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Sunday 26 February - Homélie du 1er dimanche de carême, année B
"40 jours pour nous consolider"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Chaque année, le 1er dimanche du Carême nous offre de méditer l’Evangile des tentations de Jésus au désert. Ces quarante jours de jeûne, de prière, de lutte et de victoire sur le démon donnent nécessairement une orientation décisive pour vivre les quarante jours de notre préparation pascale.
Mais, alors que les évangélistes saint Matthieu et saint Luc présentent chacun trois tentations successives, qui permettent un véritable examen de conscience au seuil du Carême, saint Marc, que nous entendons cette année, ne donne aucune précision sur le contenu des tentations du Christ.
Cette simple phrase : « dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan » nous révèle que, pour saint Marc, l’accent de ce temps de désert n’est pas de nous aider à relire notre vie à la lumière des résistances du Christ, mais de redécouvrir ce que veut dire : être sauvé.
Pour cela, ce qui intéresse l’évangéliste, c’est surtout l’enchaînement des événements : « Jésus venait d’être baptisé », précise-t-il. Puis aussitôt, il est tenté par Satan pendant quarante jours ; ensuite Jean-Baptiste est arrêté, et alors Jésus part proclamer la Bonne Nouvelle.
Cet enchaînement ne raconte pas seulement une histoire ; il donne toute la clé du temps du Carême.
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Il y a d’abord ce petit mot : « aussitôt » qui marque l’enchainement immédiat et le lien logique entre le baptême de Jésus et les tentations au désert. Autrement dit : les tentations doivent être lues comme un déploiement de la révélation faite au baptême.
Le Père s’était alors adressé au Christ en disant : « Tu es mon Fils bien-aimé ». Dans les tentations, Jésus va résister, attestant ainsi que rien n’est plus fort pour lui que ce lien qui l’unit au Père. Rien, pas même la faim, pas même la tentation du pouvoir, pas même la perspective d’échapper à la souffrance de la croix : rien ne sera jamais plus fort que le lien qui l’unit à son Père, parce qu’il est le Fils éternel tout donné à celui qui lui donne tout, dans la communion de l’Esprit-Saint.
Ce prolongement du baptême dans l’épisode des tentations insiste alors sur l’union intime du Christ à son Père, et nous invite à faire de notre Carême un approfondissement, nous aussi, du lien qui nous unit au Père. Plongés avec le Christ dans l’eau du baptême pour renaître avec Lui à la vie nouvelle, nous avons été adoptés par le Père ; à nous désormais de maintenir ce lien, qui est l’œuvre de la grâce bien sûr, mais qui appelle aussi notre fidélité et notre résistance aux tentations de vivre hors du projet de Dieu.
Les 40 jours du Carême sont donc 40 jours de consolidation de nos liens avec Dieu, sans quoi nous vivrons les fêtes pascales de manière trop superficielle, et par-delà ces fêtes, c’est toute notre vie qui restera instable, mouvante, sans fondement.
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Ce lien vital et fondamental, c’est dans la Pâque du Christ qu’il va être définitivement scellé : le Carême nous prépare ainsi à accueillir la nouvelle Alliance en son sang. Revivant au terme du Carême la dernière Cène, la crucifixion, le silence de la mort et la joie de la résurrection, nous allons dans 40 jours, être replongés dans l’Alliance nouvelle éternelle. Et de cela aussi, l’évangile des tentations au désert est le témoin, pour nous préparer résolument à Pâques et nous rappeler que le Carême n’a pour ainsi dire aucun sens s’il n’est vécu comme un élan vers ces jours de renouvellement d’Alliance.
Pour nous le faire comprendre, saint Marc dit du Christ que « l’esprit le pousse au désert ». Le terme est même un peu trop doux ; il serait plus précis de traduire : « l’esprit le jette au désert ». Cette traduction, qu’on peut trouver trop violente, permet de saisir davantage le rapprochement implicite entre le Christ au désert et le bouc émissaire, décrit dans le livre du Lévitique en ces termes : sur ce bouc, on portera « toutes les fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé le bouc, on l’enverra au désert (…) et le bouc emportera sur lui toutes les fautes en un lieu aride » (Lev 16, 21-22).
De manière évidente, Jésus-Christ est le nouveau bouc-émissaire : le bouc-émissaire définitif et volontaire. C’est lui qui choisit de porter sur la croix tous les péchés du monde, comme nous le célèbrerons au jour du vendredi saint, et comme nous nous y préparerons chacun des vendredis de Carême, des journées qui ne peuvent pas être comme les autres.
Jésus, jeté au désert après son baptême, est donc ce bouc, portant sur lui tout le péché de l’humanité pour l’emmener dans un « lieu aride », afin de le faire disparaître. Vainqueur des tentations, il anéantit, pour ainsi dire, toutes nos fautes au désert, comme une préfiguration de tout le péché qu’il clouera sur la croix.
Les tentations au désert sont donc un appel pour nous à prendre conscience de cette victoire du Christ, et à nous y associer en nous préparant à Pâques par le Sacrement du pardon. Car c’est là , au plus haut point, que nous bénéficions de cette victoire du Christ, qui a emporté le péché sur ses épaules pour le réduire à l’impuissance.
« Faire ses Pâques », comme on ne dit plus guère, ce n’est pas se mettre en règle pour avoir le droit de vivre les fêtes pascales ; mais c’est expérimenter, au plus profond de notre âme blessée par le péché, que déjà ce péché n’a plus de poids au regard de l’amour déployé par celui qui l’a cloué sur la croix. Vivons le sacrement de pénitence et de réconciliation aussi comme une action de grâce au Christ qui a anéanti le pouvoir du péché, comme il a anéanti la puissance de la mort.
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Cette victoire du Christ se trouve justement exprimée par saint Marc en ces termes : « il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages ». En sa personne se réalise déjà la cohabitation pacifique qu’annonçait cette prophétie d’Isaïe : « le loup habitera avec l’agneau ». Christ est le bouc émissaire, mais aussi l’Agneau innocent.
En lui, juste après son baptême annonçant la plongée de l’humanité pécheresse dans l’eau qui purifie, déjà, le loup habite avec l’agneau : les bêtes sauvages côtoient l’Agneau de Dieu. Plus aucun doute n’est possible : celui que le Père avait présenté au baptême comme son Fils bien-aimé vient sauver le monde en réconciliant toute la création. Les bêtes sauvages sont toutes proches de l’Agneau de Dieu, le désert n’est plus aride et stérile, la mort n’est plus la fin. Les 40 années d’infidélité du peuple hébreu au désert sont remplacées par les 40 jours de fidélité totale du Christ, nouveau Moïse qui nous conduit en terre promise.
Telle est la Bonne Nouvelle que Jésus part proclamer juste après son séjour au désert : Bonne Nouvelle de la victoire de la vie, même lorsque les apparences semblent indiquer le contraire. Car c’est seulement « après l’arrestation de Jean-Baptiste », dit saint Marc, que Jésus part proclamer que les temps sont accomplis. L’arrestation de Jean-Baptiste, c’est la première étape vers sa mise à mort, quand sa tête sera apportée sur un plateau, en récompense d’une séduction.
Jean-Baptiste emprisonné et bientôt mort, c’est l’apparente victoire de la séduction du tentateur. Mais comme, au désert, ce tentateur n’avait pas réussi à séduire le Christ, une victoire nous est présentée en filigrane : la mort ne l’emportera plus et la Bonne Nouvelle peut déjà être annoncée : « les temps sont accomplis ».
Les 40 jours du Carême sont donc ainsi un moment favorable pour savoir regarder par-delà les apparences. Savoir accueillir par-delà les souffrances et l’œuvre de la mort, la victoire du Christ que nous chanterons dans l’Alléluia du matin de Pâques.
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Voilà ce qu’est le Carême : 40 jours pour aller au-delà des apparences. 40 jours pour consolider le lien qui nous unit au Père. 40 jours pour vivre plus intensément, en nous et entre nous, la victoire du Seigneur, bouc émissaire et Agneau innocent. 40 jours pour montrer que nous y croyons, en ne laissant pas le démon se réjouir de nos chutes dans le péché. 40 jours au désert, bien moins longs que les 40 ans du peuple hébreu, peinant à gagner la terre promise. Elle est donc pour nous toute proche, cette terre de paix et d’abondance : n’ayons pas peur, avec le Christ, de traverser le désert pour y entrer. Amen.
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