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Solennité de l’Ascension du Seigneur
Jeudi 21 mai 2020 – Solennité de l’Ascension du Seigneur
Homélie du père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
C’est tout cela, l’Ascension !
Il n’y a pas quelque chose qui vous dérange, dans cet évangile ? Nous fêtons aujourd’hui l’Ascension du Seigneur… mais il n’y a pas une trace d’Ascension dans le récit de saint Matthieu ! Son évangile se termine juste par cette parole : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde »… Ce n’est pas une Ascension au loin, c’est une présence continuée toute proche !
Il a alors fallu la première lecture pour entendre le récit de l’Ascension : le livre des Actes des apôtres révèle que le Christ, 40 jours après Pâques, « s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux ». Saint Luc, l’auteur du livre des Actes, avait terminé son précédent livre - son évangile - sur le Christ bénissant ses disciples, avec ces mots : « tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et il était emporté au ciel » (Luc 24,51). Saint Luc rapporte donc par deux fois cet événement de montée aux cieux.
Si nous allons chez saint Marc, nous constatons que le jour de Pâques se termine par un envoi des disciples dans le monde entier, avant de se conclure ainsi : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Mc 16,19). Notez qu’on est ici le jour-même de Pâques, et non 40 jours après comme chez saint Luc.
Enfin, en ouvrant l’évangile de saint Jean, on ne trouve même pas de récit d’Ascension. L’évangéliste -traditionnellement représenté par un aigle qui voit les choses de haut - ne parle pas d’une élévation au Ciel, mais au contraire d’une marche qui continue sur Terre, puisque Simon-Pierre reçoit cet appel : « suis-moi ».
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Ce petit parcours évangélique rend attentif au fait que l’Ascension du Seigneur est un événement qui n’a rien à voir avec nos expériences d’ascensions. Ici, en montagne, on aime grimper sur les sommets. On y découvre des paysages exceptionnels… mais après, il faut toujours redescendre. Dans la vie, on connaît aussi des ascensions sociales, mais pour nécessairement retourner ensuite au relatif anonymat d’une retraite bien méritée ou de problèmes de santé qui mettent socialement à l’écart.
L’Ascension du Seigneur est tellement différente de toutes nos expériences de montées, que chaque évangéliste l’exprime à sa manière :
- chez saint Matthieu, aucun récit d’Ascension, pour bien insister sur la présence de Jésus au plus proche de nous ;
- chez saint Jean, cette même présence continuée est exprimée par un appel à mettre nos pas dans les siens.
- chez saint Luc, un délai de 40 jours, évoquant l’exode, sépare l’Ascension de la Résurrection, ce que nous avons conservé dans notre calendrier liturgique.
- Tandis que chez saint Marc, pas de délai : tout se passe le jour-même de Pâques. Jésus ressuscité s’assoit à la droite du Père.
La question n’est pas de se demander : « Qui dit vrai ? » Tous disent vrai, la Parole de Dieu est vérité. Mais cette vérité dépasse tellement notre expérience humaine, qu’elle peut être exprimée de manières diversifiées. Tous nous disent que notre temps historique est désormais habité par le Christ vivant, qui fait de notre quotidien une ascension vers le déploiement éternel de ce que nous sommes.
Et ainsi, c’est rien moins que le sens de la vie qui est donné par cet événement de l’Ascension ! Oui, le sens de la vie, c’est-à-dire à la fois sa direction et sa finalité. Même à travers les chutes, le vieillissement ou les pandémies, toujours, notre vie est une ascension avec le Christ, portée par sa finalité éternelle : le Ciel !
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Ah, « le Ciel » ! Quelle belle expression ! Sans doute l’une des plus sublimes, mais aussi des plus ambigües pour dire les réalités qui dépassent le créé. Dieu n’est pas confiné dans un endroit déterminé de l’espace, et pourtant Jésus Lui-même nous appelle à prier : « Notre Père qui est aux cieux ».
Nous ne confessons alors pas un Dieu blotti quelque part, dans une couche de l’atmosphère. Quel manque d’intelligence de la part de Nikita Khrouchtchev d’avoir affirmé : « Gagarine a été dans l’espace, mais il n’y a vu aucun dieu ». Lequel Gagarine, entre parenthèses, avait fait baptiser sa fille juste avant son vol spatial. On attribue à ce cosmonaute cette parole sur l’absence de Dieu dans le ciel, mais c’est le premier secrétaire du parti communiste soviétique qui a eu ces mots privés de toute transcendance.
Quand nous disons « le Ciel », nous ne disons pas un lieu, mais un état, un déploiement de vie, une ouverture éternelle. Quand nous disons « Ciel », nous confessons à la fois Dieu présent au plus intime que l’intime de nous-mêmes, et plus élevé que tout ce qu’on peut imaginer. Nous confessons Jésus-Christ réellement présent dans l’Eucharistie, habitant nos maisons autant que nos églises, mais dépassant aussi le temps et l’espace. Nous reconnaissons l’Esprit Saint à l’œuvre en nous, mais pas enfermé en nous. Nous confessons que Dieu est là quand l’amour est célébré, quand la charité est en actes, mais aussi Dieu plus grand que tout ce qu’on peut imaginer.
Voilà ce que nous croyons, voilà ce que nous célébrons à l’Ascension : non pas une montée comme celle d’une fusée défiant les forces gravitationnelles, mais une symphonie entre l’Incréé et le créé, entre Dieu qui a tout donné pour nous, et nous qui sommes appelés à être tout à Dieu. Nous célébrons donc ce lien indéfectible, depuis que notre humanité assumée par le Christ a été introduite définitivement dans le mystère éternel de la Sainte Trinité !
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L’Ascension, c’est donc, comme le disait saint Léon le Grand, « la gloire de la Tête » qui devient « l’espoir du corps ».
L’Ascension, ce nos vies tumultueuses qui reposent déjà dans la paix et la joie de la Sainte Trinité.
L’Ascension, c’est cette « montée » qui n’est pas seulement pour après la vie sur terre, mais qui est déjà commencée, comme une puissance d’attraction de la grâce sur nos pesanteurs.
L’Ascension, c’est le passage de la présence visible de Jésus Ressuscité, à sa présence à travers nous, faisant désormais de nos vies ensemble un signe de sa puissance d’amour et de don. Et voilà tout le sens de l’Église, qui n’est qu’au service de ce grand mystère. C’est pourquoi d’ailleurs, dès qu’elle s’écarte de cette mission-là, l’Église nous fait mal et nous révolte.
L’Ascension, c’est encore le passage d’une présence visible du Christ auprès de certains témoins, à sa présence réelle dans les sacrements pour tous ; et ainsi, le Christ ressuscité est davantage présent à notre humanité, que s’il était resté à accompagner quelques-uns sur les routes de Galilée.
L’Ascension, c’est cet admirable échange céleste, une embrassade plus qu’un passage de témoin, par laquelle la montée du Christ auprès du Père permet la descente de l’Esprit Saint.
L’Ascension, c’est aussi pour nous le passage du « voir pour croire » au « croire pour voir » ; c’est donc le véritable saut dans la foi, qui fait toute sa beauté et sa fragilité en même temps.
L’Ascension, c’est l’assurance que, si nous rencontrons des difficultés et des échecs dans la vie, rien n’est jamais perdu puisque le Christ est déjà, pour nous, assis à la Droite du Père : sa puissance est alors plus forte que notre faiblesse. Elle la rejoint et la transfigure.
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Frères et sœurs, il nous faut bien l’entendre : qu’elle soit signifiée ou non par les évangélistes, l’Ascension est un mystère essentiel qui doit changer notre regard. Regard sur le monde, sur nos objectifs de vie, sur nos préoccupations quotidiennes.
L’Ascension est donc aussi nécessairement un envoi en mission : « à vous d’entre les témoins », dit Jésus. Oui, à nous d’en être les témoins ! Qu’en nous voyant, nos proches et nos amis, mais aussi des inconnus et même nos ennemis, puissent lever la tête… et se dire qu’il y a là quelque chose de grand et de beau.
Il faudrait qu’en voyant des chrétiens, tout être humain ait envie de donner de la hauteur à sa vie. Il faudrait qu’en nous voyant, on puisse voir déjà quelque chose du Ciel ! C’est ce qu’ont fait les saints ; c’est ce que nous sommes appelés à vivre par notre vocation commune à la sainteté.
Ouvrons-nous donc encore aujourd’hui à cette ascension permanente de nos vies. Alléluia !