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Sunday 17 July - 16ème dimanche du Temps Ordinaire
Action ou contemplation ? Communion ou division ?
Par le père Ludovic FrèreAïe, aïe, aïe… voilà bien un redoutable évangile à commenter ! Et je vous entends jusqu’ici en train de vous dire : « il va être pour qui, le Père Ludovic : pour Marthe ou pour Marie ? » Sans vouloir raviver de mauvais souvenirs récents, c’est comme dans un match de l’Euro de football : on choisit son camp ! En l’occurrence, ici : l’action ou la contemplation ; Marthe qui agit ou Marie qui reste assise aux pieds du Christ… Et l’on se demande quel maillot le prédicateur va revêtir : est-il supporter de Marthe ou de Marie ?
Eh bien, je dirais : Balle au centre ! Dans ce qu’on perçoit à tord comme un match où l’une doit l’emporter sur l’autre, balle au centre ! Et justement, au centre de cette histoire, la prise en compte essentielle de cette réalité : il s’agit d’une rencontre entre trois amis.
Si nous oublions que c’est l’amitié qui sous-tend l’ensemble de cet épisode, nous risquons de nous tromper sur la raison pour laquelle il nous est rapporté dans l’Evangile. Car nous serons seulement dans une logique de jugement sur les uns ou sur les autres. Nous pourrons alors trouver, par exemple, que Marthe est comptable de ce qu’elle prétend donner ; quant à sa sœur, c’est une fainéante qui a choisi la facilité. Et que dire de Jésus, dont certains pourraient trouver qu’il est un arbitre discutable du conflit qui germe entre les deux sœurs !
Rien de tout cela, bien entendu : ce sont des amis qui se parlent. Or, la marque la plus nette de la vérité d’une amitié, c’est certainement la franchise ; franchise pour le bien des autres et pour soigner la relation amicale, mais toujours dans une profonde affection, qui oriente la manière d’entendre les propos de chacun.
Comprenons-le donc bien : Jésus aime du fond du cœur Marthe, cette amie entière, dont la personnalité n’est pas sans nous faire penser à Benoîte Rencurel. Marthe va au devant de la vie, elle dit ce qu’elle pense et elle se retrousse les manches quand il faut agir. Alors, à l’instant où elle voit Jésus sur le pas de sa porte, pleine d’enthousiasme, elle se plie en quatre pour tout préparer. Il en faut, dans la vie, des gens comme ça, qui devant l’imprévu réagissent au quart de tour… mais quand on fréquente ce genre de personnes, il y a souvent de quoi être bousculé.
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Du cœur sincère d’une Marthe qui veut bien accueillir, nous allons pouvoir tirer une première conclusion, pour ne pas tomber dans le piège de croire que cet évangile appelle à préférer la contemplation à l’action, ou inversement. D’ailleurs, pour nous en convaincre aujourd’hui, l’Église nous a offert d’abord une première lecture, nous montrant que le souci de bien accueillir a quelque chose de divin.
Avez-vous entendu comment Abraham se comporte ? Il prépare « vite » tout ce qu’il faut, « court » jusqu’à son troupeau prendre un veau gras et « se hâte » de servir ses hôtes…. nécessairement, quand on veut bien accueillir des invités imprévus, on s’affaire en mille directions. Et comme pour Abraham, mystérieusement, c’est Dieu que l’on sert par tant de générosité !
Alors, s’il y a bouillonnement devant l’imprévu, c’est incontestablement préférable à une porte fermée ou à toutes les excuses qu’on peut se donner pour ne pas se laisser déranger par les autres. Abraham comme Marthe répondent à l’imprévu parce que leur cœur est ouvert à celui qui vient !
La question centrale n’est donc pas de chercher à déterminer s’il est mieux de servir ou d’écouter, d’agir ou de prier. À en rester là, nous succombons à la tentation de Marthe : nous comparons les comportements et nous reprochons des attitudes aux uns ou aux autres.
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Mais en fait, la véritable problématique de cette rencontre est dans l’absence de communion entre les deux sœurs. C’est à Jésus, et non à sa sœur Marie, que Marthe s’adresse : « Cela ne te fait rien que ma sœur me laisse seule à servir ? » Son agitation l’empêche d’offrir à sa sœur le statut de vis-à-vis, à qui elle peut parler en toute vérité. Elle n’est plus dans la relation fraternelle ; elle compare, jalouse, et cherche du soutien pour dénoncer sa soeur.
Il faut donc bien que Jésus intervienne, avec toute sa tendresse : « Marthe, Marthe ». Le lecteur doit ici veiller à bien prononcer la répétition de ce prénom. Certainement pas de manière agacée : « Marthe, Marthe, tu t’agites et tu t’inquiètes pour bien des choses », mais avec douceur, d’abord pour apaiser cette femme dans son agitation et l’aider à rompre avec son rythme de folie : « Marthe, Marthe ! »
En cette période estivale, nous avons peut-être bien besoin que Jésus nous dise la même chose. Laissez-le donc répéter en vos cœurs votre prénom, le dire à plusieurs reprises pour que vous calmiez en vous le jeu d’un accaparement, d’un souci, d’une jalousie qui vous envahit déraisonnablement. Allez-y : laissez votre prénom venir du cœur et de la bouche du Christ, pour qu’il vous dise et redise avec tendresse le prénom par lequel il vous reconnaît, vous aime et vous appelle à l’apaisement.
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Mais il y a encore plus que cela : dans son respect amoureux pour son amie Marthe, Jésus l’appelle à reconnaître qu’« une seule chose est nécessaire ». Quelle est donc cette seule chose nécessaire ? Pour le comprendre, n’oublions pas que cette parole est prononcée par le Sauveur, qui est en route pour Jérusalem. L’évangéliste nous l’a bien précisé au début de cet épisode ; et, au terme de ce chemin, nous savons que le Christ donnera sa vie pour le salut du monde. Il sera rejeté, humilié et mis à mort.
Une pause chez ses amies est donc pour lui un moment où il peut souffler et trouver ce réconfort qui lui manquera tellement dans quelques temps, à Jérusalem. En repensant alors à cette rencontre d’amitié, sans doute y puisera-t-il, au cœur de ses souffrances, des forces pour se relever de ses chutes sous le poids de la croix… Oui, l’amitié est un précieux soutien pour porter nos croix !
Mais le Christ ne fait pas ici que prendre des forces et du repos avant l’épreuve qui l’attend ; il annonce déjà à ses amies le terme de sa Passion. Là où il se rend, Jérusalem, ce sera la ville de son offrande totale, par laquelle il va nous ouvrir le chemin vers la Jérusalem céleste. Notez d’ailleurs que c’est à Béthanie, dans ce village où habitent Marthe et Marie, que saint Jean place logiquement la résurrection de leur frère Lazare et que saint Luc situe le récit de l'Ascension du Seigneur. Ce petit village amical annonce la victoire éclatante de la Vie, pour l’éternité !
Vous percevez alors combien nos regards doivent s’élever ? Nous ne sommes pas ici dans une simple leçon de savoir-vivre, mais dans une entrée dans le mystère de la Passion et de la Résurrection du Christ.
« Marthe, Marthe, tu t’agites et tu t’inquiètes pour bien des choses » prend alors une dimension particulière : pourquoi nous inquiéter pour tant de choses, alors que le Fils de Dieu est allé jusqu’à Jérusalem pour donner sa vie et nous établir déjà dans son Royaume éternel ? Une seule chose est alors nécessaire : savoir que nous sommes faits pour l’éternité.
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Cette révélation de notre vocation éternelle ne rend pas nos services terrestres insignifiants, mais les ouvre à ce qu’ils doivent préparer pour l’éternité : la communion de nous tous en Dieu ! Déjà, nous sommes des ressuscités, c’est-à-dire que se vit déjà en nous le mystère de communion qui sera le cœur de la vie éternelle. La priorité n’est alors pas de s’agiter dans la vie, mais de travailler à la communion entre nous, dans le Christ Jésus.
Bien évidemment, cette communion peut se vivre autant par une prière que par un service, là n’est pas la question. Ou plutôt si, justement, là est la question : il y a des prières qui ne sont pas pour la communion, quand on pense juste à soi, pour se faciliter l’existence. Il y a aussi des services qui ne sont pas pour la communion, quand on veut seulement en mettre plein la vue aux autres.
Il ne s'agit donc pas que Marthe se transforme en Marie, il ne s'agit pas qu'elle arrête de rendre service et de vouloir réjouir son hôte. Il ne s’agit pas davantage que Marie cesse d’écouter la Parole de Jésus et s’éloigne de cette belle proximité qu’elle a trouvée avec lui. Mais toutes les deux doivent vivre leur choix en communion l’une avec l’autre.
Que la grâce de cette Eucharistie, sublime mystère de communion, nous guide alors au cours de cette semaine dans une vie d’action ou de contemplation, peu importe, mais en tous cas, dans une vie qui construise avec génie la communion, qui la soigne avec délicatesse, et qui la protège de toutes les stupides tentations de division.
Ô viens, Esprit d’unité ! Saisis donc l’assemblée que nous formons ce dimanche et fais de nous tous un seul corps, dont la diversité des membres se soude toujours davantage par la grâce eucharistique, pour être en communion les uns avec les autres, dès maintenant et pour les siècles des siècles. Amen