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dimanche 20 avril - Saint jour de Pâques
À qui le dernier mot ?
Par le père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Frères et sœurs, permettez-moi cette question peut-être un peu incongrue en ce matin de Pâques : est-ce que vous aimez les cimetières ?
Pour certains, ce sont des lieux de paix, de mémoire et de souvenirs. Pour d’autres, ils sont inquiétants, lugubres ou trop pesants à parcourir parce qu’ils rappellent un deuil trop lourd à vivre.
Les cimetières parlent de la vie de ceux qu’on a enterrés là, et qui sont souvent résumés à deux dates seulement : celle de leur naissance et celle de leur mort, avec autour parfois quelques témoignages de "regrets éternels". Les cimetières réduisent notre existence à un début et à une fin, décorés de quelques signes d’affections, en forme de plaques ou de fleurs.
Mais sommes-nous vraiment destinées à finir ainsi, bien rangés dans des trous avant qu’on nous oublie et qu’on y mette quelqu’un d’autre ?
* * *
A cette grave question, ce matin de Pâques répond en nous faisant aller, tous ensemble, dans le jardin d’un cimetière. Nous y voyons une femme qui se met à courir dans un sens, et bientôt deux hommes dans l’autre sens. Voyons, on ne court pas dans les cimetières, ce n’est pas respectueux ! Si encore c’étaient des gamins ; mais de ces deux hommes, si l’un a l’air plutôt jeune, l’autre avec sa barbe blanche n’est pas très loin de rejoindre ceux qu’il vient déranger par sa course matinale !
Suivons donc ces deux pressés. Leur apparent irrespect devant la mort s’explique peut-être, comme s’ils percevaient que la mort n’était pas à regarder de manière figée… ces hommes en mouvement semblent porteurs d’autre chose, comme une bonne nouvelle qui concernerait notre destinée mortelle.
En les suivant, nous arrivons devant une tombe. D’apparence neuve, elle vient visiblement de servir. Mais pourquoi est-elle ouverte ? Y aurait-il eu profanation ? D’une certaine manière, oui, il y a eu profanation : non pas qu’un élément étranger soit venu perturber le sommeil de ce mort, mais c’est lui qui s’est révélé comme l’élément étranger à la mort. On n’a pas perturbé son repos, c’est lui qui a perturbé le cours ordinaire de la mort ; que dis-je, perturbé ? Il l’a bouleversé, renversé, réduit à néant.
* * *
Pour cela, regardez nos deux coureurs : ils s’arrêtent devant la tombe. C’est normal : la mort arrête notre course, à nous tous. La mort ne peut être niée, même par ceux qui oublient qu’ils sont mortels : elle arrête la course de toute existence.
Mais de ces deux hommes, le plus ancien, un prénommé Simon-Pierre, ne se laisse pas arrêter. Il décide d’entrer. Ça ne doit pas être très agréable d’entrer dans une tombe ; on ne sait pas trop pourquoi, mais la mort nous inquiète au point qu’on imagine qu’il puisse y avoir de l’inattendu, de l’effrayant quand on entre dans un tombeau. La mort fait peur, c’est certain. Qui n’a pas peur de la mort n’a pas conscience de la mort.
Mais cette peur ne va pas l’emporter sur les deux hommes : ils entrent l’un après l’autre. Le plus ancien en premier… sans doute le plus courageux, à moins qu’il ne soit celui qui avait déjà fait une certaine expérience de mort. Et c’est vrai, trois jours plus tôt, il avait comme creusé sa propre tombe, une tombe de honte, en ayant trahi son ami par les mots les plus durs qu’une amitié puisse entendre : « je ne connais pas cet homme ».
Mais Pierre avait compris qu’il ne devait pas rester enfermé dans la tombe de son péché ; il avait déjà repris pieds, au point de pouvoir courir ce matin. Et, dans le tombeau vide, il comprend tout de suite qu’avec la mort aujourd’hui bernée, c’est aussi son mal qui a été vaincu.
Le mal et la mort n’ont plus le dernier mot : voilà notre joie en ce saint Jour de Pâques !
* * *
Le mal et la mort n’ont plus le dernier mot de nos existences.
On devrait donc refuser, comme chrétien, d’écrire sur nos tombes la date de notre mort, car nous ne mourrons pas ! Bien sûr, la réalité physiologique de la mort, nous la vivrons, sauf si le Christ revient en gloire auparavant ; nous la vivrons, mais elle n’aura pas le dernier mot. Que les marbriers écrivent donc des points de suspension sur nos pierres tombales, car la mort n’aura pas le dernier mot, elle ne sera pas la date de notre fin.
Sachons nous le redire aujourd’hui ; sachons le croire pour ceux qui nous ont déjà quittés ; sachons offrir nos prières ferventes pour ceux qui risquent de manquer ou de trop différer la rencontre éternelle avec le Vivant : la mort n’aura pas le dernier mot !
Et si la mort n’a pas le dernier mot, saurons-nous en trouver d’autres, de mots, pour dire la victoire de la vie ? Si la mort n’a pas le dernier mot, n’est-ce pas notre existence toute entière qui doit en témoigner ? N’est-ce pas chacun de nos actes qui doit le crier ? Nous sommes faits pour la vie qui s’épanouira en éternité ! Il faudrait en témoigner à chaque seconde, à chaque battement de nos cœurs : nous sommes faits pour la vie, Dieu nous donne SA vie !
Soyons donc vraiment vivants, généreusement vivants ! Et tirons-en cette conséquence incontournable : si la mort n’a pas le dernier mot, le mal non plus n’a pas le dernier mot. Ne lui laissons donc pas la parole !
Mais comme il est bavard, ce mal, dans nos pensées, nos paroles et nos actes ! Comme il est bavard… alors qu’il n’a plus le dernier mot, il faudrait aussi qu’on lui refuse le premier ! « Vous êtes ressuscités avec le Christ, nous a dit saint Paul dans la deuxième lecture, recherchez donc les réalités d’en haut ». L’apôtre ne nous invite pas à planer loin de la terre ; il nous appelle à concrétiser cette vérité déterminante : le mal et la mort ont été vaincus ! Est-ce que ça se voit dans notre quotidien ? Est-ce que ça se voit dans tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons, tout ce que nous pensons ?
* * *
Sachons donc nous le redire sans cesse au cours de ce saint Jour : le mal et la mort ont été vaincus ! La tombe est vide, les linges qui couvraient le défunt ont même été soigneusement pliés, dit l’évangéliste, comme si l’on pouvait les ranger puisqu’ils ne serviront plus. Le vêtement de deuil ne servira plus !
« Jérusalem, quitte ta robe de tristesse », disait le Seigneur par la voix du prophète Baruch (Ba 5,1). Quitte ta robe de tristesse ! Comme Alexandre, baptisé ici au cours de la nuit pascale, revêtons sans cesse nos vêtements blancs de ressuscités !
Quittons nos robes de tristesse, nos complicités mortifères avec le mal et nos pensées de mort : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité, Alléluia ! Amen.