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Dimanche 28 juin 2020 – 13e dimanche du temps ordinaire
Dimanche 28 juin 2020 – 13e dimanche du temps ordinaire
Pèlerinage des motards
Homélie du père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Qui aime sa moto plus que moi…
« Celui qui aime sa moto plus que moi n’est pas digne de moi ». Pardon extrapoler ainsi les paroles du Christ, mais Lui-même ne nous appelle-t-il pas, par l’Esprit Saint, à nous approprier l’Évangile dans le concret de nos vies personnelles ?
Ainsi, en fêtant aujourd’hui les motards, notre sanctuaire met en valeur une passion ; passion qui renvoie chacun à ses propres passions pour un sport ou pour un art. Mais aussi la passion d’amour, la passion pour ses proches… C’est bon d’être passionné ! On connaît cette parole du philosophe Hegel : « rien de grand dans le monde ne s’est fait sans passion ». La passion est le grand moteur de notre vie !
Le Seigneur attend donc certainement des humains passionnés, des disciples passionnés ! Et si l’on vit aujourd’hui un pèlerinage des motards, si l’on proposera en fin de messe une bénédiction des motos, c’est bien pour reconnaître qu’il est bon d’avoir des passions et d’aimer se retrouver entre passionnés. À n’en pas douter : tout cela, le Seigneur le bénit !
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Mais justement, si l’on appelle la bénédiction de Dieu sur une passion, c’est d’abord pour que cette passion reste à sa juste place. Que ce soit la moto, un sport, un jeu, une collection, une passion peut vite devenir envahissante. Elle peut prendre beaucoup de temps, engloutir beaucoup d’argent. Jusqu’à de grands excès : les sorties à moto l’emportent alors sur le temps accordé à la famille… ou sur la messe dominicale.
Jésus vient donc aujourd’hui interroger les priorités de nos cœurs : vous, amis motards, savez-vous apprécier la moto sans qu’elle prenne trop place dans votre vie ? Ou vous qui avez d’autres passions, savez-vous les laisser aussi à leur juste place ?
Pèlerins du Laus, vous connaissez certainement déjà ce passage emblématique de la vie de Benoîte, où la bergère avait, pour ainsi dire, sa passion à elle, pour une sorte d’ancêtre de la moto. Une moto sans moteur, qu’elle chevauchait avec plaisir… c’était sa chèvre.
Que Benoîte soit attachée à ce qui était pour elle plus qu’un véhicule, il n’y a pas de souci à cela. Mais que cet attachement devienne excessif, et la Vierge Marie intervient pour que la bergère en prenne conscience et qu’elle s’en libère. Elle s’approche donc de Benoîte et lui dit : « Me donneriez-vous votre chèvre ? »
Alors, si votre passion est excessive, si vous y consacrez trop d’argent, trop de temps, si elle vous ferme à vos proches, si elle vous éloigne de Dieu, laissez ici la Vierge Marie mettre en lumière cet excès. Entendez-la vous dire : « me donneriez-vous votre moto ? »
Un tel appel au détachement n’est ni facile ni agréable. Demandez à Benoîte, elle vous dira si ça lui a fait plaisir quand la Belle Dame lui a réclamé sa chèvre ! « J’en ai besoin », a objecté la bergère. « Vous ne l’auriez pas pour trente écus », dit-elle encore pour négocier comme on le fait d’une moto d’occasion. « Je ne vous l’achètera pas, répond la Belle Dame, mais vous aimez trop votre chèvre. Le pain et le raisin que vous lui donnez, vous feriez mieux de les donner à des pauvres ». Et voilà Benoîte appelée à faire la lumière sur ce qui habite son cœur et à laisser Marie le réorienter pour qu’il ne s’éloigne pas des autres.
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Ah ! « Celui qui aime sa chèvre plus que moi n’est pas digne de moi », « celui qui aime sa moto plus que moi n’est pas digne de moi », « celui qui aime son fils, sa fille, sa femme plus que moi n’est pas digne de moi ». De quelle dignité s’agit-il alors ? De la dignité des enfants de Dieu, que le Christ nous a acquise par son offrande et sa mort sur la croix. C’est la dignité qui fait de nous des femmes et des hommes vraiment libres. Une dignité que Dieu respecte trop pour nous abandonner à nos esclavages. Alors, le Seigneur pointe du doigt ce qui peut nous fermer à Lui, aux autres, à la vraie joie, à la vie éternelle. Car notre Dieu nous veut vraiment libres !
Alors, posez-vous la question : êtes-vous vraiment libre à l’égard de votre moto ? Libre d’en profiter et libre de la prêter ? Libre de l’avoir et libre de vous en passer ? C’est seulement en voulant cette liberté que nous nous gardons de mettre nos cœurs dans les réalités terrestres, toutes ces réalités qui ne font que passer.
C’est la clé de la sagesse, la clé d’une existence sereine, la clé d’une vie dont les racines sont dans le Ciel. C’est la clé d’une juste relation à tous les biens matériels, mais aussi d’un juste rapport aux autres, même avec ses parents et ses enfants : « Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. »
Amis motards, si votre passion vous réjouit au point de contribuer à votre équilibre psychoaffectif, grand bien vous fasse ! Restez passionnés pour la moto ! Si elle vous rend meilleurs, si elle vous dispose à vous donner davantage aux autres, restez passionnés pour la moto ! Si votre bécane vous conduit vers les autres, si elle vous amène jusqu’à la messe, restez passionnés pour la moto !
Mais si elle vous rend nerveux, qu’elle vous enferme ; si la moto vous conduit à devenir sourds aux besoins des autres ou si elle vous empêche de pratiquer votre foi, jetez-là dans la première décharge que vous trouverez en repartant d’ici. Ce sera la meilleure des choses à faire ! Ce sera le plus grand service que vous vous rendrez à vous-mêmes.
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Mais, rassurez-vous : il n’est sans doute pas nécessaire d’en arriver là. Au sanctuaire du Laus, avec l’exemple de Benoîte, nous comprenons que la libération s’obtient en plaçant tout dans les bras de Marie. C’est le sens de cette belle consécration que saint Louis-Marie Grignon de Montfort a rédigée du temps de Benoîte, et qu’une foule innombrable de chrétiens ne cesse de reprendre depuis-lors. Je cite :
Nous vous choisissons aujourd’hui, ô Marie, en présence de toute la cour céleste, pour notre Mère et notre Reine. Nous vous livrons et consacrons, en toute soumission et amour, nos corps et nos âmes, nos biens intérieurs et extérieurs, et la valeur même de nos bonnes actions passées, présentes et futures, vous laissant un entier et plein droit de disposer de nous, et de tout ce qui nous appartient, sans exception, selon votre bon plaisir, à la plus grande gloire de Dieu, dans le temps et l’éternité.
Quelle prière engageante, n’est-ce pas ? Or, il se trouve que, pendant le confinement, certains amis responsables de l’association des motards chrétiens, ici présents aujourd’hui, nous avaient contactés au sanctuaire, pour envisager une consécration mariale en ce jour. Finalement, les circonstances du confinement - et plus encore la perspective de l’année mariale qui va commencer ici début septembre - nous ont invités à procéder autrement.
À tous les motards – et pour les non-motards, libre à vous de transposer la proposition à une autre passion, à vos biens matériels, à vos projets d’avenir ou à vos relations aux autres - il est proposé, à partir d’aujourd’hui, une année de préparation à la consécration mariale, pour qu’elle prenne tout son sens et ne soit faite à la légère.
Ainsi, dans un an, vous pourrez dire à la Vierge Marie que vous lui consacrez vos biens intérieurs et extérieurs, donc aussi votre moto, lui laissant « un entier et plein droit de disposer de ce qui vous appartient, sans exception ». Ce n’est quand même pas rien ! Vous voyez qu’il faut bien un an pour s’y préparer, afin de ne pas faire mentir les paroles de cette consécration.
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Une consécration mariale pour que tout soit à Dieu, car tout ce qu’on donne à Marie, elle le place directement dans le cœur de son Fils. Amis motards, votre moto n’est donc pas votre moto. C’est la moto que le Christ vous a confiée. Il vous l’a confiée pour vous rapprocher des autres, pour contempler la nature ou pour trouver dans cette passion votre équilibre humain.
Mais ça n’est pas votre moto, pas plus que votre mari n’est votre mari, que vos enfants ne sont vos enfants, que vos charismes ne sont vos charismes. Tout est à Dieu, et c’est Lui qui nous confie tout en gérance. Votre moto, c’est Jésus qui vous la prête. Recevez-la de son cœur et des bras de Marie. Ainsi, votre passion pourra vraiment refléter quelque chose de celle du Christ. Car la seule Passion qui éclaire toutes les autres, c’est celle qu’il a vécue le vendredi Saint. Il a alors tout donné, et nous avons reçu la vie éternelle. Depuis-lors, tout ce qui n’est pas donné est perdu, tout ce qui n’est partagé pourrit, tout ce qui est convoité garde un goût amer. Recevez donc tout du Seigneur, et vous serez de véritables passionnés ! Amen.