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3ème dimanche de Pâques
Messe du 3e dimanche de Pâques – Année A – Dimanche 26 avril 2020
Homélie du père Ludovic Frère, recteur du sanctuaire
Déceptions. Et après ?
Ah oui, les « disciples d’Emmaüs » ! On les connaît bien, n’est-ce pas ? C’est une page d’évangile tellement fameuse, une rencontre pascale tellement sublime !
Mais ces disciples d’Emmaüs, on les connaît sans trop les connaître. Ils ne font pas partie des 12 apôtres et seul l’un des deux est identifié comme s’appelant Cléophas. On n’avait jamais entendu parlé de lui auparavant. Mais dans l’évangile de saint Jean, au chapitre 19 verset 25, on lit ceci : « près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine ». Certains commentateurs voient alors dans cette « femme de Cléophas » l’épouse de ce disciples d’Emmaüs.
Plusieurs personnes peuvent bien sûr porter le même prénom, mais je trouve l’idée très belle : les deux disciples qui rentrent de Jérusalem, ce serait un couple : cette Marie restée au pied de la croix avec la Mère de Jésus, et son époux Cléophas. Un couple, qui aurait suivi ensemble Jésus ; un couple ayant donc partagé de grands espoirs, et partageant maintenant une profonde déception. Comme un hommage aux couples parmi nous, qui vivent leur foi la main dans la main, dans le bonheur comme dans les épreuves.
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Mais si le 2e disciple est bien cette « femme de Cléophas » restée au pied de la croix, on perçoit que leur déception de couple n’en est que plus flagrante : présente au plus proche du drame, cette femme repart de Jérusalem la mémoire remplie d’images horribles d ce qu’elle a vécu au plus près et qu’elle a dû partager ensuite avec son mari Cléophas. Et son esprit est peut-être encore habité par le grand espoir qu’elle avait eu jusqu’au bout en restant au pied de la croix : que Jésus en descende tout-à-coup et qu’il manifeste ainsi qu’il était bien ce « prophète puissant par la parole et par les œuvres ».
Mais ça n’a pas marché ainsi : « Et nous qui espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël ! » Les événements ne se sont pas déroulés comme ils l’attendaient. De même pour nous : la vie ne se passe pas toujours comme on l’espérait. Même avec la foi : on se réjouit quand une prière est exaucée, mais on est bien déçu quand elle ne l’est pas. On a prié pour que le Coronavirus disparaisse au plus vite, et voilà qu’il fait encore bien des victimes… Et nous qui espérions que Dieu allait nous en délivrer rapidement ! C’est une déception !
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Cet évangile invite alors à mettre en lumière toutes nos déceptions : les regarder bien en face, sans les dissimuler trop vite derrière des rites bien ficelés ou des chants enthousiasmants. Non : regardons bien en face nos déceptions !
Car tout être humain en est porteur. Aucune vie n’en prive, aucune foi n’en dispense. Les événements actuels ne manquent d’ailleurs pas d’en générer en nous : des projets qui tombent à l’eau, des fêtes qui sont annulées, des rencontres qui ne sont plus possibles. Oui, côté déceptions, nous sommes bien gâtés ces derniers temps !
Mais qu’est-ce que nous faisons de ces déceptions ? En accompagnant les disciples d’Emmaüs sur leur route, nous pouvons faire davantage la vérité sur nos déceptions, d’abord peut-être pour clarifier leur nature-même. Essayez de penser à vos dernières déceptions : qu’est-ce qui vous a déçu, ou par qui avez-vous été déçus ?
Chez les disciples qui rentrent de Jérusalem, on a du mal à déterminer ce qui les a le plus déçus. Ils sont incontestablement déçus de ne pas avoir suivi le bon prophète, mais peut-être aussi déçus de ne pas avoir pu bénéficier d’un certain nombre d’avantages qu’ils auraient pu espérer du Christ. Déçus peut-être aussi d’eux-mêmes.
En tous cas, la déception semble avoir une caractéristique essentielle : elle centre sur soi. Remarquez que rien n’est dit de la tristesse que ces deux disciples auraient ressentie devant la mort de Jésus. Non, à l’inconnu qui les rejoint, ils n’expriment aucune souffrance de deuil. Ils disent simplement : « Et nous qui espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël ! » Leur déception et une forme de confinement sur eux-mêmes ; elle n’est pas une ouverture vers les autres.
Et finalement, que le 2e disciple ne porte pas de prénom, c’est peut-être aussi pour pouvoir plus facilement nous identifier à lui, et reconnaître en nous la tentation fréquente du replis sur nos déceptions égocentrées.
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Mais il y a plus encore dans la foi : car les déceptions peuvent être si pesantes et si aveuglantes, qu’elles ne permettent même plus de reconnaître le Ressuscité à l’œuvre dans nos vies. Il faut donc que le Seigneur prenne l’initiative de nous rejoindre sur les routes de nos déceptions, d’abord pour nous aider à sortir la tête de l’eau. « De quoi discutez-vous en marchant ? » Le Christ interroge la déception de ses disciples. Saint Luc précise tout de suite : « Alors, ils s’arrêtèrent ». C’est la première grâce que Dieu nous offre, en nous rejoignant dans nos déceptions : nous permettre de nous arrêter.
C’est-à-dire, sans doute : cesser de vivre sur nos déceptions. Cesser de les nourrir en cercle fermé : arrêter de mouliner intérieurement, arrêter aussi de remplir nos vies d’activités et d’urgences qui cherchent à combler le vide suscité en nous par les déceptions.
Vous arrêter, c’est d’ailleurs bien ce que nous faisons pendant ce confinement ! Et notamment ce dimanche : vous avez allumé votre écran pour participer à cette messe. Vous avez arrêté les autres activités de votre vie. C’est le préalable indispensable pour laisser le Ressuscité vous éclairer et pour Le laisser marcher à vos côtés.
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Mais ce n’est là qu’un préalable à la transfiguration de nos déceptions. Un préalable, car ce n’est pas suffisant. Les deux disciples d’Emmaüs reconnaîtront plus tard que leurs cœurs était « tout brûlant » quand Jésus les a rejoints sur leur chemin de déception. Mais il faut encore davantage pour les en libérer.
Et voilà ce 2e temps : les déçus implorent Jésus : « Reste avec nous ». Et ainsi invité, le Ressuscité peut manifester sa présence lumineuse : il prend du pain, le rompt et le leur partage. « Alors, leurs yeux s’ouvrirent » Ils quittent l’aveuglement des déceptions à vue humaine, pour être éclairés par le Ressuscité qui se donne dans l’Eucharistie. L’Eucharistie, même vécue dans la communion de désir, fait s’envoler la déception, toutes les déceptions !
Cette nourriture de vie éternelle permet non seulement à leur déception de ne plus être au centre de leurs préoccupations, mais plus encore, elle vient leur donner une force nouvelle ! C’est l’espérance : l’espérance comme cette assurance que le Seigneur ne déçoit jamais ! Parce que l’ouverture de nos vies à l’éternité transfigure maintenant les déceptions, pour en faire de grands désirs qui s’épanouiront éternellement !
Ne restons donc pas confinés dans les tombeaux de nos déceptions ! Crions vers le Seigneur : « reste avec nous », et laissons-Le ouvrir nos yeux à la lumière éblouissante de son offrande eucharistique. Voilà, me semble-t-il, le grand appel de cette magnifique page d’évangile !
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Allez, courage ! Depuis que le Christ l’a emporté sur le mal et sur la mort, une lumière sublime éclaire toutes nos déceptions, pour nous ouvrir à une présence excellente et à une espérance enthousiasmante ! Alors, aujourd’hui, chassons les déceptions, toutes les déceptions ! Chassons-les résolument en accueillant la lumineuse présence du Seigneur : Christ est là, ressuscité, aimant, sauvant, libérant, vivifiant, ouvrant aux autres ! Il vient tout rejoindre, pour que nos vies soient libres et belles ! Des vies de ressuscités, qui ne sont plus étouffées sous le poids des déceptions, mais qui vivent d’une joyeuse espérance éclairant le présent et préparant l’éternité. Alléluia !
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