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Sunday 23 October - Homélie du 30e dimanche du TO
"Aimer Dieu, aimer par Dieu, aimer pour Dieu"
Par le Père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
« Un docteur de la Loi posa une question à Jésus pour le mettre à l'épreuve ». Cet homme est-il vraiment motivé par le désir de tendre un piège au Seigneur, ou cherche-t-il quand même la vérité ? Car elle est excellente, sa question : « quel est le plus grand commandement ? » Par cette quête du « plus grand », le docteur de la loi semble vouloir déterminer un principe unificateur de la vie et de la foi.
Or, la religion qu’il servait répondait paradoxalement à cette recherche d’unification de la réalité en la fragmentant en une série de règles - 613 exactement – qu’il fallait respecter scrupuleusement. Ces règles avaient bien sûr de grandes valeurs, certaines s’enracinant directement dans la Parole de Dieu. Mais, inévitablement, l’une ou l’autre risquait d’être oubliée, ou du moins accomplie imparfaitement, ou sans implication du cœur. Comment éviter alors de dissoudre la religion en un ensemble de règles impersonnelles ? Comment se prémunir de transformer le formidable élan de foi en un tourment scrupuleux ?
Le Seigneur Jésus, qui connaît le fond des cœurs, n’est certainement pas dupe de l’intention mauvaise de ce docteur de la loi. Mais justement, parce qu’il connaît nos cœurs humains, le Christ sait que nous avons tous, de manière plus ou moins avouée, une soif de vérité et de sens.
Alors, plutôt que d’accuser ce docteur de perfidie, Jésus lui répond : « voilà le grand, le premier commandement ». Un « double-premier », si l’on peut dire : l’amour de Dieu et l’amour du prochain.
« Tout ce qu’il y a dans l’Ecriture, précise Jésus, dépend de ces deux commandements ». Nous connaissons l’enseignement qu’en tirera saint Paul, par ces mots bouleversants : « j’aurais beau avoir la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, cela ne sert à rien » (1 Co 13,2). Sachons bien écouter : s’il nous manque l’amour, notre foi ne sert absolument à rien. Saint Paul reconnaîtra de la même manière : « J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien » (1 Co 13,3).
Il ne s’agit donc pas de voir l’amour comme le perfectionnement de chacun de nos actes, mais comme leur racine la plus profonde. Et nous devons être honnêtes envers nous-mêmes pour discerner, quand nous posons un acte, si c’est vraiment la charité qui nous motive.
* * *
Pour nous faire comprendre cette réalité essentielle, Jésus développe le commandement de l’amour en deux directions, absolument indissociables : l’amour de Dieu et l’amour du prochain.
Concrètement, il s’agit pour nous d’être tellement unis au Seigneur, tellement amoureux de sa présence en nous, que nous ne puissions faire autrement que nous demander, dans les décisions les plus concrètes : « qu’est-ce que Jésus ferait à ma place ? »
J’ai eu la grâce, au début de ce mois, de représenter notre sanctuaire du Laus au congrès mondial de la miséricorde, près du tombeau de Sainte Faustine, à Cracovie. Cette sainte religieuse, si chère au cœur de Jean-Paul II, rendait compte, dans son petit journal, de sa réaction face à une personne qui l’avait profondément blessée. Elle a écrit : « lorsque je l’ai aperçue, au premier instant, mon sang s’est glacé dans mes veines, car tout ce que j’ai dû souffrir à cause d’elle se présenta à mes yeux (…). L’idée me vint de lui faire connaître la vérité catégoriquement et immédiatement. Mais au même moment, la miséricorde divine se présenta à mes yeux et j’ai résolu d’agir envers elle comme Jésus aurait agi à ma place. J’ai commencé à lui parler avec douceur et quand elle a exprimé le désir de me parler seule à seule, alors je lui ai clairement fait connaître (…) le triste état de son âme d’une manière très délicate » (Petit Journal de Sœur Faustine, n° 1694).
Voilà le déploiement du double commandement de l’amour : aimer tellement Dieu qu’on ne puisse accepter d’agir autrement qu’il agit. C’est d’ailleurs ainsi que nous montrons au Seigneur que notre foi n’est pas un vain discours, ni une simple opinion sur son existence. L’amour envers le prochain est l’expression la plus concrète et la plus sincère de notre amour de Dieu.
Saint Jean le dit très clairement dans sa première lettre : « celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour » (1 Jean 4,8). Et, un peu plus loin : « si quelqu’un dit : ‘j’aime Dieu’, alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur » (1 Jean 4,20). Un menteur ! Vous remarquerez que l’apôtre ne dit pas que l’amour de Dieu est « imparfait » tant qu’il ne se concrétise pas dans l’amour du prochain : il ose dire que c’est un mensonge !
Alors, soyons clairs : si nous participons à cette messe en entretenant de la haine envers quelqu’un, ou même seulement un agacement consenti, nous sommes des menteurs. Par pitié, sortons alors de cette église pour ne pas commette de sacrilège ! Ne nous mentons pas d’abord à nous-mêmes : car notre prière n’a aucune valeur si elle ne nous conduit pas à aimer vraiment les autres, c’est-à-dire à les aimer comme le Christ les aime.
Attention, il n’y a pas mensonge dans le fait que nous ayons du mal à aimer comme le Christ ; souvent, nous voudrions le faire, mais nous n’y parvenons pas. Le mensonge, c’est quand nous nous contentons de cet état de fait, sans le remettre intégralement au Seigneur, pour qu’il fasse toute chose nouvelle.
Et c’est bien là, l’une des grâces particulièrement à l’œuvre en notre sanctuaire, et plus spécifiquement encore en cette chapelle de Bon-Rencontre, près de la tombe de Benoîte. Ici, notre Mère du Ciel, refuge des pécheurs, nous prend sous son manteau, pour que nous puissions nous laisser faire par la grâce, afin qu’elle nous fasse discerner, puis extirper nos haines et nos rancœurs ; et qu’ainsi puissent enfin se débloquer les possibilités de pardons que nous n’avons jusqu’alors pas réussi à donner.
Il se produit ici des miracles de réconciliation et de libération qui ne sont même pas imaginables ! Mais quand on vient les demander humblement, il devient évident que la puissance de la grâce est à l’œuvre pour tout réconcilier.
* * *
Alors, n’hésitez pas à lâcher ici-même toutes vos haines, rancœurs, impatiences, mésententes envers les autres. Nous pouvons même décider de nous y employer ensemble.
Je vous propose, ainsi, de le faire tout à l’heure, à l’offertoire. Alors que ce moment de la liturgie est trop souvent perçu comme une pause, ou l’instant d’un discernement profond pour savoir si l’on va mettre un ou deux € dans le panier de la quête, je vous propose de faire aujourd’hui particulièrement, une véritable offrande.
Offrons au Seigneur les personnes que nous ne parvenons pas suffisamment à aimer, ou qui simplement nous agacent. Prenons le temps de les présenter à notre Dieu, pour qu’à l’image du pain et du vin qui vont devenir réellement Corps et Sang du Christ, nos difficultés à aimer soient elles aussi transfigurées, j’ose dire en quelques sorte « trans-substanciées », afin que leur seule substance de vie devienne l’amour.
C’est seulement ainsi que notre communion, tout à l’heure, ne sera pas un mensonge. En recevant réellement le Christ, nous allons choisir de Le laisser aimer en nous. La personne de Jésus devient ainsi l’espace spirituel de la rencontre avec les autres : son corps devient le lieu de la réunification avec tous les autres, quels que soient nos sentiments pour eux.
Et c’est l’Eucharistie qui nous prépare si bellement au Ciel ; car seul l’amour reçu en personne dans la Communion nous dispose à ce que Dieu soit tout en tous, comme il sera, au Paradis, l’espace éternel de la rencontre entre tous les bienheureux.
Aimer Dieu et aimer le prochain, c’est donc goûter déjà ce qui fait la vie du Ciel. C’est donc dès maintenant que ce bonheur nous est proposé ; ne serions-nous pas fous de le refuser ? Amen.