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Sunday 3 March - 3ème dimanche de carême - Année C
Si vous ne vous convertissez pas...
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuairePour ce troisième dimanche de Carême, l’Eglise nous offre deux enseignements du Christ. S’ils sont effectivement présentés successivement au chapitre 13 de saint Luc, ils n’en demeurent pas moins très différents, au point que la lecture d’un des deux passages aurait été déjà suffisant pour nourrir notre méditation de ce dimanche.
Le premier enseignement concerne la question fondamentale des catastrophes. Qu’il s’agisse de drames aux causes humaines (comme le massacre par Pilate) ou de drames accidentels (comme la chute de la tour de Siloé), cet enseignement rejoint tous nos « pourquoi » devant l’inacceptable souffrance.
Le deuxième enseignement est quant à lui une parabole, celle du figuier stérile. On comprend que le propriétaire est l’image de Dieu le Père, espérant de son arbre un fruit qui ne vient pas. Et le serviteur, c’est le Christ, soignant cet arbre dans l’espoir qu’il vienne à donner du fruit ; enfin, ce figuier c’est bien sûr chacun de nous, planté dans la terre de la vie quotidienne.
Deux enseignements bien différents, donc, tant dans leur forme que dans leur contenu. Mais si l’Eglise a voulu nous les présenter ensemble, pour éclairer notre marche vers Pâques, c’est certainement qu’ainsi reliés, ils nous offrent un message essentiel pour ce Carême.
D’abord, quand il évoque les catastrophes, Jésus nous montre clairement qu’il ne vient pas assouvir notre curiosité du « pourquoi ». Bien entendu, nos « pourquoi » sont légitimes. Ils sont certainement une saine réaction de refus du mal et de la mort ; ils sont aussi sans doute nécessaires pour faire un deuil ou pour ne pas baisser les bras par fatalisme.
Mais le Christ nous révèle que nos « pourquois » n’ont bien souvent pas de réponse : pourquoi un enfant qui meurt dans un accident ? Pourquoi une mère de famille qui décède du cancer ? Pourquoi un tremblement de terre ici, un tsumani ailleurs ? A chaque annonce d’un drame, surtout quand il nous touche de près, ce « pourquoi » revient à notre esprit.
Et bien souvent, il s’accompagne de reproches faits au Seigneur : pourquoi as-tu laissé faire ? Tu ne pouvais donc pas intervenir ? Où est-elle, ta toute-puissance ; où est-il, ton amour pour tes enfants ? Au terme de ce Carême, vendredi saint, le Christ lui-même criera vers le Père : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Si le Fils de Dieu lui-même, portant sur la croix toutes nos souffrances, crie son « pourquoi », c’est sans doute que cette question n’a d’autre réponse véritable que la croix elle-même.
Or, la croix ne cesse de nous déconcerter. Notre premier étonnement, c’est l’exhortation du Christ que nous venons d’entendre : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même ». Certes, cette remarque surprenante est précédée d’une première plus facile à accueillir, quand le Christ interroge : « Pensez-vous que ces victimes étaient plus coupables que les autres ? - En bien non », répond-il sans hésitation. Le Seigneur coupe ainsi court à toute pensée d’une punition divine, qui reste encore parfois présent en nous quand nous nous disons : « qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour qu’il m’arrive ceci ou cela ? ». Non, on ne subit pas de drame parce qu’on aurait été plus pécheur que ceux à qui rien n’arrive. Les choses sont claires de ce côté-là.
Mais elles restent obscures, d’un autre côté, puisque le Christ continue en disant : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière ». Voilà qui semble parfaitement contredire ce qu’il a affirmé auparavant : il nous a dit que les pécheurs ne sont pas punis par des catastrophes. Mais il enseigne maintenant que, sans conversion, nous mourrons dramatiquement.
La cohérence entre ces deux affirmations nous invite donc à bien comprendre la vérité qui nous est ici révélée : « périr de la même manière » ne concerne pas les modalités de cette mort, par assassinat ou par chute d’une tour ; il s’agit plutôt de voir que la mort est tombée sur les victimes à l’improviste, sans qu’ils ne s’y attendent.
Alors, si vous ne vous convertissez pas, votre regard ne sera pas correctement orienté vers ce qui demeure ; vous ne serez pas prêts à mourir, pas en paix pour accueillir votre Sauveur. Si le Seigneur insiste à ce point sur l’urgence de la conversion, c’est que nous vivons sans doute trop souvent comme si les accidents, les maladies et tous les autres drames n’arrivaient qu’aux autres. Comme si la mort ne pouvait nous atteindre, ou pas maintenant. Nous reléguons alors la perspective de la fin de la vie à un « plus tard » qui nous fait reléguer l’exigence de conversion, elle aussi à plus tard.
Sauf quand une annonce dramatique vient mettre violemment cette réalité sous nos yeux, nous ne vivons certainement pas assez dans la conscience que la vie humaine est fragile : elle peut se terminer du jour au lendemain. Peut-être ne verrons-nous pas la fin de cette journée. Il n’y a pas à le craindre ; il y a juste à nous convertir !
N’attendez pas plus tard, ne pensez pas que vous avez des choses plus importantes à faire que vous convertir : il y a une véritable urgence, un rendez-vous à ne pas manquer, une vie de ressuscités à habiter dès maintenant.
Et c’est là qu’un lien intéressant peut être fait avec le deuxième enseignement de ce dimanche : s’il y a une urgence à nous convertir, le Christ fait cependant intervenir un délai. Montrant le figuier stérile, il demande au propriétaire : « Seigneur, laisse-le encore cette année ». La Miséricorde de Dieu manifestée en Jésus-Christ nous offre un délai pour palier notre manque de conscience qu’il y a urgence. Un délai, comme ce temps du Carême : 40 jours d’une durée favorable à la conversion.
La Miséricorde nous offre ainsi le temps nécessaire à la perception qu’il n’y a plus de temps à perdre pour nous convertir. Mais elle nous révèle aussi ce qu’est cette conversion : autant le premier enseignement insistait sur notre responsabilité personnelle pour prendre conscience de la nécessité de changer, autant ce deuxième enseignement nous montre que la conversion est l’œuvre de la grâce : « laisse-le encore cette année, le temps que je bêche autour pour y mettre du fumier », dit le serviteur, image du Christ.
Oui, c’est le Seigneur lui-même qui bêche notre terre et qui y met de l’engrais, pour que nous puissions porter du fruit. Il ne s’agit donc pas de nos petites forces, mais de notre accueil des bons produits que le Christ nous offre pour notre fécondité : ses sacrements, sa Parole, sa charité qui doit circuler entre nous… Autant de bons engrais pour que nous portions du fruit.
Ainsi, la conversion nous est d’abord révélée comme une prise de conscience (c’est le premier enseignement), mais pour laisser la grâce agir en nous (c’est le deuxième enseignement). La conversion, c’est la reconnaissance de la fragilité de la vie (premier enseignement), mais pour nous conduire à une surabondance de vie (deuxième enseignement). La conversion, c’est nous savoir mortels (premier enseignement) de manière à laisser agir celui-là seul qui a traversé la mort (deuxième enseignement).
Alors, convertissons-nous ! Et si, par le passé, notre figuier n’a pas toujours porté de fruit, ne concluons cependant pas qu’il ne pourra en donner à l’avenir. Croyons en l’avenir, il est dans les mains de Dieu et il nous mène à Lui. « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous », dit saint Paul. Soyons de joyeux sauvés ! N’enfermons pas les autres et ne nous enfermons pas nous-mêmes dans les stérilités et les morts du passé : croyons qu’il est possible, par l’œuvre de la grâce, de porter un fruit nouveau. Et de le porter dès maintenant, non pas demain.
Convertissez-vous.
Amen.