriles ou des déceptions qui nous pèsent ; des problèmes de santé, de couple ou de famille ; des combats intérieurs, des tentations brûlantes, voire des désespoirs tenaces. C’est avec tout cela que vous avez gravi la pente qui mène au Laus, refuge des pécheurs.
Et dans ce refuge, vous rencontrez Benoîte, qui a vu pendant 54 années ce que seuls les yeux de l’âme sont capables de voir. Elle a accueilli cette part de la réalité qui n’est pas hors de notre monde, mais qui dépasse notre expérience sensible, pour nous aider à ne pas rester bloqués sur le seul visible, comme s’il constituait le tout de notre existence.
Venir en un lieu d’apparitions - que ce soit pour une session des familles, pour des vacances, pour une journée, ou pour un concert de chants corses[1] - c’est nécessairement s’ouvrir au plus essentiel de la vie. En nous centrant sur cet essentiel, nous sommes alors davantage capables de discerner le futile, l’accessoire, le provisoire.
Dans la première lecture, Ben Sirac a parlé de toutes ces réalités en les qualifiant de « vanité. » « Vanité des vanités, tout est vanité » : l’expression est bien connue, mais elle a pris une connotation morale que n’a pas, à l’origine, le terme hébreu. La « vanité », en hébreu, c’est soit la buée, soit la rosée ou la vapeur. C’est en tous cas quelque chose qui s’évapore rapidement et ne laisse plus rien derrière soi. Imaginez alors si nous courrons après les vanités ! Nous ne saisirons en main que de la vapeur, de la fumée.
Voyez alors l’importance de savoir discerner ce qui est « vanité », et comment certaines de nos préoccupations matérielles - et assurément toutes nos recherches de glorioles humaines ! - ne sont que vapeur, buée, fumée.
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Alors, j’ose à peine évoquer ici la façon dont la Vierge du Laus a préparé Benoîte à renoncer à toute forme de vanité. J’ose à peine le faire, parce que certains parmi vous connaissent par cœur cette histoire. Mais si jamais d’autres l’ignorent, il vaut sans doute la peine de rappeler ici l’épisode de la chèvre de Benoîte.
Nous sommes en 1664, la première année des apparitions. Et dès les débuts - sans doute pour disposer le fond de l’âme de Benoîte à toutes ces années de rencontres qui suivront - la Belle Dame va mettre la bergère à l’épreuve. Toute mère veut ses enfants heureux, mais d’un bonheur de liberté ; or, la Vierge Marie a remarqué que Benoîte avait un attachement excessif, qui la rendait esclave : elle était trop attachée à une chèvre.
Alors, la Belle Dame la lui demande : « "Me donneriez-vous un mouton, et cette chèvre ?" - "Belle Dame, pour le mouton, oui : je le compterai sur mes gages. Mais pour la chèvre, non : j’en ai besoin, elle me porte pour passer la rivière, quand elle est grosse ; vous ne l’auriez pas pour trente écus". La Dame lui répond qu’elle ne l’achèterait pas. Elle lui dit qu’elle aimait trop sa chèvre : elle lui donne des raisins et du pain ; qu’il valait mieux les donner à des pauvres[2] . »
Et vous, frères et sœurs, quelle est donc votre chèvre ? Cet objet, ce moyen de communication, cette relation, ce compte en banque pour lequel vous vous dites : « j’en ai trop besoin ». Et vous sentez au fond de vous-mêmes qu’il faut un détachement. Si vous ne le sentez pas suffisamment, relisez donc l’évangile d’aujourd’hui et son appel à des détachements salutaires, qui nous rendent libres pour le plus essentiel, pour les richesses qui se déploieront en vie éternelle !
Alors, quelle est donc votre chèvre ? Une fois clairement identifiée, si vous le voulez bien, avant de repartir du Laus, allez donc déposer cette chèvre dans la chapelle de Bon Rencontre, en réponse à Marie qui vous dit : « Me donneriez-vous votre chèvre ? »
Mais si ça vous paraît trop difficile, écoutez donc comment un enfant priait, sur la tombe de Benoîte, voici quelques semaines. Guidé par Thibaud, animateur à la session des familles, des enfants s’étaient agenouillés sur la tombe de Benoîte. Invités à dire une prière à la servante du Laus, l’un d’entre eux colla sa main sur la tombe et lui dit : « Benoîte, aide-moi à aimer Jésus comme tu aimais ta chèvre ».
Amen.
[1] Le chœur polyphonique de Sartène, présent à la messe, offre un concert l’après-midi de ce dimanche au Laus.
[2] Manuscrits du Laus, CA G. p. 9 V [55] – année 1664